Capdenac-Gare. Culture : Marie-Hélène Lafon romance les vies de nos terroirs

Abonnés
  • Marie-Hélène Lafon romance les vies de nos terroirs
    Marie-Hélène Lafon romance les vies de nos terroirs
  • Marie-Hélène Lafon romance les vies de nos terroirs Marie-Hélène Lafon romance les vies de nos terroirs
    Marie-Hélène Lafon romance les vies de nos terroirs
Publié le , mis à jour
Philippe Henry

La romancière a obtenu le prix Renaudot pour son dernier roman, "L’Histoire du fils", paru aux éditions Buchet-Chastel.

La romancière Marie-Hélène Lafon poursuit son œuvre, dans le sillon d’une France parfois oubliée, avec un treizième roman, Histoire du fils, paru aux éditions Buchet-Chastel. Après "Joseph" (2014) ou de "Nos vies" (2017), l’écrivaine nous embarque cette fois dans une fresque familiale, qui embrasse un siècle d’histoire, de 1908 à 2018, et donc plusieurs générations.

"L’Histoire du fils" commence par un drame. Nous sommes en 1908 à Chanterelle, petit village du Cantal. Armand, quatre ans, se réveille, impatient de rejoindre sa nounou Antoinette dans la cuisine, pendant que son frère jumeau, Paul, dort toujours.

Dans ce roman, la vie des protagonistes est rythmée par les lessives qui durent des jours, les colères du père, la grande toilette du samedi soir, les dictons de la tante Marguerite et le carillon de la salle à manger, qui quand il sonne la demie de huit heures, autorise Armand à se lever. Des récits d’existence qui évoqueront de nombreux souvenirs à nos aïeuls.

Dans la cuisine, l’eau de la lessive a été mise à bouillir. Quand Armand descend se jeter dans les jambes d’Antoinette, l’élan de ce début de journée "s’achève dans un cri déchiré qui réveille Paul".

C’est ensuite à André que l’on s’attache, le fils né de Paul encore mineur, avec Gabrielle, de 20 ans son aînée, l’infirmière du lycée d’Aurillac où il est pensionnaire. André, personnage central de l’histoire, est élevé à Figeac avec ses cousines par sa tante Hélène, la sœur de Gabrielle, et son mari Léon. André ne sait rien de son père et ne voit sa mère biologique qu’une seule fois par an, "une mère intermittente", aime à rappeler Marie-Hélène Lafon, pendant l’été, quand elle descend de Paris.

A travers les époques

L’écrivain balade sa plume à travers les époques, les mœurs, tisse son récit autour de personnages dont on ne sait finalement pas grand-chose, tout en sachant l’essentiel ce qui les caractérise.

Mais la romancière construit patiemment ses textes, un peu comme les artisans d’autrefois travaillaient consciencieusement leurs objets ou les paysans qui labouraient leurs terres.

Le récit, dense, est ramassé en 180 pages. Le personnage principal y tente, tout au long de sa vie, de "flairer les traces de ce père".

Pour son dernier livre, L’Histoire du fils, Marie-Hélène Lafon a obtenu le prix Renaudot. Salué par la critique et les lecteurs, ce roman pourrait s’inscrire dans cette veine des romans de terroir. Mais, l’auteur fait à chaque fois un pas de côté pour se placer dans une thématique qui devient universelle, au-delà du simple récit de nos campagnes. Un partage des bonheurs simples, mais également des secrets de familles qui parcourent et façonnent les existences. Que l’on en soit conscient ou non.

Comment est née "L’Histoire du fils" ?

C’est une histoire de famille, un secret de famille de famille qui a éclaté en 2012, comme un fruit trop mûr. J’ai été le réceptacle de cet événement, j’ai été prise comme témoin. Mais avant de commencer à écrire, il s’est écoulé plusieurs années. Trois années durant lesquelles il ne s’est rien passé, si ce n’est une longue rumination, une fermentation des idées. Comme toujours, j’attends que la matière se décante. Qu’il ne reste qu’une chose de suffisamment solide pour pouvoir l’exploiter.

Cette histoire se passe entre le Cantal, le Lot et Paris. Trois pôles géographiques étaient en place pour tisser le fil de ce récit. Il y a ensuite les personnes pour lesquels j’ai puisé dans l’existence et la vie, tout en prenant suffisamment de distance. Je ne décide de rien. J’ai toujours été en position d’observatrice.

À l’origine de ce roman, vous dites avoir été prise "comme témoin" de cette histoire familiale. Comment s’est passée cette rencontre ?

C’est une famille adjacente à la mienne. J’en ai été le témoin assigné, comme en direct, à l’écriture. On m’a présenté l’homme qui est devenu dans la vie le personnage d’André.

Pourtant, on a l’habitude de dire que les secrets de famille sont bien gardés, surtout dans nos régions.

C’est effectivement le cas, mais j’avais la confiance de cette famille. Et j’ai surtout pris garde à ne pas la trahir. à respecter cette histoire.

On peut avoir l’impression, en tournant les pages de votre roman, de découvrir à chaque chapitre un nouveau tableau, de nouvelles images. Pour tisser un récit très imagé.

Effectivement, on peut aborder le roman ainsi. Il y a des motifs, des lignes qui se dessinent au fur et à mesure de l’avancée du récit. Apparaît ensuite un motif, un tableau. Avec ses couleurs, accompagnées par des sensations, des odeurs. Tout une mosaïque se met alors en place. Des images, des sensations, des odeurs, des couleurs particulières. C’est ce que j’essaie toujours de retranscrire, ces images et ces sensations qui ont parcouru notre vie.

Cet épisode si particulier du confinement, le premier au mois de mars dernier, a-t-il modifié vos habitudes de travail ?

J’ai été isolé dans le Cantal durant quatre mois. J’y suis resté du 16 mars au 14 juin. Cela faisait des années que je n’y avais pas passé autant de temps. J’ai vécu d’une manière totalement organique ce printemps, avec une explosion de couleurs et d’odeurs. Je n’avais pas vu le printemps depuis 40 ans. Je suis dans un émerveillement constant de la beauté du pays et des paysages.

Aussi, même si je vis aujourd’hui à Paris, je n’ai jamais eu ce regret du monde paysan. Je suis vacciné contre la nostalgie. J’ai toujours plaisir à me retrouver dans le Cantal. Ce lien est là, et il est définitif. En temps normal, je m’y rends plusieurs semaines par an. Je me retrouve ainsi en vase clôt. On me catalogue parfois comme écrivain du terroir. Mais je ne suis pas le chantre de la cause paysanne, du monde paysan. C’est d’ailleurs une question très complexe que je ne peux traiter entièrement.

Où trouvez-vous la matière pour vos romans ?

Dans la vie, tout simplement. Et cette matière est pour moi inépuisable. C’est toujours le réel, et cela restera toujours le réel. Cela fait plus de vingt ans que je la travaille. J’ai toujours des textes à l’étude. Mes récits sont souvent plutôt brefs et courts. Ramenés à l’essentiel, épurés.

Vous semblez aborder l’écriture comme une véritable discipline physique.

C’est non seulement pour moi une discipline physique, mais c’est aussi une discipline de vie. J’entretiens un rapport charnel à l’écriture. J’aime cette image du paysan qui laboure patiemment sa terre, qui creuse son sillon. Celle aussi du maçon qui construit patiemment son mur. Je ne prends jamais de notes avant d’écrire un roman. Je laisse mûrir les idées. L’attente c’est fondamental. La tension de la phrase, cela doit être la tension d’un fil de fer barbelé.

Cet article est réservé aux abonnés
Accédez immédiatement à cet article
2 semaines offertes
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?