Marcillac : le Petit Écart, l’édition qui laisse une grande place aux auteurs

  • Isabelle Hochart, la passion de la lecture et de l'édition originale. Isabelle Hochart, la passion de la lecture et de l'édition originale.
    Isabelle Hochart, la passion de la lecture et de l'édition originale. Centre Presse - Hélène Lecarme
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Publié le
Hélène Lecarme

Pour ceux qui aiment les beaux livres, qui sortent de l’ordinaire, qui offrent  à un auteur et à un illustrateur la liberté de s’exprimer, les Éditions du Petit Écart ont tout pour séduire.

Libraire pendant 10 ans, en région parisienne puis à Bordeaux – à la librairie Mollat –, Isabelle Hochart est responsable du rayon beaux-arts. Elle se passionne pour les livres d’art et Jean-François Dumont, galeriste associé à la librairie Mollat dans les années 2000, l’initie aux livres d’artistes. Arrivée en Aveyron en 2005, elle intègre la Mission départementale de la culture – aujourd’hui Aveyron Culture –, en charge du service « livre, lecture et théâtre ». En 2014, elle rejoint la médiathèque. Depuis qu’elle travaille, donc depuis les années 90, livre et lecture sont au cœur de ses préoccupations.

Quand on interroge Isabelle Hochart à propos de la genèse des Éditions du Petit Écart, elle explique : "Être en lien avec des auteurs de polar qui sont devenus mes amis m’a permis de réfléchir avec eux au niveau éditorial : on met les auteurs dans des cases et on attend d’eux ce qu’ils savent faire, en l’occurrence des polars. J’avais envie de créer un espace pour recevoir l’écriture d’un auteur déjà connu, envie de proposer à ces auteurs reconnus de faire un pas de côté, de leur offrir un bel écrin, d’étonner leurs lecteurs. J’avais également envie de sortir des éditions populaires de romans noirs, telle la Collection Série Noire chez Gallimard, d’offrir au public des livres soignés, avec un papier différent, une qualité esthétique du livre, un livre qui reste. Comme il ne suffit pas d’imprimer, qu’il faut être diffusé, il faut donc avoir recours à des services de diffusion. Nous, avec un tirage à 500 exemplaires, nous nous en sortons avec une souscription lancée à chaque nouveau projet : le lecteur paye à l’avance le livre qu’il recevra plus tard. Nous avons besoin que l’argent rentre en amont pour imprimer."

Le goût des belles choses

Comme éditer prend du temps, c’est au rythme tranquille de deux parutions par an que, depuis 2017, trois personnes gèrent bénévolement Les Éditions du Petit Écart, association loi 1901 : Florence Barthélémy, bibliothécaire, David Fourré, créateur des Éditions de Lamaindonne, et Isabelle. Une pièce de sa maison est dédiée à la nouvelle maison d’éditions. Isabelle partage avec les Éditions de Lamaindonne le goût pour la littérature, pour le monde de l’édition, pour ce que ça produit, à savoir un livre : faire partie de l’édition, même avec des moyens limités, ça a du sens.
David Fourré s’occupe de toute la préparation, du papier, de la mise en page. Un papetier italien, Fedrigoni, fabrique la gamme Materica qui a été choisie pour la couverture : "On compose avec les différents coloris de cette gamme de beau papier qui a “une belle main”, et le papier intérieur le plus précieux possible complète ce choix." Tous les ouvrages ont été imprimés par Grapho12 à Villefranche, sauf le dernier, Isabelle et son équipe privilégiant le local à chaque fois que c’est possible. "Une hérésie, éditorialement parlant, car la notion de rentabilité n’entre pas du tout en ligne de compte dans les parutions du Petit Écart : tout est fait bénévolement. Il s’agit d’un travail associatif pour le goût des belles choses : l’espace proposé aux écrivains et artistes a cette vocation du beau. Quand on regarde un livre, on ne voit que la 1re de couverture : aussi, nous avons choisi d’offrir à un artiste du trait des rabats de 9 cm – couverture dépliée, cela représente un espace magnifique pour un illustrateur ! –, pour que la couverture soit déjà un récit."

Isabelle a toujours été attirée par les techniques de dessin, tous les outils qui servent à dessiner : crayon, plume, encre, pastel, fusain, sanguine… « Quand on a eu l’idée, on a pensé que c’était l’occasion de proposer un espace pour des techniques diverses d’artistes divers : le choix des artistes, c’est ma partie. C’est en lisant les textes publiés que vient l’idée de l’artiste à associer. »

Au fil des parutions

Un marque-page est systématiquement associé au livre comme marque de fabrique, volonté d’avoir quelque chose de spécifique. Le logo du Petit Écart est né en même temps que la première aventure, celle qui a lancé les éditions, à savoir La trace du héron, de Pascal Dessaint : "Je cherchais un dessin, et ce petit personnage équilibriste qui fait un écart sur le dos de la maison d’éditions vient d’une trace de patte de héron sur le sable, que j’ai à peine retouchée. D’où l’empreinte forte de ce premier livre sur la collection."

C’est une aventure que de faire paraître un livre au Petit Écart ! Les auteurs volontaires pour cette aventure-là, avec souscription, doivent vouloir leur Petit Écart sur la table dans les salons auxquels ils seront invités et les libraires doivent faire la démarche pour l’avoir dans leurs rayons : c’est un engagement de leur part. Pascal Dessaint, édité par Rivages, avait envie de ce travail avec l’illustratrice Sophie Fougy : féru d’ornithologie, il évoque avec poésie son amour de la nature. La trace du héron a donc été la première parution des éditions. Le premier tirage épuisé, l’ouvrage a d’ailleurs été réédité en 2019, et Pascal Dessaint, très investi dans l’aventure Petit Écart, fait maintenant partie de l’équipe de façon informelle.
"Pour le 2e, j’ai contacté Patrick Pécherot, dont j’aime l’écriture : pour moi, il est l’une des plus belles plumes du roman noir français. Je l’appelle, je lui propose, je lui explique. Réponse : il est désolé, il est en plein dans écriture d’un roman et ne peut pas répondre favorablement… En fin de conversation, il revient sur le sujet et s’exclame : Je sais ce que j’ai envie de te confier. Je me suis toujours posé la question de savoir qui était la Barbara du poème de Prévert." C’est ainsi qu’est née Lettre à B, cette Barbara dans le Brest de l’après-guerre. On y retrouve Jean Gabin, Michèle Morgan. Ironie de l’histoire, Lettre à B est paru avant son roman Hével sur guerre d’Algérie…

Histoire de polars

Michel Julliard, artiste mail art du sud Aveyron, a travaillé à la plume pour illustrer Patrick Pécherot, l’un de ses auteurs préférés. Quand on a reçu ses dessins, on a voulu leur donner un espace particulier, d’où l’idée d’une encre argentée sur ton gris foncé.
Marin Ledun, auteur de polars, aime comprendre et faire comprendre comment les victimes de la société en sont arrivées là : en se plaçant du côté des perdants, il montre que la problématique va bien au-delà des notions de bien et de mal. Son envie d’écrire un essai intime à la première personne, centré sur le pourquoi du roman noir aujourd’hui, pourquoi j’en écris, a donné lieu au 3e Petit Écart : Mon ennemi intérieur. Il fallait, pour l’illustrer, trouver un artiste qui soit en résonance avec le titre et les injonctions contradictoires entre emploi occupé et convictions politiques. Quand on déplie le dessin, on découvre l’empreinte, avec autre visage beaucoup plus sombre et noir : il s’agit d’un autoportrait du peintre Léopold Scigala, installé à Marcillac.

Alors qu’il vient de faire paraître dans Le Monde un article Lettre à Manu, signé Jeannot – à l’époque où un jeune adolescent avait interpellé le chef de l’État avec ce diminutif –, Jean Rouaud affirme : « Des textes comme ça, j’en ai plusieurs. » Éditer un livre avec plusieurs écrits de lui sur le monde tel qu’il est a fait l’objet du 4e Petit Écart, Plumes et goudron. C’est Edmond Baudoin, auteur de BD, qui l’a illustré : la couverture, à l’encre de chine, représente une souche d’arbre mort couchée, dont les branches renaîtront.
Romain Slocombe, artiste de romans noirs – mais pas que – photographe, amateur de culture japonaise, a fait un Petit Écart très drôle : il a écrit sa première histoire d’amour quand il avait une dizaine d’années, au pays basque : 5e Petit Écart, L’été 1964 évoque l’époque yéyé, Françoise Hardy… Romain Slocombe et son ami Jacques de Loustal, auteur de BD, avaient envie de créer ensemble pour les éditions du Petit Écart.
Rien de concret encore pour l’avenir, mais l’envie de ne pas enfermer Petit Écart dans un seul format ou une seule façon de faire : si les auteurs de romans noirs sont à l’honneur en ce moment, en format 12x18, la variété, des formes, des sujets, est à l’étude, en gardant à l’esprit l’idée d’avoir un bel objet entre les mains, à transmettre, à garder, à collectionner… Les objectifs : inviter les gens à vagabonder, à s’aventurer hors des sentiers battus, à se délecter en apprenant à aller voir ailleurs… Dans une société qui uniformise beaucoup, apprend à se conformer aux règles, il est important de savoir faire… un petit écart !

https://petitecart.wixsite.com/editions

 

« États d’âme », le dernier Petit Écart

L’actualité c’est le 6e et dernier Petit Écart à ce jour, sorti officiellement depuis le 3 mars, "États d’âme". Auteur de romans noirs, Hervé Le Corre connaît Petit Écart depuis 2017. Isabelle Hochard raconte.

"Il est venu vers moi en 2019 : Je crois que j’ai quelque chose pour toi, m’a-t-il dit en me confiant états d’âme, texte qu’il a écrit il y a quelques années, car je me questionne sur ce qu’il y a après la mort."

Le texte commence par : "Quand il mourut, Louis Lorenzo pensait à autre chose. Dans sa mort, il y a quelque chose qui reste, qui continue à voir : le corps se dégrade, mais l’âme voit des choses, continue à être présente au monde, et petit à petit s’étiole." Le récit offre quelque chose de philosophique, porté par une écriture à découvrir de toute urgence. Gérard Marty, grand amateur de romans noirs, a réalisé la couverture.

 

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