XXIe siècle : l’ère de la "marchandisation" de l’amour ?

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Centre Presse Aveyron

Au XXIe siècle, l’amour se transforme, s’adapte, se réinvente et entraine avec lui tout un marché, qui depuis longtemps déjà, se compte en milliards d’euros. Retour avec le sociologue Ronan Chastellier sur l’évolution des mœurs amoureuses. 

"Marché des rencontres", "capital séduction", "négociation amoureuse" ou "investissement relationnel", l’amour flirte aujourd’hui avec le commerce.
En 2008, le marché de l’amour était estimé à 15 milliards de dollars. Affichant un taux de croissance annuel de 30 %, il dépasse aujourd'hui les 50 milliards de dollars et pourrait même atteindre 70 milliards d’ici quelques années selon une étude menée par Kantar.
Ronan Chastellier, sociologue – notamment pour l’application Meetic pendant plus de trois ans - maître de conférences à l'Institut d'Etudes Politique de Paris et Président de Tendanço, un cabinet de sondages, tendances et stratégie, nous éclaire sur les mœurs amoureuses du XXIe siècle et leur impact sur la société.

Big média : Quels changements majeurs les relations amoureuses du XXIe siècle ont-elles rencontré ?

Ronan Chastellier : Aujourd’hui, on voit émerger une nouvelle apogée sexuelle - qu’on n’avait pas connue depuis les années 70 - qui puise ses racines dans la conjoncture actuelle. Aléas politiques, climatiques, sanitaires… les Français doivent composer avec le port du masque, les gestes barrières, le gel hydroalcoolique, en bref une floppée de mécanismes bloquants qui ont fait grandir un besoin généralisé d’ensauvagement.
Jusqu’alors les Français communiquaient assez peu sur leurs fantasmes mais le XXIe siècle, et notamment ces dix dernières années, a fait émerger une ère plus permissive. Livres, films, applications, accessoires érotiques se sont massivement développés jusqu’à "marchandiser" l’amour et le désir. Aujourd’hui, on vend des sextoys aussi facilement que des cafetières électriques.

BM : Les applications de rencontres ont-elles aussi marqué un grand tournant. Pensez-vous que la technologie puisse vraiment nous aider à tomber amoureux ?

RC : On se rend de plus en plus compte que l’amour n’est pas nécessairement défiguré par la technologie. Certes, il y a un partage de données, un échange de critères, des calculs de compatibilités où chacun cherche à maximiser son bonheur. Les applications de rencontres facilitent la sélection par critères, corrigent "l’offre de nature" et tentent de rendre concret un sentiment qui, par nature, est irrationnel. Pour autant, je ne pense pas que passer par ce type de plateformes entraine une diminution de la qualité relationnelle ou empêche de sacraliser l’être aimé.
Je trouve que les applications de rencontres apportent un aspect plus flexible et spontané à la rencontre. Avant, ce qui caractérisait les relations amoureuses, c’était que "ça patinait un peu", il y avait un temps d’attente qui attisait la flamme. Aujourd’hui, avec les applications, le désir est resté mais pas l’attente. C’est un comportement très générationnel. Désormais, l’être humain veut tout, tout de suite.

BM : La société de consommation encourage donc cette "marchandisation" ?

RC : En tant que telle, la société de consommation n’a pas de responsabilité intellectuelle, où il y a un marché, elle va. Il se trouve qu’à l’ère du digital, les investissements les plus lucratifs se font dans des applications d’intermédiations, notamment amoureuses. Il est donc normal qu’elles fleurissent sur le marché. Ce qui dope la consommation depuis toujours, c’est le désir, et du désir à l’amour il n’y a qu’un pas. D’ailleurs, amour comme consommation se nourrissent de ce sentiment de désir.

BM : Il y a 10 ans, selon une étude que vous avez-vous-même menée, un Français sur trois avait déjà eu une relation amoureuse sur son lieu de travail. Qu’en est-il aujourd’hui ?

RC : Aujourd’hui, l’amour sur le lieu de travail est beaucoup plus compliqué, d’une part avec le développement du télétravail mais également avec le phénomène MeToo. Les hommes, et c’est une très bonne chose, sont désormais beaucoup plus précautionneux en matière de drague, car d’une impulsion amoureuse au harcèlement, il n’y a parfois pas grand-chose. Mais cela entraine aussi une sorte de confusion. Les hommes du XXIe siècle semblent un peu perdus lorsqu’il s’agit de drague.

BM : Au Japon, plusieurs entreprises mettent à disposition de leurs collaborateurs une application pour faciliter les rencontres amoureuses entre salariés. Une bonne idée selon vous ?

RC : L’expression "On ne mélange pas vie privée et vie professionnelle" ne fait visiblement pas autorité quand il s’agit d’amour ! Pour preuve, il y a 10 ans déjà, 50 % des Français reconnaissaient que l’environnement professionnel était propice au flirt et à la rencontre.
Cependant, les entreprises – en tout cas en France - ne voient pas toujours ces relations d’un très bon œil car, qui dit création de couple dit aussi création de scènes de ménage, d’affrontements, de tensions… D’ailleurs lorsque j’avais fait ce sondage, il en ressortait que ces relations amoureuses étaient souvent des relations éphémères.
Pour moi une entreprise n’a pas à se mêler des relations amoureuses de ses collaborateurs, même si cela part d’une bonne intention.

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