Le kiosque de Rodez en musique

Le développement de l’industrie et des moyens de transport en commun a encouragé la création de lieux publics de détente et de culture. C’est ainsi que naquit un véritable mouvement dit orphéoniste en France et dans le monde, stimulant la pratique musicale chorale et instrumentale. Le kiosque, scène publique et en plein air fut le tremplin de ce développement.

À Rodez, devenu à la Belle époque un pôle d’attraction dans le jardin public, où se rendent les familles les jours de repos, le kiosque est d’abord construit pour la musique des orchestres des régiments militaires, et plus particulièrement pour le 81e régiment d’infanterie.

Il est édifié sous les arbres du "quinconce" du Foirail en 1882. Le premier kiosque est une simple plate-forme éclairée au gaz et pourvue de bancs. Dix ans après, la construction d’un kiosque couvert est rendue pressante par l’arrivée du 17e régiment d’infanterie à Rodez. La Ville examine alors ce qui se faisait ailleurs : les communes de Béziers, de Pau et de Nevers sont citées. Le parti retenu est le plus répandu : un soubassement polygonal surélevant le plancher et abritant une remise pour les chaises et le mobilier, une couverture portée par des colonnes et une charpente en fonte, un plafond en bois et une couverture en zinc.

L’élégance de la structure tient aux supports graciles et à la légèreté des ferronneries ouvragées. Selon une disposition courante, des lyres et des blasons aux armes de la ville ornent les angles de la toiture. Le kiosque à musique constitue une scène, à laquelle on cherche à donner une bonne acoustique et que l’on pare d’un décor richement orné. L’espace dévolu au public, lui, n’est jamais strictement défini dans l’espace. Au Mans, à Fougères, à Rennes…, comme à Rodez, il marque l’achèvement des aménagements du jardin public du XIXe siècle. Le kiosque à musique devient, comme l’atteste la fréquence du motif dans les cartes postales, un objet de fierté pour les habitants, un emblème pour la ville.

Rapidement, les formations musicales municipales se produisent également au kiosque : la Lyre ruthénoise, la Société philharmonique, les sonneurs ruthénois et la Diane rouergate. Grâce au kiosque, il est possible d’écouter de la musique dans un espace dévolu à la détente, où l’on vient s’aérer et se promener en famille. Le public est donc beaucoup plus large que celui d’une salle de concert ou d’opéra : petite bourgeoisie, militaires, employés, nourrices, ouvriers. Diversité qui se retrouve également dans les musiciens. Les différentes générations s’y côtoient.

Les kiosques contribuent à un grand mouvement de démocratisation de la musique et s’inscrivent dans un effort général d’instruction populaire et gratuite où la musique trouve sa place. Les sociétés musicales, en instaurant un apprentissage gratuit du solfège et des instruments, permettent à toute une couche de population qui en était exclue, d’accéder à la musique de compositeurs jusque-là réservée à une élite.

À côté des airs militaires et des danses, sont jouées des transcriptions d’œuvres lyriques, et les harmonies importantes et de bon niveau jouent des transcriptions de symphonies et des suites pour orchestres. Dans les années 1875-1890, le kiosque devient le symbole de l’idéal républicain au même titre que l’école et occupe une place essentielle dans les rituels commémoratifs.

Entre 1850 et 1914, il s’est construit 4 000 kiosques à musique en France ; à la fin du XXe siècle, il en subsistait à peine 350. Bien qu’appartenant à une production sérielle et ayant été édifié en quantité importante, cet élément caractéristique de la fin du XIXe siècle est donc devenu un élément rare et présente un intérêt patrimonial certain. Actuellement, sa mise en valeur pourrait permettre de retrouver certaines des formes de sociabilités dont il était à l’origine un élément majeur.