À Paris, le pari gourmand des chefs aveyronnais Michel et Sébastien Bras

Le fracas des marteaux-piqueurs s’est tu depuis plusieurs mois. Seul résonne aujourd’hui, le bruit, plus mélodieux, des batteries. De cuisine celles-là, qui vibrent d’une sonorité mise en sommeil depuis trop longtemps.

À Paris ce lundi, les chefs Michel et Sébastien Bras ont présenté, avec une euphorie communicative, ce que sera la carte de la Halle aux grains, dernier défi des "Top chefs" aveyronnais sollicités par l’homme d’affaires François Pinault pour donner corps – et âme – au restaurant de la Bourse de Commerce à Paris. Dernière fantaisie du milliardaire breton, ce futur haut-lieu de l’art contemporain, dont l’ouverture est annoncée pour le 22 mai après plusieurs reports liés à la crise sanitaire, accueillera certainement ce qui est aujourd’hui l’une des plus belles collections au monde.

Bonne graine

Pour l’accompagner dans ce projet pharaonique estimé à plus de 150 millions d’euros pour la seule rénovation du bâtiment confié à l’architecte-star Tadao Ando, François Pinault avait fait appel voilà trois ans à Michel et Sébastien Bras. Deux chefs "comblés" et "agréablement surpris" de faire partie de cette aventure "en tous points exceptionnelle", se félicitent père et le fils.

Venu à Paris présenter le fruit de cette lente maturation à quelques jours de l’inauguration, le duo a ainsi tenu à dévoiler la philosophie qui a été la leur. Une philosophie axée sur la graine, maître mot de la future carte de la Halle aux grains, qui décline un répertoire inédit de leur cuisine. "Une cuisine de l’essentiel où le grain apporte sa tonalité", en tissant un lien avec l’histoire du lieu, originellement une ancienne halle au blé, et les mets que l’on retrouvera très bientôt dans l’assiette.

Depuis les premières ébauches, les chefs aveyronnais ont voulu insuffler en ces lieux "une cuisine simple, de bon sens, de liberté qui sait faire place à l’imperfection. Une cuisine vivante en somme", confie le père. Une cuisine dans laquelle grains, graines et semences de tous les pays et de toutes les familles apportent leur tonalité." Un travail de longue haleine qui a commencé par "un sourcing minutieux, un travail d’inventaire de ce patrimoine gustatif si riche".

"Il a fallu nous approprier le grain et mieux le comprendre, complète Sébastien. Nous l’avons goûté, fait germer, grillé, soufflé, infusé, fermenté et cuisiné de mille façons. Tous ça nous a aussi permis de faire de belles rencontres !"

Volée d’avoines cristallisées, lieu jaune à l’orge malté, chou de Pontoise juste tombé et Niac lentilles/orange, millefeuille de graines de courges caramélisées, poitrine de pintade d’Alice grillée, millet sauvage nourri de lait d’amande… Voilà pour les réjouissances du jour, que personne n’aura eu finalement le loisir de goûter. Les invités se contentant des seuls effluves aromatiques de ces premiers plats, déjà pleins de promesses.

Un goût d’Aveyron

Dans cet espace suspendu à la scénographie savante, orchestrée par les designers Ronan et Erwan Bouroullec, La Halle aux grains a aussi tenu, comme s’amuse Michel Bras, à "apporter une nouvelle touche d’Aveyron à Paris". Dans ce décor jouant entre contraste et monochromie, le faux-filet de bœuf de l’Aubrac s’amuse ainsi à dialoguer avec des ris d’agneau de l’Aveyron grillotés, une cuvée de vin de Marcillac glissant sur une bouchée de Roquefort, un "petit chèvre" de la vallée du Lot… Aurait-il pu en être autrement ?

"Non, reconnaît Sébastien, cette carte reflète aussi notre approche de la cuisine, de la convivialité qui en résulte. C’est pourquoi nous avons voulu travailler avec des produits et des personnalités que nous connaissons depuis de longues années."

Parmi eux, on retrouvera bien sûr le sommelier du Suquet Sergio Calderon qui s’est lui aussi laissé envoûter par l’esprit des lieux en élaborant, là encore avec des amis, des cuvées uniques, exclusives et inédites que seule la Halle aux grains mettra à sa carte. Pendant trois années, lui qui œuvre aux côtés de la famille Bras depuis 30 ans, a sillonné le terroir français pour convaincre les vigneronnes et vignerons français de dépasser les appellations pour se concentrer sur l’essentiel : le cépage.

Le résultat est à tomber : une carte inédite de bouteilles issues de 30 cuvées, raisonnées, goûteuses, identitaires et décomplexées, à boire en toute simplicité. Comme un hommage à la sincérité de celles et ceux qui les ont créées, comme un hommage aussi à l’esprit de la Halle aux grains qui sème définitivement les germes du succès.