ITA Moulding Process : un "pilier économique" reprend vie à Sévérac-d'Aveyron

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  • Freddy Vandenbossche et Vincent Nassiet, anciens cadres de l’entreprise, ont proposé un projet de reprise d’ITA qui a été accepté en 2013. A l’aube du huitième anniversaire de la renaissance d’ITA, quelque 70 personnes y sont embauchées..
    Freddy Vandenbossche et Vincent Nassiet, anciens cadres de l’entreprise, ont proposé un projet de reprise d’ITA qui a été accepté en 2013. A l’aube du huitième anniversaire de la renaissance d’ITA, quelque 70 personnes y sont embauchées..
  •  Michel Castelbou, Henri Quintin – fils du fondateur Roger Quintin- et Paul Fabre préservent la "mémoire" d'ITA.
    Michel Castelbou, Henri Quintin – fils du fondateur Roger Quintin- et Paul Fabre préservent la "mémoire" d'ITA.
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Lola Cros

Du Moulin de Gary où a commencé l’aventure au mitan des années 1960 jusqu’à l’avenue de Paris encore aujourd’hui, ITA a durablement façonné le Sévéragais. Un temps premier employeur du territoire, l’entreprise s’est illustrée pour son savoir-faire autour de la mousse moulée et du bois moulé. Des canapés hier jusqu’aux sièges de cinéma, aux caravanes et au milieu médical aujourd’hui, l’entreprise est littéralement renée de ses cendres après des déboires qui avait laissé 210 salariés sur la paille en 2012.

Comme un feuilleton qui tient en haleine le Sévéragais depuis soixante ans. Si l’entreprise ITA fait pleinement partie du paysage de Sévérac-d’Aveyron, elle a surtout contribué à le façonner quand l’industrie du chemin de fer, alors moteur économique, déclinait. Premier employeur du territoire jusqu’aux débuts des années 2000, avec près de 400 salariés, c’est peu dire qu’ITA était le "pilier de la vitalité sévéragaise", pour reprendre les mots de l’ancien maire et sénateur Bernard Seillier. Si bien que quand ITA a commencé à vaciller, au début des années 2000, c’est tout le territoire qui transpirait.

"L’aventure ITA", comme tous l’appellent ici, a débuté au milieu des années 1970 avec André Contastin. A la tête d’un atelier de mécanique agricole, il rencontre Pierre Puech, alors patron d’une fabrique de sièges d’ameublement à Espalion, pour qui il travaille sur un modèle de banquette-lit. Devant le succès du modèle, breveté, Espalion est débordé. C’est ainsi que naissent les Etablissements Contastin, à Sévérac. Dévouée à la fabrication de fauteuils et canapés commercialisés par l’entreprise Bekaert, spécialisée dans les fils mécaniques, l’usine sévéragaise lance des recherches autour de la mousse moulée. Il faut attendre 1972 pour qu’André Contastin s’associe avec son beau-frère, Roger Quintin, pour que soit créée ITA, pour Industries et techniques d’ameublement.

Des brevets qui enrichissent ITA

Petit à petit, les deux fondateurs incarneront "une leçon vivante de sagesse et de spiritualité du travail", d’après les mots de Bernard Seillier. Soucieux de former leurs salariés, d’investir dans des machines réduisant la pénibilité d’un travail au contact de produits chimiques, André Contastin et Roger Quintin sont remarqués en 1975 pour avoir inventé un manège circulaire de travail, le "carrousel", toujours en activité à l’usine de Sévérac et breveté depuis. "André Contastin aimait développer, chercher, déposer des brevets, se souvient Michel Castelbou, le "monsieur mousse" des années 1970 (lire par ailleurs). Ce sont ces brevets qui ont permis d’enrichir ITA à l’époque." Puis, en 1980, ITA devient la première usine de bois moulé en France. Dans le même temps, un atelier de couture, Millau Sièges, est ouvert dans la cité du gant. Une soixantaine de couturières y travailleront.

A cette époque-là, le marché de l’ameublement explose. Et avec lui, le nombre de concurrents agressifs aux "productions délirantes". " C’est une évolution que nous avons réellement vu à la fin des années 1980, avec la montée en puissance de grosses enseignes, se souvient Paul Fabre, entré chez ITA en 1970. C’est l’arrivée d’Ikea en France qui a été le vrai coup de massue, un rouleau compresseur. " Si l’entreprise avait surfé sur la vague de l’ameublement haut-de-gamme, aux prémices de la société de consommation, dans un temps où le salon était un investissement marquant pour tous les foyers, qu’il s’agirait de léguer aux enfants, une nouvelle ère s’ouvre dans laquelle ITA ne trouvera plus sa place. " Le salon et les canapés sont devenus, à ce moment-là, des biens de consommation comme les autres, reprend Paul Fabre. On apprend à changer de canapé dès qu’on change de tapisserie, plus personne n’est prêt à mettre le prix. Et face à des concurrents aux prix cassés, on ne pouvait pas lutter."

"Le début de la fin"

Dans ce contexte, en 1990, intervient le rachat d’ITA par le groupe Cauval. "Le début de la fin, commentent en chœur les anciens. Ils n’étaient que de purs financiers, qui achetaient des entreprises affaiblies pour les déplumer. Le groupe a d’abord amené des savoir-faire à Sévérac, en fermant d’autres usines en France, puis ils ont contribué à isoler ITA, à n’en faire qu’une usine en supprimant tous les services annexes, de comptabilité, de relations humaines."

En 2012, après plusieurs plans de restructuration successifs, la liquidation est prononcée : 210 salariés sont sur le tapis. " Nous savions que nous ne pourrions pas reprendre tout le monde et qu’ITA ne pouvait pas rester sur le même modèle économique, mais il y avait des savoir-faire et un outil de production à sauver", explique aujourd’hui Vincent Nassiet. Ancien cadre sous l’ère Cauval, ce dernier avait repris ses études et tout juste décroché son diplôme (MBA Executive) quand il a présenté son projet de reprise d’ITA avec l’ancien directeur commercial du site, Freddy Vandenbossche, largement soutenus par les élus du territoire.

A la tête d’une équipe de 15 personnes en 2013, ils peuvent s’enorgueillir d’embaucher aujourd’hui 60 personnes à Sévérac et d’avoir, en huit ans, multiplié leur chiffre d’affaires par 2,5 pour atteindre les 6 millions d’euros consolidés en 2020. Un temps "scrutés", "pas forcément pris au sérieux", "certains pensaient que ce serait un énième coup d’épée dans l’eau", Vincent Nassiet et Freddy Vandenbossche ont éclairci leur stratégie : développer le savoir-faire de sous-traitance tout en diversifiant. "De trois segments d’activité, qui étaient les canapés, les sièges de cinéma et le ferroviaire, nous sommes passés à neuf, en occupant notamment le caravaning, le médical, et l’association bois-mousse moulés", détaille Vincent Nassiet.

Après une année bousculée par la pandémie, pendant laquelle l’usine a fermé six semaines en 2020, le choix de la diversification de l’activité "nous a donnés raison", affirme Vincent Nassier : "Tandis que les commandes de cinéma se sont effondrées, nous avions réduit les risques en pouvant nous tourner vers d’autres marchés. Notre objectif, c’est d’être agile dans des niches en perpétuel mouvement." Fiers de porter une "industrie innovante à la campagne", tous deux savent qu’ils ont acquis l’étiquette d’une "entreprise sérieuse, présente, qui se réinvente, malgré les déboires de la décennie dernière".

 

Mémoires d’ITA : les anciens rêvent d’un musée

Fiers, passionnés, engagés : les anciens de l’usine, ceux qui ont connu "la belle époque", ne sont jamais très loin d’ITA. Réunis dans l’association Mémoires d’ITA, ils ont, en 2017, édité un livre pour témoigner de cette "aventure humaine et industrielle". Une véritable bible, riche de témoignages, d’éléments biographiques des deux fondateurs, d’images, de schémas industriels, qui a été tirée à 700 exemplaires. Aujourd’hui, la même bande, réunie autour de Michel Castelbou, Henri Quintin – fils du fondateur Roger Quintin- et Paul Fabre, rêve d’ouvrir le musée de l’usine dans une partie des locaux aujourd’hui inoccupée. "Nous avons conservé un grand nombre d’archives, des modèles de canapés et de fauteuils très représentatifs de la grande époque : autant de pièces qui viennent illustrer l’histoire, explique Michel Castelbou. Cette histoire, nous voulons la raconter encore et encore." Les patrons actuels se disent "très favorables" à l’idée.

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