Faut-il oublier les dernières tomates de l'année ?

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  • Si en cette fin décembre, il ne reste guère encore de tomates à fermenter, choux, dattes, panais, topinambours, pieds bleus, rutabaga, salsifis attendent patiemment un opportun prétexte à durer toute l’année. Si en cette fin décembre, il ne reste guère encore de tomates à fermenter, choux, dattes, panais, topinambours, pieds bleus, rutabaga, salsifis attendent patiemment un opportun prétexte à durer toute l’année.
    Si en cette fin décembre, il ne reste guère encore de tomates à fermenter, choux, dattes, panais, topinambours, pieds bleus, rutabaga, salsifis attendent patiemment un opportun prétexte à durer toute l’année. Antonin Pons Braley
  • Si en cette fin décembre, il ne reste guère encore de tomates à fermenter, choux, dattes, panais, topinambours, pieds bleus, rutabaga, salsifis attendent patiemment un opportun prétexte à durer toute l’année.
    Si en cette fin décembre, il ne reste guère encore de tomates à fermenter, choux, dattes, panais, topinambours, pieds bleus, rutabaga, salsifis attendent patiemment un opportun prétexte à durer toute l’année. Antonin Pons Braley
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    Si en cette fin décembre, il ne reste guère encore de tomates à fermenter, choux, dattes, panais, topinambours, pieds bleus, rutabaga, salsifis attendent patiemment un opportun prétexte à durer toute l’année. Antonin Pons Braley
Publié le
Alix Pons Bellgarde

Faut-il "oublier" les dernières tomates de l’année sous prétexte que "ce n’est plus la saison". Ce n’est pas l’avis de la cheffe Alix Pons Bellegarde qui sublime ce "légume-fruit", le transformant en coulis de tomates fermentées. Une recette intemporelle qui trouvera toujours sa place sur votre table.

C’était il y a quelques semaines, avant l’hiver, le vrai. Place du Bourg à Rodez, les dernières tomates rescapées des premières gelées, allaient du vert à l’orange, sur les étals du marché – entassées en cageots, à un pas de la Maison d’Armagnac, côté place de l’Olmet. Haro sur l’aubaine.

Nous revenions le cabas rempli, flibustiers de la dernière heure, ravis.

Mais comment à présent conserver le butin. Pour le "légume-fruit", famille botanique consacrée, le compte à rebours était déjà lancé – cueillis pour certains aux portes de la maturité, pour d’autres bien plus juvéniles encore, décrochés de peur qu’ils ne soient raflés.

Nécessairement, la solution au problème devait être salée.

Or rentrée tardivement dans le dictionnaire de l’Académie française, par galion, bricks et frégates, en 1835, depuis les Amériques, la "tomate", alors "pomme d’amour" ou "pomme d’or", le sel, la mer, elle connaît. Elle a ça dans le sang.

Un parfum d’iode, de littoral de fin de journée

Dans une série de grands bocaux, je plongeais dès lors mon pactole, fruits entiers, tout juste lavés, par dix, douze ou seize, dépendamment du volume, dans l’eau salée. Trente-cinq grammes par litre, le ratio océanique. Couronnés d’un poids – sacs de congélation remplis d’eau – pour que jamais l’air ne puisse directement toucher leur chair. Pendant quatre jours, je laissais couvercles ouverts, à température ambiante, l’oxygène altérer la saumure. Puis refermais, comme un coffre laissé quelque part sur une île sous le sable, un sous-marin oublié, un mois durant, à entendre les joints en caoutchouc chanter, siffler, suinter, buller, à chacun de mes passages dans la réserve.

Un mois après, cette semaine, nous y voilà. J’ouvre. Enfin. Le salin affleure dès le premier nez. J’en prélève une, la peau attendrie par l’eau, les pépins aux aguets. Une autre, un parfum d’iode, de littoral de fin de journée – le singulier paysage du "lactofermenté". J’émince, trempe dans un fond d’huile, poivre à la volée, puis passe à la main au presse-purée. La cuillère dérobée au passage me reste en bouche une quinzaine de minutes. Tapisse le palais, recouvre jusqu’aux gencives. Laisse sur la langue un quelque chose de stimulé.

Feux doux, trois heures. Ça doit fondre, lâcher l’eau et s’en regorger. Faire le jus, s’huiler. Lentement, sûrement, passer de sauce à coulis.

Au sortir, juteuse, acidulée, douce, gourmande, pétillante, provocante presque, chargée, ma tomate raconte son expédition. Bavarde, trempée.

Le coulis est près, bon à marier

Dans le grand saladier dans lequel je l’ai réservée, il pleut à présent de la reine de près – aussi connue comme ulmaire, filipendule, barbe des chênes ou herbe aux abeilles –, récoltée il y a peu, en toute fin d’été. Je détends à l’huile, encore, un peu. Relève in extremis, pour la route – poivre, sel, laurier. À la spatule, je remue.

Le coulis est prêt. Toute la pièce le sait. Bon à marier.

Aujourd’hui, à midi, c’était moules pochées. Tout juste saisies, livrées en l’état à la sauce à peine revue d’une pointe de girofle. Ce soir, tagliatelles de riz au programme, noyées dans la potion, câpres et vieux rodez râpé.

Demain, au petit-déjeuner, sur une miche de campagne grillée, frottée à l’ail, filet d’olive, chiffonnade crue de l’Aveyron.

Après-demain, brassé au couteau sur un tartare d’aubrac, couvert d’échalotes ; un autre jour encore, en fond de terrine de lapin, une cuillère d’agar-agar, trois baies de genièvre ; ailleurs, comme un tapis dans lequel rouler un chèvre frais, ciboulette, espelette, citron pressé ; aux fêtes, sur une anguille au saké, juste un trait, pour rehausser.

À la rentrée, en shot, une touche de sel de céleri, aux côtés d’un menu de janvier ; au printemps, sur une salade d’ortie, de pissenlits, dripé à la hâte, les amis tout juste débarqués.

À l’été, sur les tomates à peine sorties de la saison d’après.

Si en cette fin décembre, il ne reste guère encore de tomates à fermenter, choux, dattes, panais, topinambours, pieds bleus, rutabaga, salsifis attendent patiemment un opportun prétexte à durer toute l’année. Reste à leur offrir le voyage, trente jours en eau salée, pour les écouter ensuite raconter des mois durant leur traversée. Et se prendre à les marier, savamment ou au pied levé, au gré des humeurs, des visites, des marchés.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques. Le couple fonde en 2021 sa marque "Famille Pons Bellegarde" et la revue "Salt Letters" dédiée à l’univers du sel. Elle livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de sa cuisine.

Sur Instagram, deux adresses : alix_pons_bellegarde ou ponsbellegarde
Et très prochainement sur le site internet ponsbellegarde.com
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