Adeline Dieudonné, l'insoumise de la fiction belge

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    Écrivaine belge Adeline Dieudonne Kenzo TRIBOUILLARD / AFP
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Relaxnews

(AFP) - Adeline Dieudonné écrit assise sur un banc de yoga mais cette posture est loin d'apaiser son indignation face aux violences du monde et la domination des plus forts, une colère froide, carburant de récits percutants.

Son premier livre "La vraie vie", un conte familial glaçant paru en 2018, a changé la sienne.

Phénomène d'édition avec 300.000 exemplaires vendus, il a été récompensé de nombreux prix en Belgique, en France et au Québec (prix du roman FNAC, prix Renaudot des lycéens...).

Un succès dont elle a été la première surprise, suivi d'une "grosse pression" pour passer l'épreuve redoutable du deuxième livre.

"J'étais un peu paralysée par l'attente" des lecteurs, confie-t-elle à l'AFP, installée dans la chambre de sa jolie maison de Bruxelles, son antre d'écriture - 4 heures par jour en moyenne - où elle travaille sur un simple bureau de bois.

Pour "Kerozene", sorti début avril, toujours chez L'Iconoclaste, sa plume s'est faite plus acide, plus frontale, pour camper une dizaine de personnages souvent à la dérive de leur vie, qui se croisent un soir autour d'une station-service d'une autoroute des Ardennes.

Dans ce roman choral, elle décrit leur solitude, leur précarité, leurs obsessions ou leurs peurs à coups de phrases courtes et d'images fortes.

"Il y a énormément de violence dans notre monde, je ne peux pas ne pas la voir. Elle est omniprésente, plus j'avance en âge, plus j'y suis sensible", confie la jeune femme blonde de 38 ans, que révulse le sort des migrants noyés en Méditerranée, celui des SDF ou encore celle que l'homme inflige aux animaux.

- Humour grinçant -

Ces derniers ne sont pas oubliés par cette amie des bêtes (deux chats et trois poules) mais cette fan de l'Américain Stephen King ajoute souvent une note d'étrangeté.

Un petit cheval martyrisé deviendra un champion avant de se venger de son bourreau, une truie adoptée par un couple dort sur le canapé du salon. Sans oublier un dauphin cauchemardesque.

Celle qui a pratiqué sur scène l'art de l'improvisation ose les métaphores crues - du sang gicle comme du "jus de purin" d'un mari trucidé - mais l'humour permet au lecteur d'éviter l'asphyxie.

Il est noir et grinçant, comme ce couple de gynécologues qui examinent leur future belle-fille pour s'assurer du bon état de son utérus. "Le ventre idéal", tiré de "Kerozene", doit être adapté au cinéma tout comme "La vraie vie" dont le casting est en cours.

La pièce se jouera avant, en juin dans un théâtre au sud de Bruxelles, si la pandémie le permet, avec l'écrivaine dans le rôle de la narratrice.

Dans son deuxième livre, Adeline Dieudonné pousse le curseur encore plus loin pour s'indigner de l'état de notre société. Mais celle qui se décrit comme ayant été élevée "plutôt du côté des dominants" (un père pilote automobile, une mère entrepreneuse) est très attentive à "ne pas véhiculer de clichés" sur ceux qu'elle juge "discriminés".

- "Une grande soupe" -

"J'ai grandi dans les années 80/90, dans une société profondément raciste, homophobe, misogyne. Dans notre monde, les rapports de domination sont extrêmement forts", tranche-t-elle. Si ses livres peuvent "contribuer à faire changer les mentalités, tant mieux", confie cette mère de deux filles.

Dans "Kerozene", elle "est extrêmement libre, elle est là où elle veut aller. C'est le livre de l'affranchissement", estime l'auteur belge, Thomas Gunzig, qui l'a poussée à écrire.

Il récuse le terme de trash employé par certains critiques. "C'est une sorte de tableau de l'humanité en 2021, empathique avec ses personnages, sans haine, sans jugement, une manière de les aimer même dans leurs travers les plus épouvantables", dit-il à l'AFP.

Après ses chanteurs et ses humoristes, cet imaginaire débridé est-il un nouveau reflet du dynamisme de la scène culturelle belge ?

"On a une grande liberté en Belgique, peut être lié au fait qu'on n'a pas un pouvoir fort. En France, vous avez un pouvoir très fort et les contestations sont réprimées. Ici, on ne sait pas exactement qui nous dirige, on a un roi pour le protocole, un an sur deux on n'a même pas de gouvernement. Il y a une espèce de grande soupe, on est beaucoup plus livrés à nous-mêmes", suggère la romancière.

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