Couteau de Laguiole : la lame s’est construite une réputation au fil des siècles

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  • Salettes, un coutelier dans le village de Laguiole au XIXe siècle.		Collection privée / 	Dossier de l’enquête publique
    Salettes, un coutelier dans le village de Laguiole au XIXe siècle. Collection privée / Dossier de l’enquête publique
Publié le
Guilhem Richaud

L’histoire entre le petit village du Nord-Aveyron et la célèbre lame remonte au Moyen Âge. Au fil des siècles, la fabrication locale du couteau a connu un premier apogée avant de quasiment disparaître au début des années 1900.

Une ville, un couteau. L’histoire entre la commune de Laguiole et sa lame légendaire ne date pas d’hier. Elle remonte au moins au Moyen Âge. C’est en tout cas au XIVe siècle qu’on trouve pour la première fois trace, dans les archives, de la notion de coutellerie.

"Dans les archives comptables du comte de Rodez, à cette époque, on retrouve deux moulins à émoudre les couteaux, qui servaient à mettre les lames au tranchant, détaille Christian Lemasson, ethnographe, aveyronnais de naissance, et l’un des meilleurs spécialistes de la coutellerie française, qui a notamment écrit deux livres sur le couteau Laguiole*. Ce n’était pas encore des lames de couteau pliant. À l’époque, on parlait surtout de couteaux droits qu’on portait à la ceinture ou éventuellement dans une botte ou dans un étui en bois." Les lames ont ensuite continué à être forgées dans la commune du Nord-Aveyron jusqu’au début du XIXe siècle. À cette époque, paradoxalement, il n’y avait pas de coutelier à Laguiole, mais on trouve la trace d’un fabricant à Espalion. Le village, en revanche, accueille plusieurs taillandiers, qui n’hésitent pas à s’occuper des lames quand il le faut. "Le premier coutelier s’est installé à Laguiole entre la fin de l’année 1827 et début 1828, reprend le spécialiste. Il s’appelait Casimir Moulin. Il a été suivi en 1829 par Pierre Jean Calmels." C’est d’ailleurs ce dernier, qui, dans les années 1860, inventera le couteau pliant Laguiole tel qu’on le connaît aujourd’hui. C’est le premier âge d’or de la coutellerie. À la fin du XIXe siècle, l’activité fait travailler 35 personnes dans le village, ce qui est considérable pour l’époque. Le modèle qui commence déjà à avoir une belle réputation (lire l’encadré), n’est pas encore orné de la célèbre abeille, mais plutôt de fleurs.

La Première Guerre mondiale décime les couteliers

C’est Jules Calmels, l’un des descendants de Pierre Jean Calmels, qui aura l’idée, juste avant la Première Guerre mondiale, de dessiner l’abeille. C’est paradoxalement à cette époque, alors que la production va subir un très gros coup d’arrêt. Les ouvriers sont mobilisés au front et après l’Armistice, très peu reviennent en Aveyron. Une partie d’entre eux sont morts au combat et les autres ont préféré changer de voie, et, pour beaucoup s’installer à Paris.

"La population ouvrière de Laguiole ne s’est pas reconstituée à l’issue de la Guerre, reprend Christian Lemasson. Il restait deux ou trois personnes qui ne faisaient plus que des couteaux artisanalement." Une situation qui va perdurer jusque dans les années 1950, où 95 % des couteaux Laguiole étaient faits à Thiers. Il faut dire que les échanges entre les couteliers de Laguiole et ceux de Thiers remontent à loin. " Quand le train est arrivé en Aveyron, en 1878, les couteliers de Laguiole y ont vu une opportunité d’aller participer à des concours un peu partout en France, enchaîne l’ethnographe. Ils ont rapidement remporté un très grand nombre de médailles qui ont assis la réputation du couteau et ils n’ont plus été en capacité de répondre à la demande. Il n’y avait pas l’électricité à Laguiole, ni les capacités financières pour s’agrandir, ni la main-d’œuvre disponible. C’est donc tout naturellement qu’ils se sont adressés à des gens de Thiers."

D’où la volonté, aujourd’hui, de fabricants de Thiers, de s’associer à la démarche d’obtention de l’IG, ce qui n’est pas le cas dans le dossier actuellement soumis l’enquête publique par l’Inpi.

En 1950, les derniers couteliers de Laguiole disparaissent et pendant plus de 30 ans, ce sont les Thiernois qui feront perdurer le produit. Jusqu’à ce que Jean-Louis Cromieres et son conseil municipal, et quelques jeunes motivés et visionnaires ne fassent redémarrer la belle histoire en 1985. La première pierre de 35 années bien remplies qui permettront au territoire de renouer enfin avec les plus belles heures de son passé.

* Christian Lemasson a publié "Laguiole, histoire d’un couteau d’exception" paru en 2020 aux Éditions Artémis et "Histoire du couteau de Laguiole" aux Éditions des monts d’Auvergne, en 2012.

Une image forgée par les Aveyronnais de Paris

Si le couteau de Laguiole possède aujourd’hui une telle réputation en France, mais aussi dans le monde, c’est, que depuis le XIXe siècle il jouit d’une campagne de bouche-à-oreille très efficace, notamment grâce aux Aveyronnais de Paris, qui s’installaient à cette époque dans la capitale pour y tenir des cafés. "Leurs établissements étaient fréquentés par des journalistes, des artistes, des politiques, détaille Christian Lemasson. À chaque fois qu’il y avait une nouvelle médaille qui était remportée, le patron de l’établissement parisien en parlait à sa clientèle et ça faisait une publicité énorme." Une réputation qui a perduré au XXe siècle et s’est même vue renforcer après Mai-68. "Après 1968, ce couteau, de par son attachement à son territoire, est apparu comme l’étendard d’une nature préservée et d’une authenticité de vie. Il était porteur de valeurs et apprécié pour cela."

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