Une recette aveyronnaise : yaourt au lait de brebis, miel et origan sauvage

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    Au centre, quelques grands pots et un jeu de spatules. À chacun d’opérer... Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde, cheffe & Antonin Pons Braley, anthropologue

Une tartine simple et savoureuse, mariage d’un yaourt d’Arvieu et d’un miel de Rignac, parsemée d’origan pour un petit-déjeuner partagé…

Matin rouge. La rosée perle, dans la cour, depuis les feuilles du sumac jusqu’aux fleurs de thym tapies d’entre les pavés. Nuit de pluie, la veille, quelques éclairs, du tonnerre, sur la place de Bezonnes. De ces nuits d’été qui défient les puissants, à renfort de soubresauts, de déchirures et de murs tremblants. La maison en émoi, de toute sa pierre. Au malheur du couvreur le bonheur du jardinier, alors que les travaux du restaurant touchent ces jours-ci à leur fin, presque prêts que nous sommes, à l’aube du mois d’août, à ouvrir les portes en grand. Si bien qu’aux aurores nous étions déjà sur le pont, comme il n’y a qu’à peine quelques mois de cela, lorsque nous naviguions encore au large de la Baltique, cap-au-Sud-chemin-retour, café bouillant à la proue du voilier, aux premières lueurs des lendemains de tempête. Rescapés imaginés.

Murs en feux et ciel d’eau claire

Ce matin, les embruns seraient davantage à chercher dans les retours de brise, gorgés de fraîcheur par le jardin, engouffrés sous le porche menant au potager. La mer troquée pour le Causse Comtal. La roche, multicolore, jusque dans les caves, les étables, comme seul récif, dégringolante, à fleur, depuis l’église jusqu’à la fontaine, habillée de mousses, de lichens. Et en guise de radeau, l’ancienne grange aux foins, au chevet de laquelle, notamment, nos efforts se concentrent depuis le printemps – esquif en quelques mois devenu ce repère de corsaire, tourelle creusée vent-de-face dans la falaise. Boussole. Alors, lorsque au levant, donc, murs en feux et ciel d’eau claire, nous dressons au-dehors la table du petit-déjeuner, en partage avec les équipes à pied d’œuvre, une fringale et un vieux réflexe de marin : en tartine ou en cuillère, une noix de yaourt de brebis, léchée d’une généreuse trempée de miel, topée de ces quelques fleurs d’origan sauvage, encore électriques, cueillies la veille, une heure à peine avant l’orage.

Ode à la crème, grasse et pulpeuse

Yaourt fermier, par Emmanuel Valayé et Simon Mesmin, Gaec Bêle & Bio, à Beauregard, commune d’Arvieu ; quatrième génération à labourer la ferme familiale, perchée à sept cents mètres d’altitude sur les berges des grands lacs du Lévézou. Ode à la crème, grasse et pulpeuse, au lait paysan, à la fois frugal et opulent, sous sa pointe d’acide, son nez de beurre. Ce qu’il faut, tout juste. De bonheur à pleines dents.

Parfum de montagne, onctueux, ample

Miel d’été, par Noëlle et Olivier Derambure, apiculteurs récoltants, près de Rignac depuis plus de dix ans à présent, autonomes en essaims et en cire ; d’abeilles de souche locale, en rucher fixe, pour une seule récolte par an. La lenteur, toujours, la lenteur. Parfum de montagne, onctueux, ample, bouche fine et musclée, retour de cèdre, de marc humide en fond de barrique, et ce twist caractéristique de l’herbier des gorges de l’Aveyron. Magique.
Enfin, bruine légère : origan – « quelques feuilles dans le repas de l’élu de son cœur », rappelle Viviane Carlier dans son Herbier médicinal, sur les traces de la plante à l’Antiquité. Du camphre, de la muscade, de l’aneth, de l’eucalyptus presque, un rappel de fleur de fenouil.

À chacun de doser  le paysage de sa cuillerée

Les mains sur nos tasses pour se les réchauffer, le soleil à peine assis à présent à table avec nous ; les uns au café les autres au thé ; Alex, retardataire, ses touts juste onze ans enfilés à la hâte, les cheveux en bataille, tout sourire à la vie ; Nour, bienheureux, encore sous ses couettes jusque dans nos bras, privilégié, une oreille aux premiers ragots du quartier – des mésanges aux étourneaux, des merles aux martinets.
Au centre, quelques grands pots et un jeu de spatules. À chacun d’opérer. De doser, savamment, le paysage de sa cuillerée. Et à la grâce du moment partagé, entendre remonter les souvenirs de ferme, de yaourt, de miel, de cueillette, des comparses que nous sommes de ce début de journée.
Lui, sa grand-mère savoyarde. Elle, son enfance de bord de mer. Lui encore, premières émotions en forêt. Tous, nos chemins de traverse, nos rêves d’enfants, nos palais de grands.
Cher lendemain de pluie, merci.

Alix et Antonin

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, ils parcourent le monde pour archiver les cultures alimentaires des régions insulaires et nordiques. De retour depuis peu en Aveyron, le couple fonde en 2021 sa marque « Famille Pons Bellegarde » et s’apprête à ouvrir à partir d’août prochain à Bezonnes, près de Rodez, sa Table gastronomique, sa Libraire gourmande et son Épicerie de saison ; en plus de lancer son Journal 42, bimensuel papier dédié à l’alimentarium d’un rayon culinaire de quarante-deux kilomètres autour de Rodez. Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix et de leurs explorations.

Facebook Famille Pons Bellegarde


 

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