Saint-Côme-d'Olt. Patrick Le Roux replonge dans l’odyssée de Florence Arthaud

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    Patrick Le Roux replonge dans l’odyssée de Florence Arthaud
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Olivier Courtil

Patrick Le Roux, ancien journaliste à Libération et à L’équipe, domicilié à Saint-Côme-d’Olt depuis 2008, a coécrit cet ouvrage avec la navigatrice Florence Arthaud en 1989, juste avant son sacre à la Route du Rhum. ce livre posthume retrace la jeunesse de celle qui fut surnommée "la petite fiancée de l’Atlantique". Pour Patrick Le Roux, ses mémoires retrouvées sont une belle surprise et font œuvre de transmission pour Marie, la fille de la navigatrice.

Du poids de l’édition, de la mondanité dans l’appartement du 16e arrondissement, Florence a suivi l’appel du large en préférant les quarantièmes rugissants. "Elle n’était bien qu’en mer, solitaire. C’est une pionnière de la mer qui s’est battue contre les préjugés", résume Patrick. Dans la préface du livre, Hubert évoque les premiers cours à l’école de voile, aux Issambres, commune de Roquebrune-sur-Argens, sur le littoral varois où la famille possédait une maison à "La Trinité, le Morbihan, la Bretagne", le triptyque coulant dans ses veines au phare d’Antibes d’où les cendres de Florence se sont envolées.

Au cœur du livre, la jeunesse de Florence s’égrène en images, en couleurs comme en noir et blanc. S’y défilent ses premières courses dont la route du Rhum dès 1978, des photos intimes, et des sourires surtout. Car Florence aimait tant la vie qu’elle ne craignait pas la mort. "La vieillesse, la mort ne rentrent pas dans mes préoccupations", écrit-elle.

Un mariage avec la mer

Et d’ajouter : "L’immensité des océans apprend la sagesse." Elle y cite même les doctrines de Tchouang-tseu. En équilibre en mer, elle penchait sur terre. "Une rebelle, une insoumise", la qualifie ainsi Patrick. Une femme éprise de liberté contre la bêtise. Portée par une solitude choisie. "La solitude en mer n’est pas une solitude difficile à vivre, car c’est le marin qui abandonne le monde et non pas le contraire."

Le récit coécrit par Patrick Le Roux retrace son mariage avec la mer, son ascension passée par bien des désillusions. "Sept fois à terre, huit fois debout", dit un proverbe japonais. Apprenant d’elle toute seule, au gré des expériences. "Je me suis engagée sur le dur chemin de l’autodidaxie."

Une écorchée vive

Sur ce chemin, elle préfère partager un verre avec les marins pêcheurs plutôt qu’avec les trompettes de la renommée. "La notoriété n’a rien changé à ma vie. Je ne cherche pas à être célèbre, à me montrer dans les endroits à la mode. J’aime les marins pêcheurs parce qu’ils savent que nous partageons la même passion. Ils m’ont acceptée dans leur monde parce que j’étais des leurs et non parce que je m’appelais Florence Arthaud. Toute ma vie, je préférerais les bistrots des ports aux night-clubs branchés de Paris."

Florence est une écorchée vive, une authentique, fidèle sans compromission comme la mer qui ne se retire jamais. Une louve des mers. Elle déclare sa flamme, du haut de ses 32 ans, aux voiliers avec qui elle s’est mariée. "Mes bateaux ont tous été le prolongement de moi-même, la matérialisation de mon rêve […] Un bateau doit être beau dans son dépouillement le plus extrême […] Chaque bateau a été pour moi une merveilleuse histoire d’amour […] J’ai besoin que mes bateaux soient beaux."

Et les épigraphes de Patrick Le Roux symbolisent cette union, citant Victor Hugo, l’auteur des Travailleurs de la mer : "Que ferez-vous en exil ? Je regardai l’océan." Chateaubriand, Jules Verne écrivant "au sein des mers, là seulement est l’indépendance ! Là, je ne reconnais pas de maître ! Là, je suis libre" ou encore le marin Édouard Corbière : "Mais à la mer… Ce n’est que là que l’homme est tout l’homme." Tout est dit. Comme un condensé de sa pensée, de sa vie. La mer unit les deux quêtes que sont la beauté et la vérité. Florence les a atteints. Avec au bout, la victoire, enfin. Que lui restait-il alors sur Terre à faire ? Comment faire quand, écrit-elle, "la passion de la mer s’est ancrée en moi avec une infinie douceur." Le défi a été relevé. La route du rhum gagnée. Elle n’est pas là pour se souvenir des belles choses mais pour les vivre intensément, profiter d’une vue sur l’onde limpide, d’un voilier baignant au cœur des éléments.

"Je ne peux naviguer qu’avec des gens que j’aime."

On y voit le tableau. Florence à l’intérieur, être la vague d’Aristide Maillol. Une vague emportée mais qui n’a pas échoué. Florence a appris à chavirer, à frôler la mort. Les trahisons aussi. "J’attache une très grande importance aux gestes de la vie quotidienne, à ces attentions de tous les instants qui revêtent une dimension capitale après plusieurs jours de mer. Je ne peux naviguer qu’avec des gens que j’aime." Patrick fut de ceux-là. Comme tous les êtres vrais, humanistes, aventuriers, de la mer en particulier. De l’Antiquité d’Homère à nos jours. Florence reprend les mots d’Henri Queffélec : "La mer a vécu tous les drames sans en garder la souillure, elle est vieille et toujours jeune, vaste, mystérieuse."

Tel fut le destin de Florence Arthaud, première femme à remporter la route du Rhum, la victoire sur l’Homme. Une femme qui, au milieu des chansons à boire, n’avait qu’une parole. De son vivant, côtoyer des êtres de vérité en quête de beauté, de l’inaccessible étoile de Brel, on y revient toujours, le journaliste dont "Libé reste sa famille de cœur",est heureux d’avoir pu le partager et le transmettre à la fille de la petite fiancée de l’Atlantique, à la jeunesse actuelle. Surtout en cette période. Ce récit est à mettre entre toutes les mains libres et les esprits critiques. Essayer, se tromper, se relever, avancer. Florence Arthaud a parfaitement répondu à l’appel de Mark Twain : "Ils savaient que c’était impossible, alors ils l’ont fait." La vie est mouvement et vaut pour l’aventure qu’on en fait.

La richesse des rencontres

Patrick Le Roux, lui, s’enrichit toujours des rencontres en faisant chaque année le tour de France des fermes pour un autre pionnier, terrien cette fois-ci, de l’agriculture raisonnée et durable, avec Marcel Mézy. Et pour Florence Arthaud : "Je veux continuer à vivre l’éphémère instant, dans ce tour du monde que seule la mort viendra interrompre." Florence Arthaud a quitté le bateau à 57 ans pour mieux plonger dans le "glaz", rejoindre Éric Tabarly et tous les grands noms de la navigation dans le cimetière marin cher à Paul Valéry.

Il en va des manuscrits comme des bouteilles à la mer, parfois ils arrivent à bon port. C’est le cas d’"Océane" écrit à quatre mains par la navigatrice Florence Arthaud et le journaliste Patrick Le Roux au crépuscule des années 80. Un livre qui devait paraître aux éditions Filipacchi mais finalement Florence Arthaud se ravisa pour ne pas froisser son père à la tête des éditions qui portent son nom. Patrick Le Roux garde les notes écrites en Corse et à Paris avec la navigatrice.

Un amour commun

Le choix de la plume de Patrick Le Roux s’explique par un amour commun : la voile. Patrick Le Roux a débuté à "Libé" en 1982 au service des sports se spécialisant dans ce sport nautique empreint de poésie et de liberté. Il a côtoyé tous les grands noms de l’époque où des bouts de mers et d’océans étaient à conquérir. Avant l’ère du numérique. Un sport qui ne triche pas en se mesurant à l’immensité. C’était en parallèle, l’âge d’or du journalisme. Le temps où l’argent coulait à flots. Patrick fut l’envoyé spécial de la voile.

Il vit désormais à quelques encablures de la vallée du Lot, moins tumultueuse que la grande bleue et le grand large. Les souvenirs remontent à la surface, ce temps béni. "Florence était une fille sur qui tu pouvais compter", glisse le journaliste qui a même tenté de battre le record de l’Atlantique avec Titouan Lamazou en 1987. Un autre ami navigateur. Un autre millénaire. Mais la magie de la mer opère quand on tourne les pages, trente-deux ans plus tard, du manuscrit sorti des eaux comme du placard. Celui de Patrick Mahé, rédacteur en chef de Paris Match qui a hérité du manuscrit. "Océane" a finalement refait surface, vingt mille lieues sous les mers, le 17 mars dernier. La vie est parfois simple comme un coup de fil. "C’était inattendu mais c’est une vraie bonne surprise", confie celui qui a donné son aval à condition de céder ses droits à Marie, la fille de Florence, âgée de 17 ans aujourd’hui.

De la bienveillance, un geste d’amour tout simplement. "À l’enterrement de Florence, j’ai passé le manuscrit à son frère Hubert. C’est mon souvenir, les traces de sa maman." Et Hubert s’est chargé de rendre hommage à ces poètes des mers que sont les navigateurs. À sa sœur lors de l’inauguration d’un giratoire en son nom à l’été 2018 à Vannes, trois ans après la tragédie. C’était le 9 mars 2015 pour une émission de téléréalité en Argentine. Patrick Le Roux en fut sonné. Dans l’hélicoptère se trouvait aussi une jeune consœur. Le récit publié aujourd’hui narre en larguant les amarres le passé, la jeunesse, cette époque dorée. Florence Arthaud avait à peine 8-10 ans quand Éric Tabarly venait chez les Arthaud, éditeur de littérature de voyage. Sans doute cela a donné le goût du large.

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