Pédophilie et indemnisations : le diocèse de l'Aveyron s'attelle à son "devoir de justice"

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  • Le père Daniel Boby, administrateur diocésain et Thierry Ducret, économe du diocèse.
    Le père Daniel Boby, administrateur diocésain et Thierry Ducret, économe du diocèse. Centre Presse - C.C.
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L’Eglise catholique a décidé d’indemniser les victimes, quitte à vendre des biens immobiliers. L’Aveyron ne fait pas exception à la règle, et se penche sur la question. Forcément complexe.

Engager le patrimoine, « c’est engager notre devoir de justice » : le père Daniel Boby, administrateur diocésain (évêque par intérim en quelque sorte) réfute la notion de « sacrifice » de l’Église quand il s’agit de réparer des actes, récurrents depuis des années et unanimement condamnés. « La souffrance n’a pas de prix, les biens sont secondaires par rapport à la vie des personnes. La reconnaissance de la responsabilité institutionnelle de l’Église engage bien un devoir de justice. » Et dans cette solidarité qui se constitue entre tous les diocèses, celui de l’Aveyron compte bien prendre toute sa part.

Indemniser quoi qu'il en coûte

Indemniser les 216 000 à 330 000 victimes de violences sexuelles perpétrées en France entre 1950 et 2020 par une personne en lien avec l’Église catholique, est au nombre des décisions prises par la Conférence des Évêques de France. Celle-ci s’est réunie du 1er au 8 novembre autour des conclusions de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), appelée aussi « rapport Sauvé ».
Sur le fond, cette indemnisation considérable au vu du nombre des victimes est pleinement consentie par l’institution catholique qui « assume sa responsabilité ». Sur la forme, lever des fonds à hauteur de ce que la justice sera à même de décider pour chaque cas, est lourd et complexe.
Tous les diocèses de France sont appelés à apporter leur contribution en abondant le fonds Selam (Fonds de secours et de lutte contre les abus sur mineurs) : les évêques l’ont déjà fait à titre personnel pour constituer une avance de 10 à 20 M€ qui peut s’avérer, quoi qu’il en soit, insuffisante. Au-delà d’un emprunt, forcément temporaire, qui permettrait de réaliser les provisions nécessaires, la vente de certains biens appartenant à chaque diocèse risque fort de devenir nécessaire…

L’Église aveyronnaise est-elle riche ?

Pas de « sacrifice », certes, mais de l’argent à trouver pour abonder le fonds Selam destiné à indemniser les victimes. Et en Aveyron, comme dans bien d’autres diocèses, c’est un casse-tête. D’autant que les finances sont fragiles : 500 000 € de déficit de fonctionnement en 2020, un chiffre qui ne cesse de croître chaque année « en lien direct avec la baisse d’activité et une relative déchristianisation du territoire », explique Thierry Ducret, économe et directeur des services du diocèse.

Le denier de l’Église, levée de fonds opérée chaque année à travers un appel à tous les Aveyronnais, est la principale ressource du diocèse qui assure les traitements des prêtres et les salaires des laïcs qui servent ses missions. Le diocèse ne serait donc pas aussi riche que l’on peut bien l’imaginer, même sur cette terre rouergate et chrétienne où l’Église a un ancrage territorial très fort. « Nous ne sommes propriétaires que de ce que nous avons acquis depuis la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905. La masse des biens immobiliers est faible », expose Thierry Ducret sans donner d’état des lieux précis.

Le poids des congrégations

Car nombre de ces biens appartiennent à des congrégations religieuses, totalement indépendantes du diocèse, dont la plupart n’ont de liens avec l’Aveyron, qu’à travers des établissements scolaires, des couvents, des maisons de retraite, des immeubles de rapport ici ou là…
Quant aux églises, elles sont souvent la propriété de la commune quand la cathédrale est aux mains de l’État. Seuls quelques clochers demeurent encore dans l’inventaire diocésain, comme à Baraqueville ou Bozouls. Au final, on ne les compterait que sur les doigts des deux mains.
Qui plus est, les églises, gourmandes en frais de fonctionnement, sont plus facilement cédées que vendues.

Vendre…Mais quoi ?

Ainsi celle de Fontvernhes, faubourg de Decazeville, désacralisée et menaçant ruine, et vendue 1 € à un facteur d’orgues qui la mise à prix finalement sur le site « Le Bon coin » à 50 000 €. Le cinéma d’Entraygues a, quant à lui, été vendu « pour permettre aux acquéreurs de poursuivre leur projet », précise Thierry Ducret.

On trouve par ailleurs dans le patrimoine diocésain un morcellement de propriétés immobilières hétéroclites, terres et bois notamment et des bâtiments comme ceux de la Maison du Livre ou du Club à Rodez. Faudra-t-il les vendre ? « Les loyers que nous percevons constituent pour nous un matelas de sécurité, plaide Thierry Ducret. On a la responsabilité d’une gestion de bon père de famille. »
Le père Daniel Boby renchérit : « Les évêques successifs ont eu le souci de garantir au diocèse une indépendance de fonctionnement. De plus, on ne peut pas gréver la vie, la mission de l’Église sur son territoire. Il est important de peser le pour et le contre en maintenant notre outil de travail… »

 

Pas question de toucher aux dons

L’indemnisation ne passera pas par les dons des fidèles. « On ne peut pas détourner ainsi les dons du denier de l’Eglise, qui sont toujours “fléchés” vers les différents chapitres du fonctionnement du diocèse », prévient le père Daniel Boby. Quant aux legs, issus bien souvent de successions et affectés à un objet précis décidé par le légataire, ils devraient suivre le même mouvement. Car à la cause morale s’ajoute ici une cause juridique. «C’est une question sur laquelle on va travailler », assure Thierry Ducret.

Arbitrage complexe… Mais « vertueux »

Au-delà de ces considérations, vendre un bien peut demander bien de la patience et ne se fait pas aussi facilement. « On ne sait pas le temps que ça prendra », confirme Thierry Ducret. Pour autant l’Église aveyronnaise est bien décidée à s’atteler à la tâche. Et convoque le 25 novembre prochain un « conseil diocésain économique » qui lancera « une première session de travail sur ce sujet dans un contexte encore imprécis ».
Pour le père Daniel Boby « si l’arbitrage dans la cession est compliqué, il est aussi vertueux : il doit nous amener à nous appauvrir au service des personnes sans contraindre notre équilibre de fonctionnement. On a un souci important de la reconnaissance et de la réparation. On peut parler de biens immobiliers… Mais c’est d’abord accueillir la souffrance des victimes qui nous guide ».

Père Boby : " J'ai senti le poids de la responsabilité des évêques"

Après le départ de Mgr Fonlupt, promu cet été à la tête de l’archevêché d’Avignon, Daniel Boby assure l’administration du diocèse dans l’attente de la nomination d’un évêque en Aveyron, pour laquelle travaille actuellement le nonce apostolique qui soumettra des candidatures au pape François.
Pour la première fois donc, le père Boby participait à la Conférences des évêques de France qui se tenait du 1er au 8 novembre autour du rapport de la Ciase sur les abus sexuels dans l’Église. « J’ai beaucoup senti le poids de la responsabilité des évêques. Un grand poids sur les épaules… Et j’ai été impressionné par leur sens des responsabilités. Ils ont pris la situation en compte avec beaucoup d’humilité. La responsabilité institutionnelle oblige à la prise de dispositions et cela est salutaire dans le sens de la remise en cause ».
Le diocèse de l’Aveyron fera siennes les quelque 9 dispositions prises lors de cette conférence, notamment la signature d’un protocole de bonnes pratiques avec le procureur. « On s’en remet à la justice française. Et il faut que l’on assume le suivi de notre responsabilité institutionnelle. Demander aux évêques de démissionner n’avait pas forcément du sens. Dans la tempête, le capitaine d’un navire doit rester à la barre… »

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