Agriculture en Aveyron : pour Dominique Reynié, la culture métropolitaine ignore les campagnes

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  • Le politologue Dominique Reynié. Le politologue Dominique Reynié.
    Le politologue Dominique Reynié. Philippe Henry
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Politologue et enseignant à Science-Po, Dominique Reynié a été invité par les Jeunes agriculteurs et le groupe de Camboulazet, à l’occasion d’un cycle de conférence, à s’exprimer sur la campagne présidentielle.

Comment expliquer que cette campagne présidentielle manque d’agriculture ?

Tout d’abord je constate l’hégémonie dans le monde politique, économique et médiatique de cette idée de « la grande ville ». Cette hégémonie a notamment pour conséquence une acculturation à la réalité des territoires en général et au monde agricole.
Et cette acculturation est notamment liée à une prise de distance spatiale et le triomphe, dans les idées, de la ville de plus de 100 000 habitants qui reste pourtant très minoritaire en France. Cela représente seulement 12 % des électeurs ; 88 % vivent dans des villes petites, moyennes ou en zone rurale. Mais quand on voit qui parle dans les médias, ce sont des personnes issues d’une culture métropolitaine. Il y a 50 ans, cette culture n’ignorait pas les campagnes.
Un autre facteur est arrivé récemment. Cette culture métropolitaine s’est dotée de sa propre culture agricole. Elle doit beaucoup à une préoccupation qui nous est commune, celle pour l’environnement. Mais elle a fait rentrer une vision du monde agricole qui est de plus en plus clivée, selon moi.

Les enjeux agricoles sont-ils oubliés de cette campagne présidentielle ?

J’ai tendance à dire que oui. Et pourtant, on ne peut pas en faire l’économie. On a pu désindustrialiser la France, on ne peut pas ne pas avoir d’agriculture.
Et la crise internationale dans laquelle nous sommes – qui est tout à fait tragique – vient nous rappeler la réalité du monde et de la vie. Mais il y a peut-être là un point de départ d’une réappropriation collective – pas des premiers concernés, les agriculteurs – mais par le reste du pays qui peut prendre conscience de l’importance de l’agriculture. C’est une ressource inouïe pour notre pays, et cette crise majeure doit nous amener à réviser beaucoup d’idées reçues.

On pouvait pourtant penser que la crise du Covid avait changé la perception de l’agriculture ?

Oui je partage cette remarque mais je trouve qu’on ne l’a pas assez explicité. Ce qui m’a frappé lors du premier confinement, c’est très banal, mais c’est de voir les gens affolés par des risques de pénuries alimentaires. Et tout d’un coup, on découvre que l’acheminement des produits ne se fait pas par miracle.

Quelle vision de l’agriculture ont les différents candidats de cette présidentielle ?

Nous allons vivre la onzième présidentielle depuis 1965. Si on faisait le journal des campagnes, sur la campagne, on serait impressionné de voir à quel point le sujet était présent à l’époque. Les candidats faisaient preuve d’une connaissance intime, pas forcément professionnelle mais culturelle ou familiale de l’agriculture. Aujourd’hui, cette vision est devenue technocratique, experte. Certains éprouvent même une certaine animosité.
Je ne veux pas parler de manière péremptoire, mais je ne vois pas de discours forts, structurants. On a perdu de vue l’horizon, on ne sait plus le comprendre. Je vois des discours très tactiques, très corporatistes, qui sont destinés à ne pas provoquer de mécontentement pendant la campagne.

Qu’en est-il de leurs programmes ?

On trouve, parfois, des idées qui ne sont objectivement pas soutenables.
Il y a certaines choses qui se disent, quelques postures attendues. Certains vont mettre l’accent sur l’agriculture sans intrants, par exemple. Je trouve qu’il n’y a pas eu d’idée par exemple sur la question de la bonne rémunération de la production. J’aurais aimé lire dans les programmes des choses qui m’interpellent et me fassent réfléchir. Ces propositions sont en réalité des lignes de fuite.
Aussi, il y a une idée qui n’émerge pas, c’est le rapport à l’innovation. Si je prends l’exemple, celui de l’édition du génome. Il s’agit d’une piste extraordinaire pour répondre au défi climatique, à la biodiversité, cela pourrait régler, en partie, la question des intrants, réguler le stress hydrique, etc. Mais aujourd’hui une grande partie des brevets utiles à cette technologie sont déposés par les Chinois et les Américains. L’Europe reste minoritaire. Mais la crise en Ukraine va peut-être amener l’Europe à réviser son jugement. Faire en sorte que l’agriculture s’émancipe.

Vous faites finalement le constat qu’il est aujourd’hui difficile de parler d’agriculture et surtout, d’établir une réelle politique sur les décennies à venir ?

La situation est malheureusement celle-là, lorsque l’on analyse froidement la situation. Personne ne vous répond mais la réalité se charge de le faire. Je préfère un réajustement par la réalité qui nous force à la reconnaître plutôt qu’un aveuglement organisé qui repousse aux générations futures le soin de faire l’expérience de cette même réalité.

Ce contexte a-t-il une influence sur le vote des agriculteurs ?

Ce contexte tendu est l’une des explications, pour une partie, de l’orientation, du vote des agriculteurs vers la droite protestataire. Elle a été amenée à considérer que la droite du gouvernement fait ce que font les élites métropolitaines, une espèce d’incompréhension. Leur vote peut-il être poussé vers les extrêmes ? C’est un risque. Le vote antisystème est une tendance, il y a la protestation non électorale, la « giletjaunisation » qui est un problème majeur. Il y a le retrait pur et simple. L’abstention. Ce sont des formes qui prennent de plus en plus d’importance. Cette élection, à cause des drames qui l’environnent, va se dérouler mécaniquement, sans avoir lieu.
Mais je trouve encore qu’il y a de la ressource, c’est un point d’espoir. Et j’espère que les nouvelles générations y verront quelque chose de positif.

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