Quand le PS naissant fourmillait pour s’implanter en Aveyron
Dans les années 1970 et 1980, le Parti socialiste aveyronnais, très dynamique, s’est implanté fortement en Aveyron. Retour sur une époque où le parti à poser les bases de 40 ans de politique dans le département.
Vous voulez me faire pleurer ? » Quand on évoque avec Alain Fauconnier l’envie d’aborder l’histoire du Parti socialiste en Aveyron et de ses fondations, le Saint-Affricain répond avec un sourire qui respire bon la nostalgie. Il faut dire qu’aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, le PS a eu, dans les années 1970 et 1980 un très fort dynamisme dans le département. Et ce n’était pas une mince affaire, dans un territoire où la droite a toujours occupé une place prépondérante. Jusqu’au tournant des années 1970, la gauche n’existait pas encore vraiment ailleurs que dans le Bassin. Là, dans ce qui était alors encore une formidable fourmilière ouvrière, Parti communiste et SFIO occupaient le terrain. Et Paul Ramadier jusqu’à son décès en 1961, était la figure de proue de ce mouvement ouvrier. Mais dans Rodez la bourgeoise et dans le Sud-Aveyron agricole, la gauche n’existait pas, ou presque.
Déjà au congrès d’Epinay
Pourtant, en 1971, quand le PS se crée, au congrès d’Epinay, avec en toile de fond la volonté de François Mitterrand de devenir président de la République, plusieurs Aveyronnais sont sur place. Il y a notamment le Ruthénois Jean-Paul Salvan, le Millavois Gérard Deruy, et donc, le alors tout jeune Saint-Affricain, Alain Fauconnier, qui, cinquante ans plus tard, vient tout juste de démissionner de ses derniers mandats de conseiller municipal et de conseiller communautaire dans la Vilotte et de mettre un terme à l’histoire politique de tous ces pionniers. Très vite, ils seront rejoints par de nombreux militants. C’est d’ailleurs, Jean-Claude Pouget, qui deviendra plus tard maire de Gages, qui sera élu premier secrétaire fédéral, la même année. Bernard Ferrand lui succédera cinq ans plus tard. Pas encore trentenaire, ce jeune Marseillais vient d’être nommé professeur au lycée Monteil de Rodez. Déjà très investi au PS, il se rapproche logiquement de la section ruthénoise et prend rapidement des responsabilités. Il a pour mission de mettre le parti en ordre de marche pour exister lors des élections de 1977. Et notamment d’arriver à trouver une cohérence entre deux courants forts au sein du mouvement.
« Alain Fauconnier vous dira que pour eux nous étions “ces cons de Rodez”, et moi, je parlais de ces “emmerdeurs du Sud” »
« Il y avait, à cette époque, la vielle SFIO qui avait intégré le PS, qui dominait dans le Bassin, autour des bastions de Decazeville, Aubin et Capdenac, se souvient-il. Il s’agissait pour beaucoup d’anciens militants. Et il y avait le PS nouveau, essentiellement dans le Sud-Aveyron. Cela avait pour effet d’avoir deux fédérations en une. » Avec, dans l’Ouest et à Rodez des socialistes mitterrandiens, laïcs, héritiers de la SFIO, et dans le Sud, des Rocardiens chrétiens, plutôt issus du PSU. « Alain vous dira que pour eux, nous étions “ces cons de Rodez”, et moi, je parlais de ces “emmerdeurs du Sud” », sourit Bernard Ferrand, avec toutefois beaucoup de respect et de bienveillance pour le désormais vieux sage saint-affricain et tous ses camarades de l’époque. Fauconnier valide : « Il y avait un clivage, c’est sûr, confirme-t-il. Les débats étaient âpres, mais c’était très riche, très intéressant. Et il ne faut pas oublier qu’il y avait aussi des femmes qui ont joué un rôle très important, comme Marie Basset à Rodez ou Hélène Thibal, à Saint-Affrique. Elles étaient plutôt dans la mouvance de Pierre Mauroy. Elles étaient très présentes, dans un parti qui était, à cette époque, comme tous les partis, encore très machiste. Il y avait différentes tendances, mais une fois que le congrès était passé, nous arrivions tous à travailler ensemble. »
Des candidats PS dans tous les cantons
Très vite se met en place une stratégie pour inonder les territoires. De nombreuses sections locales sont créées. Elles permettent de s’implanter, de préparer les élections et de recruter des militants. Ils seront 1 000 au tournant des années 1980. Un chiffre monumental pour une force de gauche en Aveyron. Aux municipales de 1977, les premiers succès électoraux arrivent. Des membres du PS s’imposent dans quelques villages, « mais il y a surtout un premier frémissement dans les grandes villes », se souvient Ferrand. Un peu partout, des socialistes entrent dans les conseils municipaux. C’est le cas d’Alain Fauconnier à Saint-Affrique qui a œuvré à l’engagement d’une liste de la gauche unie, derrière René Guibert, passée tout près de la victoire. « Il nous manquait deux élus, se souvient-il. Il faut voir ce que ça représentait à l’époque. Pour beaucoup dans le Sud-Aveyron, la victoire de la gauche signifiait que les chars soviétiques allaient défiler dans les rues le dimanche. »
Ce premier rendez-vous électoral jette les bases. En 1982, lors des cantonales, le PS arrive à présenter des candidats dans l’ensemble des cantons. Ce qui était alors un véritable exploit. « Et qui n’est plus possible aujourd’hui », tacle Bernard Ferrand. Surtout, c’est à Millau que viendra le premier gros succès socialiste dans le département. Grâce à Gérard Deruy, élu maire en 1983. « Un grand personnage, reprend Alain Fauconnier. Il a ouvert une voie. Il nous a fait comprendre à tous, au Sud, à l’Ouest ou au centre de l’Aveyron, que le socialisme n’était pas que du militantisme d’idées. Jusque-là, on pensait qu’on serait dans l’opposition pour le restant de nos jours. Avec lui, les choses ont changé. Deruy a incarné la victoire. J’ai une très grande estime pour lui. C’était un grand militant. Un personnage. »
« Il faut voir ce que ça représentait à l’époque. Pour beaucoup dans le Sud-Aveyron, la victoire de la gauche signifiait que les chars soviétiques allaient défiler dans les rues le dimanche. »
Il faut dire que Deruy avait un profil atypique. Décédé en 2017 à l’âge de 87 ans, il était un gantier, chef d’entreprise, de gauche, grande gueule, et surtout, amoureux de son territoire. Très proche de François Mitterrand et de Lionel Jospin, il a d’abord été élu au département et a pesé de tout son poids, tout au long des années 1970, dans la lutte contre l’extension du camp du Larzac. Il a aussi amené plusieurs fois le futur président de la République sur place, pour lui faire rencontrer les paysans et le convaincre de mettre fin au projet d’agrandissement le jour où il sera élu. Ce que Mitterrand fera en 1981, quelques jours seulement après sa victoire. Élu deux fois maire de Millau (1983 et 1989), Gérard Deruy a tracé la route pour tous les autres. Fauconnier à Saint-Affrique (en 2001), Teyssèdre à Rodez (en 2008), Durand à Millau (2008) et bien d’autres un peu partout en Aveyron prendront sa suite. Emmanuelle Gazel, aujourd’hui maire socialiste de Millau, ne manque d’ailleurs pas de le citer parmi ses modèles.
Gérard Deruy, Alain Fauconnier, Bernard Ferrand (qui est aujourd’hui élu sur la liste de la majorité à Rodez, mais qui, comme son maire Christian Teyssèdre, a quitté le PS) et tant d’autres ont posé les bases du socialisme en Aveyron, une terre jusque-là résolument à droite. Et si leur héritage est aujourd’hui incertain, à l’image de ce qu’est devenu le PS au niveau national, ils ont, à leur façon, marqué profondément l’histoire politique du département.
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