Aveyron : Mathilde Poulanges, embaumeuse de livres

  • Mathilde Poulanges prépare des œuvres pour une exposition à Paris en fin d’année.
    Mathilde Poulanges prépare des œuvres pour une exposition à Paris en fin d’année. -
  • Les visiteurs sont sensibles au message émouvant des livres qui redeviennent des arbres.
    Les visiteurs sont sensibles au message émouvant des livres qui redeviennent des arbres. -
Publié le
Guilhem Richaud

Installée dans son atelier sur le Larzac, Mathilde Poulanges est en constante création.

Elle exposait à Nant au mois de juillet. Dans la tour de Montsalès au mois d’août. Un rendez-vous qui, vu son succès, a été prolongé tout le mois de septembre. Elle prépare des œuvres pour une exposition à Paris en fin d’année. Un rendez-vous qui devait avoir lieu l’année dernière mais reporté à cause de la situation sanitaire. Depuis sa grande exposition au musée de Millau, fin 2017 début 2018, Mathilde Poulanges n’a pas arrêté. Elle a, jusqu’à la crise sanitaire, exposé un peu partout. Ses œuvres rencontrent un grand succès.

Celle qui est arrivée sur le Larzac il y a plus de 20 ans maintenant "pour une fête", et qui n’en est jamais repartie car tombée amoureuse de ce territoire, s’est longtemps définie comme plasticienne du livre. Mais depuis quelque temps, elle a changé pour "embaumeuse de livres", qui colle beaucoup plus à sa démarche. C’est sur le causse, au Pinel, commune de Millau à mi-chemin entre Potensac et Montredon, dans son atelier, qu’elle reçoit. Sur place, il y a finalement peu d’œuvres qui attendent sur les étagères. Car l’artiste est un peu victime de son succès. Ses pièces, plaisent et se vendent. Ce qui la pousse à continuer à créer en permanence. Une véritable reconnaissance pour Mathilde Poulanges, qui a longtemps été en recherche. "J’ai toujours fait des trucs créatifs, sourit-elle. Je suis une enfant unique. J’ai grandi dans une famille de lecteurs et mon beau-père était architecte d’intérieur. J’ai appris à manipuler les livres et les cutters très tôt. Mais pas forcément ensemble." Autodidacte, elle ne suit pas, alors, le chemin tout tracé vers les écoles d’art. Elle préfère prendre "la tangente" et voyager. "Je suis notamment partie en Afrique, où j’ai reçu un grand choc culturel, raconte-t-elle. Puis je suis rentrée. J’ai d’abord travaillé dans la fabrication de décors." Et elle se lance dans la peinture abstraite. Mais n’arrive pas à toucher l’idéal qu’elle s’est fixé : "Il y a tellement de peintres talentueux qu’à un moment, il faut se rendre à l’évidence. Quand j’ai lâché l’idée de toute notion de carrière et d’épanouissement artistique et de vivre un jour de mon art, je me suis détaché de tout ce qui était extérieur et du désir de séduction par l’objet artistique. Cela a déclenché chez moi plein de choses en termes de création et j’ai commencé à ne faire que ce qui me plaisait."

On est en 2009, et ce qui lui plaît alors, c’est travailler autour du livre en tant que matière. Elle range la palette et les pinceaux et ressort les ciseaux et le cutter. À l’époque, il n’est pas encore question d’y mettre le feu. Avant cela, il faudra arriver à se détacher du livre en tant que symbole. Et accepter qu’il ne soit qu’un objet. Cela passera par plusieurs années à découper, déchirer et recoller les pages, sans vraiment savoir où elle va. Le déclic viendra d’un échange avec François Leyge, alors conservateur du musée de Millau, aujourd’hui à la retraite. Les œuvres de Mathilde Poulanges lui plaisent et il voudrait qu’elle expose. Elle ne le sent pas. "Un jour, il me dit : "Il faut le prendre dans l’autre sens, faîtes une résidence". J’ai trouvé la proposition intéressante." Mathilde Poulanges décide alors d’installer, dans la salle Costantini, dans la cité du gant, un immense cube de livres de 1,5 m de côté et se donne un mois pour trouver avec quels outils le sculpter. "C’était extrêmement douloureux, se souvient-elle. J’ai essayé toutes sortes d’outils, mais je savais au fond de moi qu’un seul marcherait. J’ai voulu en tester d’autres, jusqu’à ce que je me résolve à utiliser la tronçonneuse. C’était très émouvant. En faisant ça, j’ai fait sauter les derniers verrous qui me raccrochaient à la symbolique du livre. Je pense qu’il fallait que ce soit public. Dans mon atelier, je me serais sans doute arrêté. Mais là, j’étais en résidence donc j’ai continué."

D’abord des marchés, puis le musée

C’est donc naturellement que le feu s’est invité quelques jours après la fin de la résidence. "J’avais déconstruit toutes les dernières accroches symboliques, reprend l’artiste. C’était le moment. Le fait de déchirer et recoller les pages avait permis de créer des espèces de nervures qui ressemblaient déjà à du bois. Et quand le feu est passé par là… waouh." Elle prend alors conscience qu’une fois brûlées, ses œuvres ressemblent à de l’écorce. "C’est un retour aux sources pour le livre, lance-t-elle. On le brûle et la matière première revient. C’est une émotion extrêmement forte. On parle énormément des autodafés dans l’éducation que l’on reçoit, avec cette sacralisation du livre, et tout d’un coup, d’un acte spontané, je me suis rendu compte que ce n’était pas une destruction, mais un retour aux sources. C’était pour moi une émotion fulgurante très forte."

Mais ce n’est pas si simple. Fallait-il encore arriver à stabiliser la chose pour que ça ne finisse pas en tas de cendres. Cela passera par l’utilisation de verre liquide. La formule est trouvée. Il reste encore à comprendre que chaque œuvre est unique et que les livres anciens, texturés, sont ceux qui lui laissent le plus de marges de manœuvre. Encore une fois, c’est François Leyge qui la poussera ensuite à sauter le pas et à exposer. D’abord en 2016 à l’espace culturel dans les jardins de la mairie de Millau. Là, le conservateur va forcer un peu le destin. "Lors de l’inauguration, il a annoncé, sans même me prévenir, que l’année suivante, je serai au musée, lance l’artiste. Jusque-là, je n’avais pas osé l’espérer. Entre-temps j’ai fait plein de petits marchés de Noël ou de créateurs. Cela m’a permis de rencontrer énormément de gens. Sans François Leyge, je serais peut-être restée timide à faire mes recherches et des petits marchés." Les premiers retours sont très bons. "Quand on annonce à quelqu’un qu’on va exposer des livres brûlés, en général, il y a une espèce de raideur qui s’installe, sourit Mathilde Poulanges. Et puis les gens découvrent le travail et cette raideur tombe. Les visiteurs sont sensibles au message émouvant des livres qui redeviennent des arbres. Cela veut dire que le message du livre en tant que matière et non comme un symbole fonctionne. Mes œuvres offrent une perspective nouvelle. Une transmutation de la matière et non pas une destruction. Quand j’échange avec les visiteurs, les mots qui ressortent sont "puissance et délicate violence". J’aime cette ambivalence."

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