Longtemps muettes, des entreprises américaines se positionnent sur l'avortement

  • Des centaines de manifestants ont défilé, à Boston, dimanche, pour soutenir le droit à l'avortement le jour de la fête des mères.
    Des centaines de manifestants ont défilé, à Boston, dimanche, pour soutenir le droit à l'avortement le jour de la fête des mères. JOSEPH PREZIOSO / AFP
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ETX Daily Up

(AFP) - Après avoir soigneusement évité ce sujet tabou durant des décennies, de plus en plus d'entreprises américaines prennent position sur le droit à l'avortement, signe de l'émergence d'une nouvelle génération aux attentes différentes.

Il n'aura fallu que quelques heures après la fuite annonçant le possible revirement de la Cour suprême sur la question de l'avortement pour qu'une partie de l'économie américaine réagisse publiquement.

"Sachant ce qui est en jeu, les dirigeants du monde de l'entreprise doivent se faire entendre et agir pour préserver la santé et le bien-être de nos employés", ont écrit les responsables de Levi Strauss. "Cela implique de protéger les droits liés à la procréation."

Comme le célèbre fabricant de jeans, Apple s'est engagé à couvrir les frais engagés par ses salariées qui devraient se déplacer dans un autre Etat pour pratiquer une interruption volontaire de grossesse (IVG).

Revenir sur le droit à l'avortement "mettrait en péril les droits de millions de femmes", a déclaré à l'AFP la plateforme de recherche participative Yelp, qui évoque "un séisme pour notre société et notre économie" et appelle les entreprises à "prendre l'initiative".

Depuis l'entrée en vigueur en septembre, au Texas, d'une nouvelle loi ramenant à six semaines le délai pour procéder à une IVG, le tabou se lézarde et Amazon, Uber ou même la banque Citigroup ont tous annoncé prendre en charge les coûts supplémentaires que ce texte peut induire pour leurs employées.

"Nous vivons une période inhabituelle sur le plan politique et cette question est redevenue primordiale, ce qui va forcer les entreprises à se dévoiler", estime Maurice Schweitzer, professeur à l'université Wharton de Pennsylvanie.

"Les sociétés se trouvant dans des Etats qui pourraient revenir (sur l'accès à l'IVG) doivent décider si elles couvrent ou non les frais associés (...), cela les contraint donc à se positionner de fait", affirme Neeru Paharia, professeure à l'université Georgetown.

Selon le New York Times, Tesla, qui vient de déplacer son siège de Californie au Texas, s'est engagé à rembourser ces dépenses.


- "Question de génération" -

La nouvelle audace d'une partie des compagnies américaines est aussi liée au fait que "dans ce pays, les gens favorables (au droit à l'avortement) sont plus nombreux que ceux qui y sont opposés", rappelle Neeru Paharia.

Les annonces de plusieurs sociétés de premier plan s'inscrivent "dans une tendance générale" à l'oeuvre depuis environ dix ans et qui "a vraiment pris de l'ampleur sous l'ère Trump", souligne-t-elle.

Immigration, droits de la communauté LGBT, législation sur les armes, mouvement "Black Lives Matter", accès au droit de vote... Les sujets contentieux se sont succédé dans un climat de polarisation exacerbé, et beaucoup d'entreprises ont été pressées de réagir par une partie de leurs employés.

"C'est une question de génération", explique Mark Hass, professeur à l'unversité d'Arizona State. "Les +millenials+, la +Gen Z+ (née depuis la fin des années 90) se préoccupent de plus en plus des valeurs de leur entreprise."

"Apple, Amazon ou Uber veulent avoir les meilleurs professionnels", poursuit-t-il, "donc leurs employés leur servent un peu de boussole."

"Le marché de l'emploi est tendu et certaines qualifications sont difficiles à trouver", renchérit Neeru Paharia. Les attentes vis-à-vis des employeurs se sont aussi renforcées, selon elle, dans un pays où la confiance dans le système politique s'érode depuis de nombreuses années.

Maurice Schweitzer fait lui une distinction entre les fleurons de la nouvelle économie, dont les salariés sont plus diplômés que la moyenne et souvent capables de travailler de n'importe où, et les sociétés plus traditionnelles, parfois implantées dans des régions plus conservatrices.

Ces dernières ont souvent des salariés moins mobiles et moins qualifiés, dont l'influence vis-à-vis de leur employeur est souvent plus limitée.

"C'est une raison essentielle pour laquelle les boîtes de la tech, par exemple, vont bouger" sur le sujet de l'avortement, dit-il, "tandis que d'autres vont essayer de rester à l'écart."

Contrairement à certains précédents, les firmes qui ont pris parti publiquement ont globalement échappé au retour de bâton (appels au boycott ou campagnes de dénigrement).

Le sénateur républicain Marco Rubio a bien déposé une proposition de loi qui empêcherait les entreprises de bénéficier d'abattements fiscaux sur leurs dépenses liées à la prise en charge des déplacements pour une IVG, mais elle a peu de chances d'aboutir.

"Les gens qui veulent restreindre l'accès à l'avortement sont une minorité, et il semble qu'ils soient en train d'enregistrer des victoires en ce moment", analyse Maurice Schweitzer. "Je ne suis donc pas surpris que (les conservateurs) soient plutôt calmes."





© Agence France-Presse

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