Chatons de noisetier, cueillis sur les sentiers de Rodelle, frits aux épices

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  • Un goût de tellines de la Costa Brava, un nez de noix d’un gras d’entrecôte d’Aubrac, un palais tapissé-dentelle de cet inclassable des sous-bois aux parfums d’ici-et-d’ailleurs à la fois. Un goût de tellines de la Costa Brava, un nez de noix d’un gras d’entrecôte d’Aubrac, un palais tapissé-dentelle de cet inclassable des sous-bois aux parfums d’ici-et-d’ailleurs à la fois.
    Un goût de tellines de la Costa Brava, un nez de noix d’un gras d’entrecôte d’Aubrac, un palais tapissé-dentelle de cet inclassable des sous-bois aux parfums d’ici-et-d’ailleurs à la fois. Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde

De retour d’une balade familiale autour de Bezonnes, commune de Rodelle, la cheffe Alix Pons Bellegarde a ramené des chatons de noisettes. L’occasion de concocter un succulent apéritif, à picorer en bonne compagnie.

Il y a ce chemin qui passe derrière la maison, Cantemerle, dit-on. "Où chante le merle", confirme Mistral en 1878 dans son Dictionnaire d’Oc Moderne. En lisière de village, Les Abels s’y enfoncent, passage étroit entre deux murets de pierres, la tourbe sous les feuilles, mêlée aux briques pilées venues on ne sait d’où, puis aux herbes folles bravant le sous-bois jusqu’à rejoindre le plateau.

Alors la vue en récompense, par temps clair, au sortir de "la draille", comme par surprise, des Monts d’Aubrac à la cathédrale ruthénoise. Au sol, la somme d’automnes des années passées. Aux arbres, encore l’hiver des tout derniers souffles de février. D’entre les cimes, les bosquets, pics-verts, rouges-gorges, mésanges, plus haut buses, milans, en gardiens du temple des secrets de ceux qui savent voler.

Nous y allons pour marcher – faire un tour. L’horizon sur le pas de la porte.

Cantemerle, raccourcis aux étoiles des soirs sans nuages

Tour d’enfance pour Antonin, près de la cabane du grand-père, aux souvenirs des cousins, les brebis aux champs, les mûres parmi les ronces ; tour de père aujourd’hui, les garçons main dans la main, le grand en éclaireur de traverse, son frère en collectionneur à ses trousses ; pour moi, les odeurs de forêt et les mousses d’avant, l’écorce humide des amandiers de mes virées gamine, les chevreuils surpris par l’aube. Lorsqu’il y voit l’Écosse, l’Irlande, les Adirondacks, la Cornouaille, j’y vois la Bourgogne, les framboises des petits sentiers, les Albères, aux champignons, minaude, avec ma mère et mon père.

Cantemerle, pèlerinage-de-poche, raccourcis aux étoiles des soirs sans nuages. Paysage-à-emporter à l’heure des nouveaux départs. Et notre toute première ballade, invariablement, à chaque "retour du Monde". Cantemerle, où le printemps ces jours-ci donne, lui, sans ambiguïté, des gages de son entrée en campagne. Avec ce quelque chose de japonisant, ses airs des bords de Marne. L’innocence des premiers bourgeons, comme seule réponse, d’ici, semble-t-il, à l’effondrement général. Les soleils blancs des matins froids, les ombres larges des branches nues.

Cantemerle, où la Suisse aveyronnaise peu à peu reverdit, valonne. Où sur le quai, le Causse pavoise, de l’opaline à la sauge, du Véronèse au vert de chrome. À la veille de "la grande saison".

Le noisetier, arbre sacré des druides et des poètes

C’est dans ce tableau, qu’arrivé un peu avant l’horaire, encore froissé, s’accoude, seul, en fond de salle, pataud, le chaton de noisetier. Nourriture liminaire pour les abeilles, mise-en-bouche de l’année à qui sait les cuisiner. Noisetier, arbre-mémoire. Présent bien avant nous, dès le tertiaire, soixante-six millions d’années en amont de notre ère. Puis parmi les incontournables de la palette des premiers chasseurs-cueilleurs du paléolithique.

Plus tard, arbre sacré par les druides et les poètes, gravé d’oghams divinatoires chez les Celtes, livres de messes avant l’heure. Ailleurs, utilisé comme traitement aux problèmes cardiovasculaires chez les Amérindiens.

Aujourd’hui encore, dans quelques recoins de monde, porté en collier, en petites billes façonnées, pour soulager des poussées dentaires les bébés. Chez moi, il y a peu, en Catalogne, ses branches aux quatre coins des bergeries, éloignaient, disait-on, loups et serpents. Pendant qu’elles protégeaient en Roussillon, autour des champs et des maisons, des sorcières et de la grêle. À cette heure, baguettes de sourcier, cerclages de tonneaux et manches à outils, fusains ; ces jours-ci bois d’arc pour Alex, canne à pêche de fortune pour Nour, bâton de marche pour leur grand-mère.

Alors avant que ne nous parvienne son fruit, la noisette, et sa gamme infinie de recettes, savoir aimer ses "inflorescences mâles" qui, en ce moment même, pointent leurs tiges de quelques centimètres, balancées aux vents, par grappes, dans un brouillard de pollen. "Chatons" car doux au toucher, légèrement velus, comme pourvus d’un pelage incongru.

Riches en protéines, en lipides sous forme d’acides gras insaturés, en minéraux, dont calcium, magnésium, silicium, phosphore et potassium, en vitamines B1, B2 et E, en acide salicylique – dont l’aspirine est dérivée –, les chatons ont de tout temps été dits magiques, salvateurs. Sudorifiques, ils couperaient l’appétit, pris en infusion vingt minutes avant le repas ; crus, Hildegarde de Bingen les conseillait contre l’impuissance et pour la fertilité ; réduits en farine, les anciens en faisaient galettes, chapatis, pains et pâtisseries à requinquer le corps avant la grande ascension du changement de saison.

Une robe brune claire croustille en surface

Ce matin, il s’agit de tendre le bras pour porter directement la récolte à la poêle dans un fond de gras. Rincer et égoutter avec délicatesse ; à feu moyen, faire fondre une cuillère de beurre salé, cru, fermier – de la ferme de Dilhac, c’est parfait, le beurre vit, chante, ses cristaux transpirent. Rissoler les chatons quelques minutes en les tournant régulièrement ; ils dorent, se raidissent légèrement, une robe brune claire croustille en surface ; réserver dès les premières fumées. Déposer la poêlée sur un papier absorbant pour la priver de son surplus de matière grasse et – c’est là tout le secret –, couvrir d’une pluie rouge de piment léger, un espelette par exemple, mêlée à un curry indien, plus orangé, plus saillant que celui de Madras, et une pointe de sel blanc. Les téméraires oseront, nonchalants, un trait fin de jus de citron frais ou, fonction de la cueillette du jour, une ciselade d’alliaire sauvage pour son twist aillé.

Avec les doigts, on picore

Il est bientôt midi, sur une assiette, parure orientale, bijoux de saison, les chatons frits attendent dans le jardin que le soleil ouvre le bal en touchant la table d’un premier rayon et que les verres se remplissent de ce magnifique Minimus, en rosé, découvert l’autre soir chez Nicolas Carmarans sur les hauteurs d’Entraygues-sur-Truyère. Les amis sont là, ça rit ça parle ça vit. Ça conjure le sort d’un monde en vrac.

Avec les doigts, on picore. Petit voyage, comme une virée en mer d’un seul jour, pris par le beau temps : un goût de tellines de la Costa Brava, un nez de noix d’un gras d’entrecôte d’Aubrac, un palais tapissé-dentelle de cet inclassable des sous-bois aux parfums d’ici-et-d’ailleurs à la fois.

D’autres l’aimeront chocolat, en orangettes ; d’autres encore en toping de tagliatelles aux coques, ou mélangé, séché, à un granola aux baies rouges. Alors peut-être, dérisoire, comme seule alternative à la dérive, recette-miracle s’il en est une à la folie des hommes : lever les yeux, cueillir, accueillir.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques. Le couple fonde en 2021 sa marque "Famille Pons Bellegarde" et sa Revue dédiée à l’univers du sel. Depuis Bezonnes, près de Rodez, il lance également ce printemps-ci un Journal consacré chaque mois à un alimentarium aveyronnais, ainsi que sa Table et son Épicerie de saison. Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix.ponsbellegarde.com

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