Bon appétit avec le rôti d’échine à l’aveyronnaise

  • Les plats qui naissent dans les cocottes se méritent Les plats qui naissent dans les cocottes se méritent
    Les plats qui naissent dans les cocottes se méritent Antonin Pons Braley
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    Les plats qui naissent dans les cocottes se méritent Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde

Le rôti d’échine à l’aveyronnaise, une recette appétissante et joliment racontée par la cheffe Alix Pons Bellegarde. A table !

Il y avait cette cocotte en fonte, noire, peut-être bleue, perdue au fond du casserolier – celui du bas, à la glissière cassée –, lourde, fragile, que personne n’osait toucher. Personne, sauf grand-mère.

La blouse fleurs bleues, oubliant les douleurs, elle seule se penchait pour en ôter d’abord le couvercle retourné – dans ces tiroirs, tout était entassé – sur lequel trônait culs-de-poule, tamis, poêlons oubliés. Puis, d’une poignée dans chaque main, comme si l’objet ne pesait rien, la fonte d’un geste atterrissait, après comme une escale sur sa cuisse, jusque sur le plan de travail et son carrelage fêlé.

La carcasse de la cuisinière, déséquilibrée, ne semblait pour autant sous le poids ni souffrir ni faillir ; le mouvement, l’élan nécessaire à déposer l’objet sur le feu ; le coup de hanche pour refermer la porte ; tout était sûr, prudent, apprivoisé. Enfin, le souffre brûlé, la faute à l’allumette, au bec qu’il fallait amorcer. La fonte, doucement, ça se fait chauffer. Et les plats qui naissent dans les cocottes se méritent, eux les complices d’odeurs qui imprègnent jusqu’à tard la mémoire.

En Aveyron, l’automne est déjà bien là, le givre sur les lauzes, la buée du café sur les vitres au matin. Et des cocottes, "tout le monde en a".

Retour du marché

Samedi, jour de marché. Le long des remparts, place du Bourg ; et dimanche encore, Marcillac après Rodez. Sur le retour, traîner, Bozouls pour le pain, Rodelle pour la beauté du chemin. Dans le panier, les mêmes couleurs qu’alentours, cucurbitacées, beurre, lait frais, coulemelles recueillies au passage, et cette pièce de porc, fraîchement désossée, dans le kraft, parfaitement ficelée pour en retenir la chair. Elle sera "rôti d’échine à l’aveyronnaise".

Musique. Dans le fond d’une cocotte, quarante grammes de beurre à fondre et trois cuillères à soupe d’huile neutre. Trois oignons ciselés, deux rouges un blanc, et quatre gousses d’ail, à revenir ; une fois dorés, je les réserve et laisse remonter la température à feu vif sans brûler.

Là, je saisis les deux kilos de rôti, les soumettant quelques minutes, quatre peut-être cinq, sur chaque face, à des crépitements intenses. Il doit être marqué, bruni presque. Au débat, je verse ensuite la réserve attendrie d’ails et d’oignons, à confire à feu doux pour les deux prochaines heures. Et jette une belle poignée de sel gris. La fonte, ça transpire.

Une fois l’huile et les sucs liés au fond de la cocotte, je déglace d’un filet d’alcool de gentiane. Ce qu’il faut pour goûter l’amer dans les vapeurs. J’écoute, je sens et je verse : soixante-dix centilitres de crème fleurette. Elle doit habiller la moitié de la hauteur du rôti. À la cuillère de bois, délicatement, je remue pour décrocher les saveurs, de sorte à ce qu’elles se lient à la crème. Couvrir et laisser cuire, à feu moyen pour affiner sans les brûler les parfums.

Enfin, trente minutes avant la fin de la cuisson, un topinambour en carpaccio et un généreux morceau de salers râpé. À répartir tout autour, le long des parois, comme pour escorter. Tout y est. Alors, laisser faire.

Purée de châtaignes

Simultanément, la peau des pommes de terre gonfle au four, argentée presque laiton, céramique. La cuisson doit être légèrement forcée ; traverser pour vérifier en dessous la tendresse de la chair. Aussi, d’une autre main, couvrir d’eau dans une casserole les châtaignes et les porter au feu. Elles finiront tendres, sans s’effriter, si je veille à ce que l’eau ne les ait pas gorgées. Bientôt, sorties du four et vidées, les pommes de terre passeront avec elles au moulin à légumes. Tourner, répéter. Encore. Jusqu’à les épuiser.

Dans une autre cocotte enfin, à feu doux et constant, je mêle à de petits carrés de beurre la pâte couleur crème de marrons. Ça fond, ça pénètre. À la spatule, j’aide à ce que cela prenne. Soudain, la purée a absorbé le gras et la matière se décolle des parois. D’un mouvement sûr, continu, je poursuis d’un tour encore à façonner ce qui viendra se marier avec l’onctuosité de la crème mijotée du rôti.

Déjà, les enfants ont mis la table. Les odeurs ont changé. Avant de servir, je passe la crème, les topinambours et le salers fondus, pour lisser la sauce ; une noix de beurre avant le dernier tour de plongeur, pour la faire briller. Et sur l’assiette dressée, je râpe cette coulemelle séchée restée jusqu’ici désœuvrée. Sa touche noisette parlera d’automne.

Aux racines indiennes et catalanes, Aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques. Le couple fonde en 2021 sa marque « Famille Pons Bellegarde » et la revue « Salt Letters » dédiée à l’univers du sel. Lors de ses séjours en France, elle livre régulièrement aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de sa cuisine.
Instagram : ponsbellegarde
alixponsbellegarde

Prochainement, site : ponsbellegarde.com

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