Ukraine : le témoignage horrifiant d'un fixeur de Radio France, enlevé et torturé par l'armée russe

  • Un fixeur de 32 ans a été enlevé et torturé pendant 9 jours entre les mains de l'armée russe en Ukraine.
    Un fixeur de 32 ans a été enlevé et torturé pendant 9 jours entre les mains de l'armée russe en Ukraine. Reporters Sans Frontières -
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Pendant neuf jours, un fixeur de Radio France a été enlevé en Ukraine par l'armée russe. Il a raconté sa captivité où il a essuyé des séances de torture.

Lundi 21 mars 2022, Reporters Sans Frontières a publié le témoignage d'un fixeur de Radio France de 32 ans qui a été enlevé dans un village dans le centre de l'Ukraine par l'armée russe, qui a été torturé à maintes reprises et qui a vécu neuf jours effroyables avant d'être libéré le 13 mars.

Renommé Nikita pour sa propre sécurité, le fixeur et interprète a travaillé pour des équipes de France 2, BFMTV et RFI, avant de collaborer avec Radio France dès février 2022. "Comme tout Ukrainien, ce père de famille est particulièrement soucieux du sort de sa famille alors que les bombardements indiscriminés russes ont gagné en intensité", commente Reporters Sans Frontières. Voici ce qu'il a vécu pendant ses neuf jours de captivité.

Une embuscade sur le chemin pour retrouver sa famille

Le 5 mars 2022, Nikita était en reportage avec une équipe d'envoyés spéciaux de Radio France. Cette dernière était posée à l'hôtel lorsque le fixeur a appris qu'un chemin menant au village où s'est réfugiée sa famille était libre d'accès.

Nikita a alors décidé de s'y rendre pour vérifier si ses proches étaient à l'abri et pour les faire évacuer, car les bombardements étaient "intenses" dans cette région. Au volant d'une voiture étiquetée presse, Nikita a malgré tout été arrêté lors d'une embuscade d'une troupe de reconnaissance russe en lisière de forêt, au bord de la route.

Le véhicule a été mitraillé. Nikita compte "entre trente à quarante coups de feu". Reporters Sans Frontières précise : "Couché sur le côté, il accélère pour s'enfuir mais heurte un arbre. Sauvé par son airbag, il crie qu’il est un civil, montre ses mains pour prouver qu’il est désarmé et sort de la voiture. Les militaires, il en compte six se distinguant par un brassard blanc fixé autour de la jambe, se saisissent de lui, le jettent à terre, le fouillent, le frappent".

Les forces russes étaient persuadées que Nikita était un militaire en repérage pour "guider les tirs de l'artillerie" et ont décidé de l'enlever.

Les militaires russes simulent une exécution

Avec un bonnet sur la tête, Nikita a été emmené dans une maison située à quelques minutes de marche. Après avoir fouillé son téléphone, les militaires ont menacé le fixeur de lui taillader le visage avec un couteau, puis Nikita est passé à tabac à coups de crosse de fusils-mitrailleurs.

Sévèrement blessé, le fixeur a été jeté dans un fossé, à côté d'un chien mort. Là, il a été soumis à un simulacre d'exécution : "un soldat prétend vouloir vérifier que son arme fonctionne, le coup de feu effleure la tête de Nikita".

Le jeune homme a ensuite été emmené dans le campement des militaires russes dans la forêt, où il va rester attaché à un arbre pendant trois jours, les mains dans le dos.

Torturé à coups de chocs électriques

Le 6 mars, Nikita a été interrogé par un militaire qu'il comprend être un colonel russe. Deux autres prisonniers rejoignent le fixeur. L'un d'eux s'échappera en même temps que Nikita, plus d'une semaine plus tard, permettant de recouper les éléments du récit.

Le 8 mars 2022, les trois prisonniers ont été emmenés dans un blindé pour un trajet d'une quarantaine de minutes. Une fois à destination, l'interrogatoire et les séances de torture ont repris. Les soldats ont tenté de faire avouer à Nikita qu'il était un espion en lui assenant des chocs électriques, "pendant cinq à dix secondes à chaque fois". Les deux autres prisonniers ont également été torturés.

Nikita a finalement été forcé d'écrire et signer une lettre où il déclare son soutien à l'armée russe et à l'invasion de l'Ukraine. Les trois prisonniers ont ensuite été attachés et emmenés dans la cave d'une maison remplie d'eau. Ils y sont restés deux jours.

Il s'attendait à être exécuté... mais est relâché

Nikita est déplacé dans une autre maison, le 10 mars 2022, où il est rejoint par un nouveau prisonnier qui serait un haut fonctionnaire ukrainien. "Dans cette maison les quatre prisonniers sont interrogés par des militaires dont Nikita ne pourra voir que les jambes et les bottes, mais cela lui permettra de comprendre qu’il ne s’agit pas de soldats d’unités combattantes : des bottes propres et cirées, des pantalons repassés. Peut-être des membres du FSB ou du GRU".

Le 12 mars, on leur a annoncé qu'ils seraient libérés le lendemain. Le moment venu, Nikita est en effet relâché dans une forêt, dans laquelle il était persuadé qu'il allait être exécuté. Il s'est alors mis à courir, mais heureusement aucune balle n'a sifflé autour de lui.

Le fixeur a rapidement trouvé une route et une voiture de civils ukrainiens, dans laquelle il a embarqué. "Si vous ne le prenez pas, dit un militaire aux civils réticents “on l’abat sur le champ”.

"Un traumatisme criminel"

Reporters Sans Frontières témoigne aujourd'hui de l'Etat de Nikita : "Nikita a aujourd’hui le corps couvert d’hématomes, la jambe gonflée et toujours des difficultés à bouger ses mains, résultat des chocs électriques. L’examen médical qu’il subit constate des hématomes à la tête et sur le corps, le gonflement de la jambe droite, les engourdissements des membres pouvant résulter des chocs électriques subis. Relevant que les blessures de Nikita ont été infligées par l’armée russe, le médecin va jusqu’à conclure qu’il a subi un “traumatisme criminel”. Nikita se remet. Sa famille a pu s’enfuir".

Le témoignage a été recueilli par des responsables de la direction Plaidoyer et assistance de RSF lors de plusieurs séances les 17 et 18 mars.

Les différentes parties de son récit ont été corroborées par des entretiens avec un membre de sa famille, un de ses anciens codétenus, deux journalistes de Radio France. Un collaborateur de RSF l’a accompagné lors de son examen médical, qui a permis de confirmer les traitements subis, notamment des commotions et des marques sur les jambes, là où les chocs ont été infligés. RSF était aussi présent lors de ses appels à sa famille.

Reporters sans frontières compte transmettre la version de Nikita au procureur de la Cour pénale internationale (CPI).

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