La question de la santé mentale devenue incontournable dans la crise sanitaire

  • Les psychiatres restent extrêmement inquiets et s'attendent à devoir panser les plaies psychiques de la crise sanitaire pendant de longues années
    Les psychiatres restent extrêmement inquiets et s'attendent à devoir panser les plaies psychiques de la crise sanitaire pendant de longues années Marjan Apostolovic / Shutterstock
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Relaxnews

(AFP) - Lutter efficacement contre la pandémie de Covid-19 tout en limitant les dégâts psychologiques: un an après le premier confinement, la préservation de la santé mentale des Français est devenue une donnée centrale de la gestion de la crise sanitaire.

"On vit comme des machines", regrette Maru, 45 ans, arrivée à Lille fin 2019. Depuis plus d'un an, la mère de deux enfants, pourtant optimiste de nature, navigue entre "lassitude et fatigue" et "certains jours, beaucoup de tristesse".

Avec, comme nombre de Français, la tentation grandissante d'enfreindre les règles de confinement et de couvre-feu pour aller chez des amis retrouver "lien social" et convivialité, qui lui manquent tant.

Consommation d'anxiolytiques, troubles du sommeil, consultations chez les professionnels... les indicateurs de santé mentale ont viré au rouge. Cet hiver, la détresse des étudiants, privés d'université et de vie sociale, a fait la une. Le taux de dépressions, y compris sévères, parmi les salariés a explosé depuis le début de la crise sanitaire, selon une enquête publiée cette semaine.

- Acceptabilité -

"On est dans une sorte de burn-out généralisé", résume Serge Hefez, psychiatre à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Pour lui, la population a atteint son seuil de tolérance aux mesures de restriction, épuisée par les "injonctions contradictoires permanentes", le manque de lien social et les conséquences de la crise économique.

Le rejet des restrictions, "certaines personnes vont l'internaliser (...) et partir sur un mode dépressif", explique Bruno Ventelou, économiste de la santé à l'Ecole d'économie d'Aix-Marseille. D'autres vont plutôt "l'extérioriser" , être "dans la révolte visible", poursuit-il, citant l'exemple du carnaval sauvage organisé dimanche à Marseille dimanche.

Nicolas Franck, professeur de psychiatrie et praticien au Centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, évoque une forme d'"insurrection individuelle" provoquée par la durée de la crise et "l'accumulation de facteurs négatifs".

De fait, élus et gouvernements affichent désormais régulièrement le souci de préserver le moral et la santé mentale des Français en plus de la dimension purement épidémiologique. Une psychiatre, Angèle Consoli, est d'ailleurs entrée le mois dernier au Conseil scientifique.

"On ne peut pas réduire les gens à juste travailler et rentrer chez eux. C'est inhumain", avait dit mi-mars la maire de Paris Anne Hidalgo.

L'enjeu est multiple : tenter de limiter les séquelles psychologiques d'une crise qui s'éternise, mais aussi maintenir un certain niveau d'acceptabilité des règles. Ce qui permet aussi de ne pas bloquer l'économie.

D'où le "vrai-faux confinement" dans plusieurs départements annoncé la semaine dernière, avec des mesures allégées qui permettent de sortir de chez soi relativement librement en journée.

Si certains médecins ont immédiatement jugé les mesures insuffisantes pour freiner vraiment l'épidémie, le psychiatre Nicolas Franck salue un "compromis": "confiner dehors, c'est très bien".

"Relâcher un peu (les règles) pour rechercher un peu plus d'acceptabilité, même si ça veut dire avoir un peu moins de contrôle de l'épidémie, c'est la stratégie (d'Emmanuel) Macron", souligne Bruno Ventelou.

Aujourd'hui, parce qu'ils ont moins peur du virus et qu'ils sont épuisés, "les gens sont prêts à tolérer un peu plus de risque épidémique pour avoir un peu moins de restrictions", estime-t-il.

"C'est bien pour ça qu'on est sur une dynamique à 30.000 (nouveaux) cas par jour" et non pas à 5.000, car les restrictions nécessaires pour rester à ce niveau n'auraient pas été acceptables pour la population, juge encore l'économiste de la santé.

- Quid de l'après ? -

Mais les psychiatres restent extrêmement inquiets et s'attendent à devoir panser les plaies psychiques de la crise sanitaire pendant de longues années, "du mini-traumatisme de tout-un-chacun aux stress post-traumatiques de ceux qui ont vu la mort de près" avec le Covid, selon Nicolas Franck. Serge Hefez craint "une décompensation (psychique) généralisée" d'ici à quelques mois.

Recrutements, remboursements des consultations chez les psychologues par la "Sécu", actions de prévention : "Ce qu'on attend, ce sont des mesures énergiques autour de la santé mentale alors qu'on a assisté depuis des années à un démembrement progressif" du secteur, enchaîne le psychiatre parisien.

Si la prise de conscience par le gouvernement et par la société de la dimension psychologique "n'est pas suivie d'actions, ça reste des voeux pieux", dit-il.

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