Avec son projet d’indication géographique, le couteau de Laguiole veut mieux se protéger

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  • Les fabricants de Laguiole ont lancé, depuis plusieurs années déjà, une démarche pour protéger leur savoir-faire. 	 José A Torres
    Les fabricants de Laguiole ont lancé, depuis plusieurs années déjà, une démarche pour protéger leur savoir-faire. José A Torres
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Guilhem Richaud

L’anecdote permet d’illustrer parfaitement l’enjeu. "Aujourd’hui, un container rempli de couteaux dits Laguiole fabriqués en Chine peut arriver aux douanes du port de Marseille et rentrer sur le territoire sans que ce soit de la contrefaçon. Ils peuvent rentrer dans le pays et ensuite être vendus." Honoré Durand, fabricant de couteau à Laguiole et président du syndicat des fabricants aveyronnais du couteau de Laguiole, résume bien la situation. Le couteau, qui fait la réputation de la commune du Nord-Aveyron, n’est pas protégé. Et depuis des dizaines d’années, de nombreux fabricants du monde entier, peu scrupuleux de la qualité de leurs produits, l’ont bien compris et exploitent ce vide juridique pour vendre des lames qui n’ont de Laguiole que le nom. Alors depuis 2014 et la possibilité, grâce à la loi sur la consommation de Benoît Hamon, d’obtenir un label d’indication géographique, les couteliers, réunis au sein d’un syndicat, militent dans ce sens, aidés notamment par les élus locaux.

En ce début d’année 2021, l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi), qui est chargé d’instruire le dossier, a lancé une enquête publique pour que la population, du territoire ou d’ailleurs, donne son avis sur le projet*. Vincent Alazard, qui entame son quatrième mandat à la tête de la commune, est persuadé que la démarche est une bonne chose pour le territoire, et il en est un de ses promoteurs. En tant que Laguiolais pure souche, il connaît l’importance du couteau dans le patrimoine local. "Quand vous êtes un enfant du village, vous avez forcément une relation particulière avec lui, assure-t-il. Il y a une tradition d’offrir un couteau pour les 14 ans. Je ne sais pas si c’est pour signifier le passage à l’âge adulte, mais c’est ce que j’ai fait avec mes enfants." Et lui-même a toujours gardé le sien précieusement.

Mais au-delà de cette anecdote, l’élu voit aussi dans ce dossier d’obtention de l’indication géographique, l’occasion de faire perdurer l’héritage de ses prédécesseurs. Car si le couteau en est arrivé là aujourd’hui, – moteur de l’économie du Nord-Aveyron, avec environ 16 M€ de chiffre d’affaires généré par ses fabricants et pas loin de 250 emplois –, c’est en grande partie grâce aux élus de la commune, qui, dans les années 1980, ont eu l’idée, à l’époque un peu folle, de se lancer dans cette aventure. "Au départ, ça a été une initiative de Jean-Louis Cromières, le maire, et de son conseil municipal, se souvient Michel Chambon, qui faisait alors partie de l’aventure. Il s’était aperçu que s’il y avait deux revendeurs de couteaux dans la commune, ils étaient fabriqués à Thiers. Il a donc lancé un comité de réflexion sur le sujet. Il en est ressorti que le savoir-faire avait disparu et qu’il n’y avait plus de machines…"

Michel Chambon, lui, est alors un jeune tourneur fraiseur, formé à Rodez, qui a quitté l’Aveyron pour la région parisienne afin de trouver un travail. Il entend parler de la démarche et participe à une réunion sur le sujet en 1983. Il adhère tout de suite au projet et avec trois autres jeunes, ils créent l’entreprise Le couteau de Laguiole. Ils vont alors se former en Haute-Marne auprès d’un fabricant de ciseaux et d’instruments chirurgicaux et ils reçoivent de l’aide des forgerons de Thiers, qui leur vendent des lames et quelques pièces pour débuter. "C’est comme ça qu’on a relancé la fabrication, reprend le coutelier. À l’époque, peu de monde y croyait. Même dans ma famille, tout le monde me prenait pour un fou. Moi, j’y croyais à fond. Je pensais que refaire des couteaux à Laguiole c’était vital. Quelques mois après notre lancement, on embauchait un premier salarié, puis un deuxième et la machine était lancée…"

Dans la foulée, cette réussite attire d’autres personnes et une deuxième entreprise, La Forge de Laguiole, est créée. D’autres suivront. Depuis, la coutellerie de Laguiole a vécu la vie classique d’une filière économique avec ses hauts et ses bas, ses coups bas et ses alliances. Des rachats également, puisque les associés de Michel Chambon ont revendu leurs parts à La Forge au début des années 2000. Lui est resté quelque temps, avant de prendre ses distances, lassé par un milieu dans lequel il ne s’y retrouve plus. Il est désormais installé comme indépendant à Soulages-Bonneval, à 5 km seulement de Laguiole et continu à exercer sa passion : faire des couteaux.

Un autre combat

Après Jean-Louis Cromières, qui a donc permis la relance de l’histoire, Guy Dumas, qui lui a succédé, s’est lui aussi attaché à œuvrer pour la pérennisation de la filière, en mettant en place des ateliers relais, afin d’accompagner le développement des coutelleries locales. Vincent Alazard, lui, en poste depuis 2001, espère bien être le maire qui obtiendra l’Indication géographique, après avoir été celui qui, a obtenu gain de cause devant les tribunaux pour empêcher la confiscation par des sociétés privées de la marque "Laguiole". "C’est notre rôle collectif de préparer l’avenir, lance-t-il. On travaille pour les générations futures."

Dans quelques semaines, le syndicat des couteliers comme les élus, espèrent que le couteau deviendra le treizième produit en France à obtenir une indication géographique. Si c’est le cas, les fabricants du territoire pourront alors apposer le label sur le couteau. Et ce sera donc la première étape pour la défense contre ce qui deviendrait alors enfin, si les copies venues de l’étranger continuent à affluer, des contrefaçons. Un autre combat démarrera alors pour les fabricants. Il faudra sans doute faire valoir leurs droits devant les tribunaux pour empêcher définitivement les containers venus d’Asie, d’arriver. Mais ce sera une autre histoire…

* Les avis sur le dossier soumis à l’enquête publique sont à déposer jusqu’au 29 mars sur le site base-indications-geographiques.inpi.fr/fr/detail-ig/couteau-de-laguiole-0

 

Thiers va effectuer une démarche parallèle

Le syndicat des couteliers de Laguiole a fait le choix de déposer une demande à l’Inpi avec, dans le cahier des charges, un périmètre réduit à 24 communes de l’Aubrac, autour de Laguiole. Un rayon d’une trentaine de kilomètres qui "correspond à la zone historique de naissance et de fabrication du couteau de Laguiole".

Cela exclut de fait les couteliers de Thiers, qui, depuis plus d’un siècle, produisent des couteaux Laguiole et qui ont même continué de fabriquer la fameuse lame quand plus aucun coutelier aveyronnais n’exerçait dans son village d’origine (lire page suivante). Voilà pourquoi l’association CLAA (Couteau Laguiole Aubrac Auvergne) compte bien déposer, dans les prochaines semaines, un second dossier portant sur une IG partagée entre Thiers et Laguiole. Une démarche qui a aussi ses soutiens en Aveyron, comme Michel Chambon : "Je suis reconnaissant aux Thiernois d’avoir continué à faire des couteaux, lance celui qui a réinstallé l’activité dans la commune aveyronnaise en 1985. Pour leur renvoyer l’ascenseur, on devrait faire quelque chose avec eux."

Cette démarche parallèle n’inquiète pas Honoré Durand et le syndicat des couteliers. "Le consommateur vient à Laguiole pour acheter un couteau fabriqué ici, lance le président. Sinon, il achète un couteau de Thiers ou d’ailleurs. On aurait effectivement pu faire un cahier des charges avec les lames fabriquées à Thiers, mais je ne vois pas l’intérêt. Si la lame n’est pas fabriquée à Laguiole, ce n’est plus un couteau de Laguiole."

Reste à savoir ce qu’en pensera l’Inpi. Pour accorder une indication géographique, il faut qu’elle émane d’une structure représentative de la profession. Le syndicat l’est si l’Inpi estime que le couteau ne peut être produit qu’à Laguiole et ses environs. Peut-être pas s’il décide que Thiers aussi fait partie de l’histoire…

 

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