Cassagnes-Bégonhès. Aveyron : dans l'agriculture, la cartographie satellite utilisée pour mieux gérer les besoins des sols

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  • Julien Fraysse contrôle le fonctionnement de son épandeur depuis son poste de commande.
    Julien Fraysse contrôle le fonctionnement de son épandeur depuis son poste de commande.
  • Julien et Mathieu Fraysse utilisent cette méthode depuis quatre ans.
    Julien et Mathieu Fraysse utilisent cette méthode depuis quatre ans. Centre Presse - José A. Torres
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Guilhem Richaud

À Cassagnes-Bégonhès, Julien et Mathieu Fraysse utilisent les nouvelles technologies pour faire de l’agriculture de précision.

Julien Fraysse est agriculteur depuis 34 ans. Alors forcément, si on lui avait dit, à ses débuts, qu’il utiliserait un jour des relevés cartographiques satellites et des robots pour faire son travail, il aurait eu du mal à y croire. Pour son fils Mathieu, qui l’a rejoint dans le Gaec de Calviac il y a quelques années, commune de Cassagnes-Bégonhès, la chose est déjà plus intuitive. Les deux hommes se sont lancés, il y a quatre ans déjà, pour la gestion des intrants sur leurs 60 hectares de cultures de céréales dans l’agriculture de précision. C’est un peu par hasard que Julien a découvert, il y a quelques années lors d’une formation proposée par la RAGT dans le Tarn, que des techniques permettaient de mieux contrôler la quantité de produits, que ce soit des engrais, des herbicides, ou des oligo-éléments à mettre dans le sol. "J’ai participé à cette formation sur la fertilisation des céréales, se souvient-il. Ils ont évoqué le sujet des cartographies pour mieux maîtriser et suivre l’épandage des engrais. Quand je suis revenu, on en a parlé avec Matthieu. On avait déjà un appareil qui permettait de le faire, mais qu’on n’exploitait pas. On a étudié le sujet et on a décidé de se lancer dans cette aventure."

Depuis quatre ans donc, les deux hommes travaillent, via la RAGT, avec une société spécialisée dans la cartographie des sols par satellite, qui permet de mesurer la bonne quantité de produits à mettre dans les sols. Les deux agriculteurs, qui, en plus des céréales, élèvent aussi des vaches, utilisent ce procédé pour épandre l’engrais, mais aussi pour pulvériser différents produits, chimiques ou non.

Réduire les risques de pollution des sols et des rivières

Parmi les pionniers en la matière en Aveyron, après quatre années à utiliser ce procédé, Julien et Mathieu Fraysse peuvent déjà tirer un premier bilan. "C’est difficile de juger si on consomme moins d’engrais, reconnaît le père. Je ne pense pas car on reste avec la même dose moyenne. Mais avant, on avait des endroits sous-fertilisés et d’autres surfertilisés. Aujourd’hui, nos parcelles sont plus homogènes. " Et sont donc censées, même si c’est difficile à quantifier précisément, produire de façon plus efficientes. " Ce que je retiens surtout, c’est qu’il n’y a pas de doublures, pas de surfertilisation, donc pas de pollution", lance Julien Fraysse. Une donnée capitale pour une exploitation installée dans le bassin-versant du Viaur. "On est en zone vulnérable, il y a des mesures tous les ans pour voir s’il n’y a pas de reliquat." Et les résultats sont parlants puisque les taux de nitrates sont très faibles, bien en dessous des normes à ne pas dépasser. "Cela veut dire que ce qu’on a mis a été consommé, analyse l’agriculteur. On met dans la terre uniquement ce dont la plante a besoin." Pour les paysans, c’est également un gain réel de praticité.

La méthode est donc probante, mais pour le moment, elle n’a encore que peu d’adeptes en Aveyron. En effet, une machine comme l’épandeur coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. Même chose pour le pulvérisateur que vient d’acquérir Mathieu Fraysse cette année. Un frein réel à une généralisation de ses pratiques qui sont pourtant porteuses de valeurs environnementales. Mais, pour chaque avancée, il faut des pionniers. La famille Fraysse fait partie de ceux-là.

Comment ça marche ?

Le procédé de la cartographie par satellite est précis : début mars, Julien et Mathieu Fraysse ont reçu un premier relevé du niveau de biomasse dans leurs parcelles céréalières. Il s’agit d’une carte qui mesure le niveau de végétalisation matérialisé par des nuances de vert. Plus les zones sont foncées, plus il y a de végétation, plus c’est clair, moins il y en a. "Sur cette première carte, il y a beaucoup de contraste, détaille Mathieu, qui s’occupe davantage de la partie technique. Mais c’est normal. Dans nos régions, nous avons des parcelles extrêmement hétérogènes. Et s’il y a certaines zones où on peut repérer de visu les différences, sur d’autres, ce n’est pas le cas. On ne pourrait pas le faire sans ces cartes." À partir donc de ces relevés, la société prestataire fournit une préconisation d’apport d’engrais, via une seconde carte. Dans les zones où la biomasse est importante, il faut mettre peu ou pas d’engrais et à l’inverse, là où elle est peu présente, il faut en mettre davantage. Par rapport à l’apport moyen, les deux agriculteurs notent que les doses peuvent varier de plus ou moins 25 % dans un sens comme dans l’autre.

Le 20 mars, donc, Julien a fait un premier épandage dans ses champs. Pour cela, l’épandeur est installé à l’arrière d’un tracteur. L’outil sait en temps réel la quantité de produit qu’il contient et celle qui s’écoule de ses deux semoirs, qui permettent d’épandre sur une largeur de 24 m. Dans sa cabine, l’agriculteur peut contrôler le passage sur un ordinateur intégré. Une fois les cartes enregistrées dans l’outil, il n’a plus besoin de faire quoi que ce soit hormis faire avancer le tracteur. Le semoir, lui, grâce à un GPS, gère tout seul l’ouverture et la fermeture des buses et les quantités envoyées, ce qui permet de mettre la bonne quantité là où il faut et de s’assurer qu’il ne passe pas deux fois au même endroit.

Trois semaines après ce premier passage, Julien et Mathieu Fraysse ont reçu de nouvelles cartes. Un délai nécessaire pour laisser la végétation absorber l’engrais et pousser en conséquence. La parcelle était alors beaucoup plus homogène puisque 94 % de la surface était désormais classée dans la même tranche. La société, qui s’occupe des cartes, est alors capable d’estimer le rendement que peut apporter la parcelle, et l’engrais qu’il manque pour arriver à ce niveau. Des doses évidemment bien moins importantes que lors du premier passage, voire quasi nulles à certains endroits. Ce nouveau passage a été mis en œuvre le 23 avril.

Les agriculteurs de plus en plus confrontés à l'"agri-bashing"

C’est Mathieu Fraysse qui raconte l’anecdote. Et elle est assez parlante sur un "agri-bashing" de plus en plus important que regrettent les agriculteurs.

"Il y a quelque temps, mon père devait faire de la pulvérisation, sauf qu’il y avait pas mal de vent. Dans ces cas-là, il ne faut pas le faire car il y a des pertes importantes puisque le produit s’envole. En fin de journée, le vent s’est calmé et mon père est allé travailler le soir, avec les phares. On nous a reproché de nous cacher. Non, ce n’est pas le cas. C’était aussi à un moment de l’année où le sol était un peu sec. La plante, pour qu’elle absorbe le produit, il faut qu’il y ait de l’humidité. Ce qui est le cas le soir. Pulvériser dans ces conditions permet d’abaisser les doses, et donc de mettre moins de produits. Ce n’est pas pour se cacher, mais pour que ce soit plus efficace."

Coller à la réalité et être au plus près des besoins

Au moment d’évoquer leur manière de travailler, Julien et Mathieu Fraysse ont hésité tant le sujet des intrants est sensible en agriculture. "Ce qui me chagrine le plus dans cette histoire d’image, c’est qu’on essaie seulement de coller à la réalité et d’être au plus près des besoins, assure le père. On est conscient qu’on a un gros travail d’image à faire."

La démarche de la cartographie satellite pour mieux s’adapter aux besoins des cultures va dans ce sens : optimiser les pratiques pour ne pas surconsommer. Si les deux agriculteurs l’ont fait ces dernières semaines avec des engrais, leurs machines permettent également de mesurer les besoins en herbicides et fongicides, indispensables dans l’agriculture conventionnelle. Mais ils pulvérisent également des oligo-éléments liquides, nécessaires pour l’équilibre et le développement du blé et qui évitent les carences, qui sont utilisés dans l’agriculture biologique.

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