Marine Calmet, juriste environnementale : "Nous devons trouver de nouveaux modèles de lutte pour construire la société de demain"

  • Partout dans le monde, les populations se lèvent pour protéger leur "zone à défendre". En cette Journée mondiale de la Terre, tour d'horizon des voies de lutte citoyennes, avec la juriste environnementale Marine Calmet.
    Partout dans le monde, les populations se lèvent pour protéger leur "zone à défendre". En cette Journée mondiale de la Terre, tour d'horizon des voies de lutte citoyennes, avec la juriste environnementale Marine Calmet. Réda Settar
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Relaxnews

(ETX Studio) - Notre-Dame-des-Landes, Bure, "Montagne d'Or" en Guyane, Belo Monte au Brésil... Dans le monde entier, les populations se lèvent pour faire barrage aux grandes industries et protéger leur "zone à défendre". En cette Journée mondiale de la Terre, tour d'horizon des voies de lutte qui s'offrent aux citoyens, avec la juriste environnementale Marine Calmet. 

Au cours de l'été 2019, les 150 Français tirés au sort se réjouissaient d'avance de participer à une initiative citoyenne ambitieuse : formuler une centaine de propositions concrètes au gouvernement, en vue d'une nouvelle loi visant à donner les moyens à notre pays d'atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris.

Ce regroupement inédit de Français autour de la cause climatique porte un nom désormais bien connu : la Convention citoyenne du climat. Marine Calmet, juriste spécialisée en droit de l'environnement et des peuples autochtones, a suivi l'aventure dès le début. D'abord en étant auditionnée comme experte pour fournir une matière de réflexion, puis en accompagnant les membres de la Convention en amont des négociations auprès des ministères.

Malheureusement, les propositions des membres de la Convention ont été fortement revues à la baisse. En particulier la mesure phare de créer un crime d'écocide, finalement relégué au statut de délit. 

Comment combler le vide juridique en France évoqué par Marine Calmet dans son livre "Devenir gardiens de la nature" paru en mars 2021 aux Éditions Tana. Quelles solutions s'offrent aux citoyens pour agir et faire entendre leur voix sur les enjeux climatiques qui les touchent directement ? Entretien.

Que traduit la requalification du crime d'écocide en délit ? 

Les membres de la Convention demandaient de reconnaître comme crimes les atteintes causées aux écosystèmes et à leur conservation. À la place, on se retrouve avec un simple "délit de pollution". Il s'agit d'un tout petit pas en avant puisque, par définition, les délits sont punis moins sévèrement que les crimes.

Cette décision reflète un défaut de prise de conscience de la gravité de la situation actuelle et des préjudices qui sont causés à la nature. Elle traduit aussi des résistances face à l'urgence de condamner des comportements qui mettent en péril l'habitabilité de nos territoires et la bonne santé des écosystèmes.

Vous avez suivi de près les travaux réalisés par la Convention citoyenne. Pourquoi les débats à l'Assemblée nationale ont suscité de si fortes déceptions parmi ces membres ? 

Ce processus citoyen formidable et inédit a finalement été réduit à peau de chagrin, puisqu'environ 10% des propositions seulement ont été reprises. Nous avions une loi très ambitieuse à l'origine, mais il y a eu d'énormes renoncements, que ce soit sur les questions d'alimentation, de la publicité ou encore des transports. L'objectif initial de cette loi était de nous donner les moyens de respecter nos engagements liés aux Accords de Paris. Or, nous en sommes loin.

La récente victoire juridique de l'Affaire du Siècle, qui a condamné l'État pour "inaction climatique", peut-elle tout de même nous redonner espoir ? 

Cette victoire est importante car elle nous confirme l'importance de ne jamais baisser les bras, d'utiliser tous les moyens à notre disposition pour montrer la responsabilité de l'État dans ce genre de situation et finalement pousser à plus d'engagement. Le problème, c'est que le gouvernement ne semble toujours pas avoir saisi le message, comme l'a démontré l'examen de la loi Climat.

En quoi consiste le statut de citoyen protecteur du vivant que vous promouvez à travers le programme juridique interactif  Wild Legal, que vous avez co-fondé ?  

Nous partons du principe que le droit est un outil très intéressant pour obtenir justice et qu'il faut passer par des procédures innovantes. Nous travaillons notamment sur l'affaire de la pollution aux boues rouges au large de Marseille que nous essayons de faire reconnaître comme un écocide, car il a entraîné la destruction de l'écosystème marin de la baie de Cassis. Ce type d'affaires se gagne sur tous les tableaux : pas seulement dans les tribunaux, mais aussi dans la rue. Le droit et la mobilisation vont vraiment de paire.

Il me semble important de le dire, car il y a un changement culturel à obtenir, une prise de conscience qui changerait en profondeur notre société. Aujourd'hui, il y a des projets qui mettent en danger la nature et les écosystèmes contre lesquels il faut bien sûr s'opposer. Mais il me semble aussi crucial de penser à l'après.

Car c'est aussi cette mécanique de pensée qui va nous permettre de remplacer le fonctionnement de ce monde actuel. Il faut être capable de se projeter et de formuler ce que l'on aimerait voir demain. Les projets qui se développent autour de l'agriculture durable sont à mon sens un bel exemple, car on lutte contre la destruction de la nature, tout en cherchant à construire de nouveaux modèles, plus positifs.

Existe-il des modèles juridiques fondés sur les droits de la nature à l'étranger dont le système juridique français pourrait s'inspirer ? 

Il y en a qui me plaît beaucoup : le modèle de protocole de consultations autochtones, qui s'est développé au Brésil, notamment avec la lutte contre le grand barrage du Belo Monte. En voyant qu'ils n'étaient pas écoutés par les acteurs de ces grands projets, les peuples ont commencé à écrire leurs propres protocoles de consultation en précisant de quelle manière ils souhaitaient être consultés pour chaque projet, chaque décision politique susceptible de produire un impact sur leur vie.

Avec cette démarche, le collectif est placé au cœur de l'action, on raisonne ensemble, en tant que groupe et non en tant qu'individus. Je pense que ce fonctionnement est essentiel car il représente l'avenir d'une démocratie participative. L'idée de la Convention citoyenne, qui est un vrai ovni démocratique, était à l'origine très bonne car elle montre que l'on peut trouver d'autres manières d'avancer ensemble, de construire une démocratie plus adaptée à nos territoires.

Qui sont les gardiens de la nature que vous évoquez dans votre livre ? 

Les citoyens que j'appelle les gardiens de la nature sont des personnes qui s'émancipent des lois humaines pour nous faire comprendre qu'il existe des lois régies par la nature auxquelles l'humain ne peut se soustraire. La science nous démontre par exemple que les règles qui valorisent la croissance et le profit au détriment des autres ne sont pas cohérentes avec les lois de la physique et de la biologie, car elle perturbe la planète à tel point qu'elles sont en train de la rendre inhabitable.

Les personnes qui privilégient les lois intangibles de la nature en centrant la protection des droits humains au sein de cette communauté du vivant l'ont bien compris. Les droits de la nature sont bien plus grands que les systèmes anthropocentrés que nous avons créés. Ils sont octroyés aux gardiens de la nature, par exemple aux peuples maoris en Nouvelle-Zélande avec le fleuve Whanganui ou encore le fleuve Atrato en Colombie. On est dans une volonté de prendre des décisions, d'être dans l'action. En France aussi, on constate que les habitants sont les meilleurs gardiens de leur territoire.

Il est urgent de retrouver un équilibre entre le pouvoir démocratique et le pouvoir des citoyens, écartés depuis longtemps dans des décisions qui les concernent pourtant en premier lieu. L'Assemblée nationale est par exemple très peu représentative de notre intérêt général, car les gens qui y siègent sont majoritairement des personnes privilégiées de nos sociétés. Le statut du gardien de la nature est nécessaire si l'on veut réformer nos institutions, qui aujourd'hui ne nous permettent pas d'être à la hauteur des enjeux de notre siècle. 

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