Magie verte : infusion d’achillée millefeuille

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    eux grammes par tasse d’eau frémissante, à respirer puis boire au soleil d’un après-midi de juin. Antonin Pons Braley - Reproduction Centre Presse
Publié le , mis à jour
Alix Pons Bellegarde

À travers les âges, à travers le temps, Alix nous raconte la légende et l’histoire de l’achillée qui doit son nom au célèbre Achille, héros de l’Antiquité. Une plante aux vertus apaisantes et au pouvoir « magique » que la cheffe vous propose de déguster en infusion.

Son nom lui viendrait d’Achille, légende troyenne, qui s’en serait servi pour apaiser les souffrances de Télèphe après l’avoir blessé de sa lance. Ou bien serait-ce Ulysse qui, sur les conseils de l’Oracle, aurait soigné le fils d’Héraclès d’un cataplasme mêlant l’herbacée à la rouille de la lance malheureuse - la formule proverbiale « guérir par la lance d’Achille » survivant en France jusqu’à la fin du XIXe siècle. Dans les deux cas, c’est au Péléide de l’Iliade, Achille demi-Dieu, que le destin de la plante semble être étroitement lié, tenue aujourd’hui encore pour « herbe du soldat », « herbe aux militaires », « à la coupure », « aux charpentiers » voire « charpentaire », ou bien « millefeuille du chevalier », en Russie « herbe coup-de-hache ». Sitôt, du naturaliste romain Pline l’Ancien au médecin grec Dioscoride, l’Antiquité ne cessera jusqu’à nos jours de vanter les mérites de la « millefeuille », reconnaissable à sa dentelle caractéristique donnant le sentiment qu’une multitude de ramures se déploie à l’endroit d’une seule.

Plantes des amours

Rien d’étonnant dès lors, à découvrir il y a quelques années, à l’occasion de fouilles archéologiques à Shanidar, en Irak, les vestiges d’une pharmacie néandertalienne, dont l’analyse des pollens survivants révéla la présence en bonne place de notre spécimen. Ou à se rappeler, plus récemment encore, que durant la Première Guerre mondiale, l’État-Major français conseillait à chaque troupier d’en cueillir quelques branches pour les joindre à son kit de première urgence.

Plante magique, dont le pouvoir de cicatrisation semble tout aussi bien toucher les corps que les cœurs ; depuis les Celtes qui en recommandaient aux princes sa consommation pour mieux les réconcilier d’avec leurs sujets en défiance ; aux campagnes italiennes, vidées des grandes diasporas du début du siècle dernier, où il était d’usage, à Spezzano Albanese en Calabre notamment, d’en composer un bouquet tout autour de la Madone, une photo de la fille ou du fils exilé à ses côtés, comme pour l’inviter à se rappeler au bon souvenir des parents, laissés trop longtemps sans nouvelles, et leur écrire sans plus tarder.

Plante des amours à distance, sur les Îles britanniques également, où les jeunes filles avaient coutume au clair de lune d’en tailler quelques brins d’un couteau à manche noir, puis, plaçant sous l’oreiller leur butin, de murmurer : « Toi, jolie herbe de l’arbre de Vénus, de ton vrai nom achillée millefeuille, sais-tu, toi, à présent, qui doit être mon ami de cœur ? Je t’en prie, dis-le moi demain. Millefeuille, Millefeuille, porte un coup blanc. Si mon amour m’aime, alors mon nez saignera maintenant. » Car si l’achillée, « sourcil de Vénus », sait panser les plaies, elle tend tout autant à favoriser le saignement des muqueuses ; si bien que respirée de trop près, elle peut faire perler quelques gouttes depuis le nez. - Au point qu’elle fut connue des écoliers comme « herbe buissonnière », les garnements s’en tapissant les narines pour obtenir du professeur le droit de quitter les bancs, le museau rouge-sang.

Herbe du diable, herbe à rêver

Achillée merveilleuse, tantôt « herbe du diable » ou « herbe à rêver », « à antrôler » - ensorceler, envoûter -, « herbe indovouaze » - somnifère, narcotique léger -, décidément enchevêtrée à la culture populaire : en Gironde, où l’on se protégeait du mauvais œil par un sachet d’achillée, d’armoise et de millepertuis, porté sous les vêtements ; en Vendée, où elle servait aux prêtres à exorciser ; en Sardaigne, où une achillée suspendue au lit de noces assurait aux mariés un amour d’au moins sept ans ; ici, en Aveyron, où elle rentrait dans la composition des « trente-deux herbes de la Saint-Jean » récoltées pour l’année le soir du solstice d’été. En Chine enfin, où l’achilléomancie, technique divinatoire plurimillénaire, repose sur la manipulation fascinante de cinquante baguettes faites de tiges d’achillée millefeuille, aléatoirement distribuées pour interroger le « Yi Jing ».

Achillée médicinale, en outre recommandée pour les maladies de peau, dont l’acné, les piqûres d’insectes et les réactions cutanées ; pour ses vertus anti-inflammatoires, antispasmodiques, astringentes, diaphorétiques, diurétiques et décongestionnantes ; prescrite contre les douleurs rhumatismales ou menstruelles, le lymphatisme, les difficultés respiratoires ; pour le traitement des pertes d’appétit temporaires, des troubles gastro-intestinaux et spasmes des voies digestives, mais aussi des problèmes de circulation et varices, phlébites et hémorroïdes ; ou encore pour atténuer les névroses. Plante à tout faire, bien que son usage soit contre-indiqué pendant la grossesse et l’allaitement, de même que chez l’enfant de moins de douze ans, en cas d’épilepsie ou d’allergie aux astéracées.

Achillée savoureuse, alliée des cuisines à l’été - un nez de camphre sur une pointe d’amertume, un retour poivré, presque muscade, cannelle, aunée. En condiment sur les salades, les soupes, en vanille sur les crèmes, les riz au lait, les flans, sur une omelette façon Lancelot-de-Casteau qui la cite en 1604 dans son Ouverture de Cuisine parmi ses épices quotidiennes. Encore, en limonade : deux poignées, pour un citron et cent grammes de sucre dans deux litres d’eau bouillante à laisser refroidir puis glacer. En vinaigre, laissant quelques jours agir trois cents grammes de fleurs et une dizaine de feuilles dans un litre de vinaigre de cidre. Plus avant, comme remplaçante au houblon, dans la composition de la bière ; ou bien, ses graines en sachet en fond de barrique, pour éviter que le vin ne surisse.

À respirer puis à boire

Nous, ici maintenant, c’est en infusion que l’on dégustera cette histoire, deux grammes par tasse d’eau frémissante, à respirer puis boire au soleil d’un après-midi de juin, après l’avoir rencontrée au hasard de ses terrains de prédilection : d’entre les hêtres ou les chênes, en lisière de Causse Comtal, sur le bord de route ou le long des clôtures des pâturages.
Achillée magicienne, d’un rêve à l’autre, le temps d’une gorgée partagée d’avec votre princesse ou chevalier. À tirer les cartes et les rebattre. Amoureux envoûtés.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, ils parcourent le monde pour archiver les cultures alimentaires des régions insulaires et nordiques. De retour depuis peu en Aveyron, le couple fonde en 2021 sa marque « Famille Pons Bellegarde » et s’apprête à ouvrir à partir d’août prochain à Bezonnes (commune de Rodelle), près de Rodez, sa Table gastronomique, sa Libraire gourmande et son Épicerie de saison ; en plus de lancer son Journal 42, bimensuel papier dédié à l’alimentarium d’un rayon culinaire de 42 km autour de Rodez.
Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix et de leurs explorations.

Bientôt sur Internet : ponsbellegarde.com
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