Rugby : les commotions cérébrales, de l’omerta à la difficile prévention

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  • "La prévention des commotions va dans le bon sens", estime Stephen Passieu.
    "La prévention des commotions va dans le bon sens", estime Stephen Passieu. Archives Jean-Louis Bories
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Vincent Nael

Désormais reconnues et mieux prises en charge, les commotions cérébrales restent difficiles à éviter.

Quasiment trois ans après, l’ovalie porte encore les stigmates de la mort de quatre rugbymen en moins d’un an (de mai 2018 à janvier 2019), dont deux avaient succombé à un traumatisme crânien à la suite d’un match amateur : Adrien Descrulhes, 17 ans, joueur de Billom (Puy-de-Dôme) et Nathan Soyeux, 23, membre d’une équipe universitaire de Dijon. Traumatisme crânien, l’autre nom de la commotion cérébrale, "notre cheval de bataille en ce moment", précise Stephen Passieu, conseiller technique Sud-Aveyron - Lozère à la ligue d’Occitanie, en marge de la conférence organisée sur le sujet lundi soir par le comité aveyronnais, à Onet-le-Château. Centre de l’équipe de Fédérale 2B de LSA, Hugo Bouzinhac (22 ans) prolonge : "C’est notre quatrième intervention sur les commotions en deux mois."

Subies de façon répétée, elles peuvent provoquer, le plus souvent à l’issue de la carrière du rugbyman, une encéphalopathie chronique traumatique (troubles de la mémoire, démence, Parkinson…). Ce dont a été victime par exemple l’ancien pilier professionnel decazevillois Stéphane Delpuech (1993-2010), comme une centaine d’autres anciens joueurs de son époque, qui ont intenté une action en justice contre la Fédération internationale pour mauvaise prise en charge des commotions.

"Durant ma carrière de joueur, il m’est déjà arrivé de retourner sur le terrain alors que j’avais la tête qui tournait", confie l’ancien pro Anthony Julian, 44 ans, coentraîneur de Decazeville (Fédérale 3). Même son de cloche du côté de Stephen Passieu, 35, qui a joué en Fédérale 2 : "Moi aussi et je revenais même à l’entraînement le lendemain. Mais à l’époque, personne n’était formé sur la question. Il n’y avait pas de protocole. " "Avant, on attendait de prendre le mur en pleine figure, souffle le coach de Rodez (Honneur), Jérôme Broseta. Aujourd’hui, même en amateur, certains joueurs ont la sagesse d’arrêter leur carrière quand ils subissent trop de commotions."

La moitié des rugbymen de haut niveau sont victimes d’une modification anormale de leur volume cérébral, d’après les résultats d’une étude scientifique publiés cet été. Les plaquages, dont le nombre par match a triplé (de 104 à 322 en moyenne) des années 70 à 2019 chez les pros, "sont responsables de plus d’une commotion sur deux, indique le docteur Bruno Favre, médecin du CD12. Mais contrairement aux idées reçues, c’est le plaqueur et non le plaqué qui en est le plus souvent victime."

Le carton bleu, salvateur mais redouté

Surtout depuis que la zone de plaquage a été abaissée en dessous de la ceinture chez les amateurs, en 2019-20. "Mais il y a toujours ce réflexe de plaquer haut chez les plus anciens, observe Jérôme Broseta. Dimanche, on a été pénalisé trois fois à cause de ça. Tout le monde est encore en apprentissage." Comme celui de parvenir à plaquer au niveau des jambes sans se mettre en danger. "Chez les jeunes, en particulier en école de rugby, on est de plus en plus sur de l’évitement, souligne Stephen Passieu. On réduit ainsi les accidents de jeu, même si on reste dans un sport de combat."

En seniors, ces accidents, dont le nombre stagne selon nos interlocuteurs (ils n’ont pas fourni de données précises), sont mieux gérés. Anthony Julian souligne : "Maintenant, dès qu’un joueur prend un coup à la tête, que ce soit en match ou à l’entraînement, on le sort et on l’emmène chez le médecin. " "Voire chez le neurologue en cas de doutes ", ajoute son homologue ruthénois.

En pleine rencontre, l’initiative devrait pourtant venir de l’arbitre, censé sortir un carton bleu dès qu’il pense qu’un joueur est victime d’une commotion cérébrale. "Pour cette raison, le 3 octobre, à Aucamville, j’ai dû remplacer mon demi de mêlée alors qu’il avait le feu vert pour continuer, déplore Jérôme Broseta. On lui a fait reprendre la course au bout de onze jours." Soit le temps que sa licence aurait été bloquée si l’homme au sifflet lui avait adressé un carton bleu, voire moins si le numéro 9 avait pu obtenir, durant cette période de repos, un certificat médical de non-contre-indication à la pratique du rugby en compétition.

Le président du comité de l’Aveyron, Gérard Fourquet, se fait le défenseur des arbitres : "Le problème, c’est que certains dirigeants mettent la pression sur eux pour ne pas devoir se passer de leur joueur pendant onze jours. Parfois, même le rugbyman commotionné demande que le carton bleu ne soit pas sorti." "Quand un joueur en prend un deuxième dans la saison, il en a pour trois mois d’arrêt, explique le Dr Bruno Favre. Le problème, c’est qu’on forme les dirigeants, mais pas les rugbymen. S’ils l’étaient, comme ce sont eux qui se connaissent le mieux, ils pourraient aller voir l’arbitre pour lui demander de sortir ce carton pour leur coéquipier."

Le Top 14, pas "une bonne pub pour le rugby"

"On perd des licenciés, clairement, et je ne suis pas sûr que le Top 14 soit une bonne pub pour le rugby. On peut y jouer sans se mettre en danger." Jérôme Broseta fait allusion aux plaquages de plus en plus violents recensés dans l’élite ces dernières saisons. Le Sud-Africain Ryno Pieterse (Castres) a ainsi écopé fin septembre de douze semaines de suspension pour son geste particulièrement dangereux sur le Bordelais Maxime Lucu. "Ça nous pénalise, abonde Stephen Plassieu. Mais quand les parents voient ce qu’on apprend aux jeunes dès l’école de rugby, ils se rendent compte que ce n’est pas le même sport."
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