Almont-les-Junies. L’estofinade en Aveyron, toute une histoire

  • Les célèbres séchoirs à l’air libre de stockfisch sur les îles Lofoten, en Norvège.
    Les célèbres séchoirs à l’air libre de stockfisch sur les îles Lofoten, en Norvège.
  • "L’estofi, un plat qui venait du froid", Daniel Crozes et Christian Bernad, aux éditions du Rouergue, 2012. "L’estofi, un plat qui venait du froid", Daniel Crozes et Christian Bernad, aux éditions du Rouergue, 2012.
    "L’estofi, un plat qui venait du froid", Daniel Crozes et Christian Bernad, aux éditions du Rouergue, 2012.
  • Où déguster ce plat emblématique ? A Almont-les-Junies, assurément, capitale de l’estofinade dans l’Aveyron.
    Où déguster ce plat emblématique ? A Almont-les-Junies, assurément, capitale de l’estofinade dans l’Aveyron.
Publié le
Mathieu Roualdés

Davantage connu pour son aligot et sa cochonnaille, l’Aveyron compte aussi un célèbre plat à base de poissons : l’estofinade. On vous raconte son histoire, des mers du Nord jusqu’au bassin decazevillois.

Quel est le point commun entre les sublimes îles Lofoten, au nord du cercle polaire, en Norvège, et le petit village aveyronnais d’Almont-les-Junies qui surplombe la vallée du Lot, à quelques encablures de Decazeville ? La réponse est… le stockfisch !

Chez le premier, on le pêche, on le sèche et on s’amuse toujours autant de voir les touristes posés sous les fameux séchoirs à l’air libre, balayés par les vents marins. Chez le second, on voue un véritable culte à ce poisson, qui peut tantôt être de l’églefin, de la lingue, du colin ou encore du brosme… Et qui sert surtout de base à l’un des célèbres plats aveyronnais : l’estofinade. Almont-les-Junies en est sa capitale depuis de longues années. Mais c’est dans tout l’ouest du département et plus particulièrement dans le bassin decazevillois qu’on raffole de ce met que les plus ignorants osent comparer à une vulgaire brandade ! L’estofinade est bien plus que cela. C’est toute une histoire, de ses origines à sa préparation.

Des gabarres du Lot aux "trois auberges"

Retour au XVIIIe siècle. D’Entraygues-sur-Truyère jusqu’à Livinhac, on navigue sur le Lot à bord de gabarres (barques à fond plat) en direction de Bordeaux. " Elles transportaient du bois de merrain, de châtaignier, du charbon, du blé ", raconte Daniel Crozes, écrivain aveyronnais et auteur d’un ouvrage unique sur l’histoire de l’estofinade (" Estofi, le plat qui venait du froid ", aux éditions du Rouergue, 2012). " À Bordeaux, les Aveyronnais ont découvert le stockfisch, dont les Anglais étaient déjà friands. Ce poisson n’était pas cher et se conservait de longues semaines, voire des mois. Petit à petit, il a été ramené dans nos contrées et accommodé à notre sauce, avec de l’ail, du persil, des œufs, de l’huile de noix puis des pommes de terre", poursuit Daniel Crozes qui voit en l’estofinade " un plat original, insolite mais pas artificiel".

Pour réaliser son livre, l’écrivain s’est entouré d’un certain Christian Bernad, fondateur d’une confrérie en l’honneur du plat et "grand maître" de celle-ci de 1990 à 2014. Lui connaît plus que quiconque les heures de gloire du stockfisch made in Aveyron, à l’époque où les mines tournaient à plein régime dans le Bassin. Almont-les-Junies était un rendez-vous immanquable pour toutes les familles de la région. Trois auberges situées autour de la place principale du village de 500 âmes s’étaient fait une spécialité de servir l’estofinade. Toutes les semaines et surtout les week-ends, elles faisaient le plein, avec un tarif unique. Dans les épiceries de Decazeville, on trouvait le fameux poisson séché un peu partout. Sur le marché également. Un peu plus loin, dans le Vallon ou encore le Villefranchois, l’estofinade était un plat de résistance, bourratif même, pour tous les vendangeurs. Et dans les cuisines de nombreuses familles, les grands-mères s’échinaient à réhydrater le poisson avant de le servir le dimanche midi…

Plus vraiment un plat "de pauvres"…

À l’instar du farçou ou encore de l’aligot, le stockfisch était alors considéré comme un plat "de pauvres". Ce n’est plus le cas. Le prix du poisson a flambé. Le stockfisch ne sert plus de monnaie d’échange au fil de l’eau mais oscille entre les 40 et 50 € le kilo… Malgré cela, la tradition perdure. Une dizaine de restaurants servent encore le plat, dans le département. Leurs cuisiniers se sont même réunis autour d’une association nommée "les maîtres estofinaïres" et présidée actuellement par Aurélien Gaillac, à la tête du restaurant du chemin de Saint-Jacques à Noailhac.

à Almont-les-Junies, des trois auberges, il ne reste plus qu’une table, la maison Rols. Le "stockfisch" s’y sert encore, notamment à sa période privilégiée de l’automne jusqu’à Pâques.

Et partout dans ces contrées, on aime se raconter histoires et autres anecdotes de la préparation. De ces journées à réhydrater le poisson, de ces "stockfisch" qui à l’heure du service avaient quelque peu tourné ou encore de la qualité du plat hyophilisé et commercialisé par l’entreprise Marie de Livinhac… La légende voudrait également que l’ancien maire de Decazeville, Paul Ramadier, alors président du conseil en 1947, eût importé le plat à Matignon et n’aurait rien trouvé de mieux que de faire tremper le stockfisch dans la réserve de… la chasse d’eau de ses toilettes !

La recette

(Pour 8-10 personnes) Prenez un stockfisch de deux kilos. Mettez-le à tremper pendant au moins quatre jours en changeant régulièrement l’eau de trempage. Vous pouvez l’avoir débité en plusieurs morceaux. Faites cuire le stockfisch dans une marmite pendant une vingtaine de minutes. L’eau doit recouvrir le poisson et frémir. Laissez-le refroidir dans l’eau de cuisson. Égouttez-le en réservant l’eau, ôtez les arêtes, la peau et effeuillez-le. Dans l’eau de cuisson, faites cuire 500 g de pommes de terre que vous écraserez ensuite avec une fourchette. Ajoutez un bon bouquet de persil et plusieurs gousses d’ail hachées sur lesquels vous aurez versé un peu d’huile de noix très chaude. Mélangez avec le poisson. Ajoutez ensuite cinq œufs durs coupés en rondelles.Faites chauffer un quart de litre d’huile de noix. Versez cette huile sur le mélange en remuant bien et en alternant avec cinq œufs battus que vous incorporez un à un (un œuf battu, un peu d’huile de noix, un œuf battu, etc.). Et enfin, assaisonnez à votre goût. Recette issue du livre "La cuisine paysanne en Rouergue", de Patricia Auger-Holderbach, aux éditions du Rouergue (1999).
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