"La femme, le féminin et la féminité passent encore beaucoup trop par les cheveux" (Aurélie Marchi - "La Vénus se rebelle")

  • "La Vénus se rebelle" d'Aurélie Marchi aux Editions Leduc. "La Vénus se rebelle" d'Aurélie Marchi aux Editions Leduc.
    "La Vénus se rebelle" d'Aurélie Marchi aux Editions Leduc. Courtesy of Editions Lecuc
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Relaxnews

(ETX Studio) - Lorsqu'elle décide de se raser les cheveux, Aurélie Marchi ne s'attend pas à ce que cet acte, qui peut pourtant sembler anodin, change non seulement sa vie, mais également son rapport aux autres, proches comme inconnus. Dans "La Vénus se rebelle", elle fait part de son expérience, entre stéréotypes, injonctions masculines, mais aussi émancipation et affirmation de soi, qui donne à réfléchir sur la place de l'apparence dans une société qui semble loin d'en avoir fini avec certains diktats.

Vous avez beaucoup réfléchi avant de vous raser la tête. Peut-on se demander s'il est normal qu'une femme se pose autant de questions, ait autant de doutes, avant de passer à l'acte ?
Non, ce n'est pas normal de devoir réfléchir à ce point avant de se décider. Plusieurs mois m'ont été nécessaires. Et c'est justement tout l'intérêt de parler de ce passage à l'acte. Il démontre à quel point les cheveux, l'apparence, dans le monde dans lequel nous vivons, sont loin d'être des questions futiles. Je trouve déjà si difficile d'être crédible, prise au sérieux au quotidien et a fortiori dans un milieu professionnel. Je ne pouvais me lancer 'tête rasée', sans réfléchir ! Une anecdote me revient en mémoire. Juste après avoir fini mes études, j'ai passé un entretien d'embauche pour un de mes tout premiers jobs. Une fois le rendez-vous passé, j'ai su que mon futur chef avait fanfaronné auprès de deux de ses collaboratrices : 'Vous avez vu, au moins elle est jolie !'. Ces dernières m'en avaient fait la confidence une fois en poste. J'étais très en colère, car j'avais expérimenté ce sentiment terrible de ne pas se sentir légitime, de ne pas avoir les compétences. J'avais pourtant déployé des trésors d'ingéniosité pour argumenter de ma capacité à remplir ma mission et gommer mon absence d'expérience. Et non, ce que ce chef a retenu, c'est mon apparence. Alors est-ce que j'aurais dû prendre ma tondeuse sans réfléchir ? Oui, je pense désormais ainsi. Car les réactions diverses et variées me l'ont bien prouvé : on m'a reproché d'avoir agi de façon déraisonnée ! Un comble tout de même ! C'est dire si cela n'aura pas vraiment servi de me torturer la tête à coups de questions et non de tondeuse !

Quelles ont été les premières réactions ?
La plus évidente, c'est la folie ! 'Mais tu as perdu la tête'. Non, ma tête était toujours bien vissée sur mon cou, j'avais juste 'perdu' mes cheveux d'un coup ! La plus vexante, c'est la déraison. 'Mais tu es tombée sur la tête, tu as fait cela sans réfléchir'. Et bien non, c'est tout le contraire. Justement parce que je savais que j'allais avoir droit à toutes ces réactions, et même bien davantage. La plus stéréotypée fut : 'on va penser que tu es lesbienne'. C'est choquant. Aujourd'hui si vous portez les cheveux très courts, certaines personnes vous pensent lesbienne. C'est d'une étroitesse d'esprit déplorable, et aussi la triste réalité. Il serait apparemment impossible d'avoir une sexualité hétérosexuelle et les cheveux courts, et inversement, aimer les femmes tout en étant une femme aux cheveux longs. La réaction la plus encourageante s'est traduite par des femmes qui étaient très impressionnées par ma coiffure ! J'étais courageuse d'avoir osé ce geste radical. Par opposition, ma coupe devait forcément être la partie émergée d'un iceberg pour d'autres : 'elle a dû vivre quelque chose de terrible'. Comme un signe d'une volonté de faire table rase de je-ne-sais-quoi. Et presque inévitablement, on a aussi pensé que j'étais malade. Avant que les traitements aient des effets délétères sur mes cheveux, certaines personnes pensaient que j'avais pris les devants. Cependant, elles n'osaient même pas me poser la question afin de ne me pas me confronter dans un moment douloureux. Pourtant même sans le dire, le choc sur leur visage parlait pour elles. Elles avaient peur, pitié pour moi.

Certaines réactions ont même été directement adressées à votre mari ? 
Oui, une réaction tout à fait rétrograde et à laquelle je ne m'attendais vraiment pas fut : 'et ton mari, qu'en pense-t-il ?'. Comme si je devais avoir l'aval de la personne qui partage ma vie alors qu'il s'agît de ma coupe de cheveux, de mon visage. J'ai donc pris conscience que nombre de femmes n'étaient pas forcément complètement libres de leurs actions, même les plus intimes et personnelles. Oui, au XXIème siècle, être une femme qui fait ce qu'elle veut de ses cheveux, cela interpelle, dérange, choque, amuse. Tout cela pour des cheveux !

Vous vous référez à l'Histoire pour démontrer que les cheveux sont synonymes de séduction, voire d'attributs sexuels. Dans quelle mesure avez-vous ressenti ce stéréotype ?
C'est là toute la beauté de la chose. Avant de me défaire de mes longueurs, je ne le ressentais pas ou très peu. C'est un état de fait tellement ancré depuis toujours que je n'ai pas pu le penser au préalable. Toutes ces situations, des plus rocambolesques aux plus rudes, m'ont permis de comprendre la prévalence des cheveux longs dans la séduction. Car oui, comment pourrais-je être belle si je n'ai plus de cheveux ? Comment vais-je séduire si je n'ai plus de cheveux ? Et même si mon mari ne m'a jamais dissuadée de me couper les cheveux, il m'a tout de même confié avoir une préférence pour les cheveux longs. Et je l'ai compris grâce à toutes ces femmes qui m'expliquaient avoir peur d'aller chez le coiffeur. La coiffure joue pour une part très - trop - importante dans la perception de sa beauté. Mon mari lui-même a été surpris du toucher de mon crâne durant l'acte sexuel. Nous avons dû réapprendre la volupté du corps, de la tête sans les cheveux, source de douceur et de caresse. Pour ma part, la première fois où j'ai fait connaissance avec mon visage sans cheveux, je ne me suis pas trouvée belle immédiatement. Les cheveux ont un impact sur l'image et la perception de ma capacité à séduire. Si je ne me trouve pas belle, qui le fera pour moi ? J'ai donc pris le temps d'apprivoiser mon visage, sans plus de cheveux derrière lesquels me cacher.

Paradoxalement, votre crâne rasé a été une source de harcèlement de rue à caractère sexuel. Comment l'expliquez-vous ?
Oui, c'était très étrange. De nombreux hommes me regardaient davantage comme objet de désir. Comme beaucoup trop de personnes, je subissais déjà un harcèlement de rue avant de me raser la tête. Mais cette coupe l'a décuplé. Des hommes m'interpellaient, m'arrêtaient, pour me complimenter d'abord, puis me demander avec insistance d'autres choses. Avec le temps, j'ai émis l'hypothèse que ce crâne rasé était comme un fantasme de ma nudité complète. Comme si mon crâne nu faisait écho à un pubis nu. Me raser la tête leur offrait ce fantasme je crois. Je pense que cela devait traduire une telle audace, qu'ils devaient s'imaginer que je n'avais plus aucune limite, je pouvais accepter toutes les propositions qui se présentaient à moi. Après tout, je m'étais rasé le crâne, donc pourquoi ne pas céder à toutes les faveurs ! Et puis quoi encore ?

Vous dîtes 'Le jour où j'ai coupé mes cheveux, j'ai perdu quasi simultanément mon identité'. Il est question de votre identité personnelle, mais aussi de votre identité en tant que femme. Comment une simple coupe de cheveux peut-elle avoir de telles conséquences ?
Simplement parce j'ai osé sortir des sentiers battus. En étant différente, je n'étais plus reconnue en tant que personne. L'humain est un animal social, vous devez appartenir à un groupe pour exister. Cette singularité était si visible qu'elle est devenue la seule constituante de mon identité. J'étais la 'fille au crâne rasé'. Pas la femme émancipée, ni la femme audacieuse, non, la femme au crâne rasé. On me comparait sans cesse à d'autres femmes ayant joué de la tondeuse avant moi, notamment des actrices ou des personnalités. Une fois de plus, tout nous ramène au diktat du féminin aux cheveux longs ! La femme, le féminin et la féminité passent encore beaucoup trop par les cheveux. Sans cheveux vous devenez méconnaissable. Une autre, peut-être même neutre. Et tout à fait paradoxalement, asexuée. Sortir des codes auxquels nous sommes toutes et tous habitués dérange.

Pensez-vous qu'un homme qui décide d'avoir les cheveux longs vivrait la même expérience ?
Pour commencer, je vais d'ores et déjà aborder la question des hommes au crâne rasé avant d'aller vers les cheveux longs. Je me suis interrogée à ce sujet afin de comprendre s'il s'agissait d'une problématique exclusivement féminine de se sentir dépossédé d'un attribut. À ma grande surprise, une connivence de cheveux courts s'est installée avec les hommes ayant le crâne rasé. J'ai pu parler avec un de mes amis des difficultés à aborder la calvitie précoce par exemple. Pour lui aussi, sa nouvelle image, la perception de sa beauté, étaient remises en question de fait. J'ai donc compris que, quel que soit le sexe, nous étions conditionnés depuis toujours, mais avec des stéréotypes différents. La virilité pour les hommes est grandement liée à la présence de cheveux. Et là encore, nous sommes dans quelque chose de très normé. Si les cheveux longs sont l'apanage des femmes, de nos jours, pour les hommes, les cheveux courts prédominent encore comme la norme acceptable du plus grand nombre. La chute des cheveux affecte la confiance en soi, l'estime de soi, renvoi à une image de vieillesse. Donc non, ce n'est pas qu'une question de féminité ! Mais aussi de masculinité ! J'en arrive enfin à la question des cheveux longs pour les hommes. Depuis le vent de liberté qui a soufflé sur la jeunesse masculine dans les années 70 avec le mouvement hippie, le cheveu long pour les hommes est tantôt négligé, tantôt sale, trop souvent associé aux mouvements rastafari ou de hard rock metal. Et même si depuis plusieurs années les hommes libèrent leurs longueurs, le chemin vers l'acceptation de la différence capillaire est encore long. Les cheveux longs, pour un homme, font aussi couler de l'encre. Eux non plus ne sont pas épargnés par les diktats sur l'apparence.

Il est question de notre rapport stéréotypé aux cheveux, mais il aurait pu être question de poils, de maquillage, de tenues vestimentaires… Que faire pour que les femmes soient libres de disposer de leur corps sans craindre les stéréotypes, les clichés, les insultes ?
Tout à fait. Les cheveux constituent un point de départ à une réflexion élargie liée à l'apparence, et aux diktats d'un corps idéalisé, de l'apparence normée, 'parfaite' et surtout irréelle. Alors, comment faire pour se sentir libre ? C'est une vaste question. À mon sens , nous pouvons jouer sur deux niveaux : individuel et collectif. Il me parait d'abord judicieux d'en parler, encore et encore, pour expliquer, dédramatiser. Nous devons apprendre à regarder la différence physique, de toute nature, sans peur, sans pitié, sans curiosité malsaine et surtout avec bienveillance et compassion ! L'éducation me parait un axe tout aussi essentiel. Et pas uniquement auprès des plus jeunes, mais à tous les âges de la vie. Apprendre notamment que complimenter une femme sur son physique quoi qu'elle fasse est une manière de la maintenir dans ce rôle d'apparat social ! Prendre de la hauteur sur les publicités, magazines, et tout autre support ventant la beauté physique, est à mon sens, également une stratégie payante. La publicité, qui tenterait de nous convaincre que tous ces produits, soins, programmes amincissants, sont nécessaires, induit le postulat que personne ne suffit à lui-même, tel qu'il est, telle qu'elle est. C'est, à mon sens, totalement aberrant !

Finalement, regrettez-vous d'avoir tout rasé ?
Bien au contraire ! Ce fut une expérience mémorable à bien des égards. Me raser la tête m'a permis de gouter à une sensation de liberté comme je ne l'avais jamais expérimentée auparavant. Je n'avais pas réalisé à quel point mes cheveux pouvaient être un fardeau à porter avant de m'en délester. À quel point je passais du temps, de l'énergie, de l'argent, à faire en sorte de les coiffer pour me sentir belle. Me débarrasser de tout cela, vivre sans ces contraintes fut une aventure extrêmement jouissive. Je ne pense pas ravoir les cheveux longs ou mi-longs un jour. Mais s'il y a bien une chose que j'ai compris à travers l'écriture de ce récit, c'est qu'il ne faut jamais dire jamais. Je laisse libre cours à mes pensées. Je ne passe pas à l'acte pour tout, mais je ne censure plus mes pensées. A ce titre, j'ai abordé avec beaucoup de sérénité les quelques mois de fermeture contraintes de nos coiffeurs et coiffeuses. Mes cheveux étaient le cadet de mes soucis. J'ai toujours ma tondeuse ! 

* "La Vénus se rebelle", Aurélie Marchi, Editions Leduc - Sortie le 11 mai 2021.

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