Retour de chasse en Aveyron : cuissot de sanglier mariné au miel

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  • Quadriller la viande au couteau, la frotter à la fleur de sel ; la mariner de miel, de thym et d’estragon, la barder de brindilles fraîches du jardin. Quadriller la viande au couteau, la frotter à la fleur de sel ; la mariner de miel, de thym et d’estragon, la barder de brindilles fraîches du jardin.
    Quadriller la viande au couteau, la frotter à la fleur de sel ; la mariner de miel, de thym et d’estragon, la barder de brindilles fraîches du jardin. Antonin Pons Braley
Publié le , mis à jour
Alix Pons-Bellegarde

Sacré, compagnon des dieux durant l’Antiquité puis délaissé au Moyen-Âge, remplacé par le noble cerf, le sanglier n’en reste pas moins un mets apprécié. Et quand on a l’art de savoir bien le préparer comme le fait Alix, vous pouvez être sûr de régaler la tablée.
 

Un sanglier aussi énorme que l’Épire herbeuse n’a pas de taureaux plus grands, des soies aussi raides que des javelines hérissant son cou, une écume brûlante coulant de ses larges épaules, les dents égales à celles d’un éléphant, la foudre au sortir de sa gueule, le souffle embrasant le feuillage ». C’est Ovide qui parle. Le sanglier de Calydon, créature de l’imaginaire, ravage l’Étoile et Œnée Roi n’a d’autre choix que de convoquer les héros pour en avoir raison. Son fils Méléagre s’illustre, comme Hercule en son temps, portant le coup fatal.

Adulé puis détesté

De toujours, la bête semble avoir tout autant nourri les hommes que leurs histoires, depuis les cavernes jusqu’à nos iconographies contemporaines. Animal sacré, intercesseur avec l’au-delà, surnom des druides, symbole de force et de courage chez les Celtes, qui ornaient les armes de leurs défunts de sa tête coupée en trophée pour les aider, dans les limbes, à « traverser ». Repas des dieux rassemblés, son chasseur est l’incarnation du guerrier, vainqueur au corps à corps, en combat singulier. Prise initiatique pour les Romains ; gibier des notables chez les Germains ; en Scandinavie, comparse historique de Freya, Valkyrie de la guerre, de la bataille et de la mort, allégorie de la puissance, de l’autorité et la gloire, en mythologie norroise.
Une tradition qui, pour autant, s’inverse au sortir du Haut Moyen-Âge, en France puis en Angleterre, où sa traque est peu à peu dévalorisée. Et alors que sa battue n’a plus la faveur des Princes, qui lui préfèrent dès lors le cerf qui lui est opposé, le sanglier devient la proie des seigneurs de peu de terre, pendant que les Grands arpentent à cheval, « à courre, à cor et à cri » les forêts sans limites de leurs héritages pour y poursuivre le premier des cervidés, dit « Christ des animaux », capture de toutes les vertus.
Érigé en légende par l’Antiquité, l’Église se charge dorénavant de le bannir, faisant de ses attributs ses nouvelles tares. Animal des païens, amant du diable : de figure de la fertilité et du mariage heureux, il devient celle de la luxure, et son courage se mue en férocité.
Pour autant le mythe n’a pas abandonné la bête : casques, boucliers, carnyx - trompe de bronze ou de laiton au pavillon en forme de hure à gueule ouverte -, ou encore bombes - comme les « Sangliers bleus de Vickers », missiles air-sol britanniques des années 1950 -, continuent encore aujourd’hui à se réclamer du géant réputé invincible.

Retour en grâce

Il faudra, sur ce chapitre aussi, attendre Brillat-Savarin, pour que sa viande « saine, chaude, savoureuse, de haut goût et facile à digérer » revienne saluer les « festins ». Et, il y a peu, le nôtre. Alors qu’une chasseuse de ses connaissances, le cuissot sous le bras, s’en est venue rencontrer Jacques, un ami, pour partager son butin : sanglier abattu par ses soins, dans les campagnes au large de Rignac. À offrir, à l’aveyronnaise, entre voisins. Bête noire, de presque trois kilos de gibier tendre ; un nez cru de sous-bois, d’humus, de cèpe ; une de ces pièces que l’on garde précieusement, quelques jours, quelques mois, pour que le plat soit à la hauteur du bon moment.
Et bon moment il y a eu - évidemment. À la grâce de la très belle compagnie. Depuis la veille en cuisine : à quadriller la viande au couteau, la frotter à la fleur de sel ; la mariner de miel, de thym et d’estragon, la barder de brindilles fraîches du jardin, jusqu’à l’envelopper d’un film au réfrigérateur ou à la cave pour une douzaine d’heures au moins. Le lendemain, sur une plaque à rôtir brûlante généreusement arrosée d’huile, déposer le cuissot retenu à température ambiante trois heures avant cuisson. Pour le marquer, dix minutes, de toute part. Puis dégraisser la plaque, pour y loger beurre, échalotes et un trait de miel, qui feront le lit du sanglier à réenfourner à 180°C une quarantaine de minutes, régulièrement badigeonné de la marinade précieusement réservée. Objectif cinquante-quatre degrés à cœur pour une cuisson rosée. À perfection.
Le temps d’ourdir en secret le complot d’un chutney : deux cent cinquante grammes de fraises, une échalote, un oignon et quatre pruneaux, une belle pincée de sel et sa jumelle en sucre, le tout à caraméliser, lentement, très lentement, puis à déglacer à cette perle rare en Chenin de chez Lise et Bertrand Jousset en collaboration avec la vinaigrerie La Guinelle à Banyuls-sur-Mer.

Au grand bonheur du « bon moment »

Déjeuner tardif mais divin, pour notre magnifique tablée de dix avec enfants. Au grand bonheur du « bon moment ». Humain, savoureux, vrai. Dans l’air, le fumé de la bête toujours présent, l’acidité heureuse de la fraise encore tiède ; le gras, enveloppant ; le twist caractéristique de ces quelques artichauts que nous avions également convié à l’assiette, tournés-dorés aux côtés d’une poignée de radis succulents. Les rires et les voix au-dessus des plats, jusqu’au soleil presque couchant de fin de repas. Magique.
De la cuisse d’un Dieu nous aurons ainsi dîné, bienheureux, cuisiné ensemble, échangé. Sur autant d’histoires que ce morceau de sanglier partagé aura su nous conter.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, Aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse.
Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques.
Le couple fonde en 2021 sa marque « Famille Pons Bellegarde » et sa Revue dédiée à l’univers du sel. Depuis Bezonnes, près de Rodez, il lance également ce printemps un Journal consacré chaque mois à un alimentarium aveyronnais, ainsi que sa Table et son Épicerie de saison.
Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix.

Bientôt sur Internet : ponsbellegarde.com
 
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