Rodez. A Rodelle, la Ferme de Mayrinhac casse les codes
Dernier d’une longue lignée d’agriculteurs, Guillaume a rejoint son père, Pierre, pour perpétuer la "belle histoire" de la Ferme de Mayrinhac. elle qui rayonne aujourd’hui partout en France n’a pas cédé pour autant au diktat du "toujours plus". Rencontre avec la famille Méjane et son nouveau modèle d’agriculture qui, à la productivité à tous crins, oppose aujourd’hui la sobriété, l’éthique, la transparence, le sain et le bon.
Des champs à perte de vue, verdoyants, et le ciel d’un bleu infini pour horizon. Dans ce décor de carte postale, à quelques encablures de Bozouls et du canyon qui fait la renommée de ce petit village aveyronnais, la Ferme de Mayrinhac respire la nature. Installée là, à Rodelle, depuis plusieurs générations, l’exploitation familiale élève et transforme porcs et agneaux en une soixantaine de produits tout aussi bons que sains.
Des produits – pâté de campagne, saucisse, rôti de porc, gigot d’agneau… – que l’on retrouve sur quelques bonnes tables parisiennes, quelques moyennes surfaces mais surtout sur les marchés.
À Paris encore, à Montpellier, mais surtout en Aveyron. À la tête avec son père de la Ferme de Mayrinhac, Guillaume, 27 ans, tout en moustache, tresses et tatouages explique ce choix : "Notre objectif a toujours été de travailler le plus près possible du lieu de production. J’estime que nos produits sont d’une qualité exceptionnelle. Pourquoi devrions-nous les vendre à Paris ou ailleurs alors que nous devons d’abord en faire profiter les locaux ? Ceux qui sont proches de moi doivent en profiter en priorité, non ?"
Un parti pris pour le locavorisme qui fonctionne à plein. Bien aidé, il faut le reconnaître, par le bouche-à-oreille plutôt élogieux des réjouissances salées de la petite ferme.
Modèle unique
Depuis son arrivée sur l’exploitation – c’était en 2015 – Guillaume a vu le chiffre d’affaires de la petite ferme progresser significativement. "Quand je suis arrivé, on atteignait à peine 200 000 euros de CA. Nous devrions passer le million cette année", valide le jeune homme qui aux côtés de son père, déjà précurseur de la vente directe dans les années 80, a choisi un modèle qui détonne radicalement dans un monde agricole inféodé aujourd’hui à la dictature du "toujours plus". Plus de rendements, de bêtes, de surfaces, de bâtiments…
À contre-courant, la Ferme de Mayrinhac étonne avec son modèle unique, "éthique et transparent" qui, fait rare – "ce n’est vraiment pas ce que l’on apprend dans les manuels" – réussit à faire vivre 10 agriculteurs sur une surface de 46 hectares. Un timbre-poste quand on sait qu’il faut souvent l’équivalent pour en nourrir un seul en agriculture conventionnelle. "Anti-label" assumé, Guillaume explique les raisons de ce succès et de ce choix, radical.
"On propose des produits ‘nature’avec des animaux élevés dans les conditions de l’agriculture biologique, sans chimie, sans antibiotiques. Le plus important, c’est au niveau de la fabrication : là encore on n’utilise que des produits naturels, jamais de sels nitrités ou de conservateurs, aucun colorant ! On ne travaille que sur des DLC courtes."
Manger sain, boire sain – il est un grand amateur de vin nature – et "exercer la profession qui te plaît". Voilà pour la Sainte Trinité de Guillaume et de la famille Méjane dont la sœur a rejoint elle aussi la ferme, à peine passées les épreuves du bac.

"C’est sûr : notre équipe comme nous, on ne compte pas nos heures. Travailler avec du vivant demande une présence constante, mais nous avons aussi pris le parti de ne pas vivre uniquement pour le travail. L’agriculture, ce n’est pas travailler 70 heures par semaine sans réfléchir ! Il faut savoir se poser, se mettre au bureau pour faire de la gestion pure, pas uniquement de la compta !"
"Oui, plaide le chef d’entreprise de 27 ans, un agriculteur a le droit de prendre un week-end de deux jours consécutifs, un agriculteur a le droit de prendre des vacances, de gagner sa vie sans avoir honte. C’est aussi ce que je veux instaurer ici. J’ai beaucoup été esclave de mon travail. Je ne veux plus ça. Ce n’est pas ma vie !"
Ni celle de ses salariés qui, il espère, voudront le suivre sur ce chemin de la sobriété et de l’équilibre. "Aujourd’hui nous sommes arrivés à vivre de l’agriculture. Ce n’est pas rien. J’estime qu’on atteint le point d’équilibre qui nous permet de ne plus penser qu’au travail. Il y a tellement de belles choses à faire en dehors."
"Mini-trésorerie"
Pas question donc de grandir, d’investir à nouveau, d’emprunter plus pour produire toujours davantage. Malgré la demande, très forte pour les produits de la Ferme de Mayrinhac, le choix a été fait. "Nous avons décidé de plafonner notre production. Qui dit grossir, dit aussi perdre en qualité et nous ne voulons pas ça. On préfère développer de nouvelles choses plutôt que d’intensifier nos productions. On ne veut pas tomber dans le panneau, comme ont pu le faire nos grands-parents, en faisant grossir les fermes mais en croulant sous les dettes et les emprunts. C’est le manque de diversité qui a fait mal aux agriculteurs."
Avec sa "mini-trésorerie", la Ferme de Mayrinhac entend donc aller là où ne l’attend pas forcément. "Nous avons pour projet de construire notre propre atelier de transformation sur la ferme et d’y associer une salle de concert, d’exposition. Organiser des événements, développe Guillaume. J’aimerais pouvoir aussi y associer un côté vin nature, pour moi une vraie passion ! Nous, on se contentera de faire ce que l’on sait faire de mieux !"
Très actif sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram sur lequel il reconnaît passer un peu de temps, Guillaume fait revivre avec la Ferme de Mayrinhac la notion de juste proportion, théorisée dès le 18e siècle par les économistes. Pourquoi vouloir toujours plus quand le plus est justement l’ennemi du bien ?
"Aujourd’hui, je suis très fan de ma vie, s’amuse notre moustachu. C’est peut-être étonnant mais j’aime l’Aveyron, ma ferme, les animaux. J’adore quand je suis chez moi au milieu de ce cadre magnifique. C’est pourquoi j’ai souvent envie de partager ça avec tout le monde. Je veux que les gens voient ça. Je crois d’ailleurs très fortement à l’exode urbain ! L’énergie de la ville, c’est super pour le travail, pour la fête… mais on a besoin d’un cadre de vie qui est autre, plus serein. Tout en restant connecté, tout autant à la page et sans avoir peur de la solitude."
Nouveau prototype de l’agriculteur de demain, bien dans ses bottes et dans sa tête, Guillaume n’aime rien de moins que de venir à la rencontre des jeunes exploitants ou futurs exploitants. "Il m’arrive d’intervenir dans les écoles d’agriculture pour présenter la ferme, le modèle que l’on propose et les résultats… De mon point de vue, plutôt probants."
Et à l’entendre, le modèle Mayrinhac interpelle. "Les plus jeunes s’interrogent, c’est indéniable. Je les invite d’ailleurs à suivre notre exemple. Non seulement, il y a de la place pour tout le monde mais en plus de ça, en étant plusieurs on est forcément plus forts !"
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