Rodez. En Occitanie comme en Aveyron, le vétérinaire rural, espèce en voie de disparition ?
La désaffection pour la médecine vétérinaire rurale est une réalité à laquelle le département n’échappera plus pour longtemps. Car si, du côté des effectifs, la situation y est encore tenable, les cadences de travail exigeantes et la rentabilité moindre que chez leurs collègues "de ville", en charge principalement des animaux de compagnie, engendre une pénurie dont les prémices se font sentir à l’heure actuelle en Occitanie.
En Occitanie en cinq ans, le nombre de vétérinaires "ruraux" a diminué de 15 %. La profession se divise en deux catégories. D’un côté le vétérinaire de ville, en charge principalement des animaux de compagnie ; de l’autre, le vétérinaire mixte, dit aussi "rural" ou "de campagne". Ce dernier, s’il s’occupe aussi de chiens et chats, intervient par ailleurs dans les fermes, au contact des éleveurs. Avec des contraintes bien différentes de celles de ses collègues de ville, comme l’explique Marie-Christine Weibel, conseillère ordinale en charge du maillage des vétérinaires en Occitanie, et elle-même vétérinaire mixte.
Si le maillage en vétérinaires ruraux " tient encore " dans l’Aveyron, comme l’explique la professionnelle, l’avenir est cependant peu engageant, au regard notamment de la pyramide des âges chez les praticiens, dont le nombre des départs en retraite va accélérer. " En Occitanie, la pénurie est avérée, c’est quelque chose de plus en plus présent depuis une quinzaine d’années ", poursuit-elle.
Plusieurs facteurs s’additionnent pour expliquer cette désaffection en marche. À commencer par l’obligation d’assurer une continuité des soins, un dispositif chronophage en ruralité, alors que, dans les métropoles, des services de gardes tournantes, voire des centres d’urgence, se mettent petit à petit en place, comme à Toulouse, Montpellier ou Béziers.
"Un sacerdoce, un mode de vie"
"Mais on ne va pas drainer les animaux de toute l’Occitanie vers trois pôles de services d’urgence, poursuit Marie-Christine Weibel. Si un client appelle, nous sommes tenus d’être présents pour assurer les urgences. C’est compliqué en zone rurale, même si, de plus en plus, les éleveurs font monter les chèvres ou moutons en voiture pour rencontrer leur vétérinaire… Pour les vaches, cochons et chevaux, on est obligé d’aller chez eux. Et quand on est peu nombreux, les week-ends de garde reviennent souvent".
Le temps des vétérinaires joignables 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 est aujourd’hui en passe d’être révolu. "Ça faisait partie de leur sacerdoce, de leur mode de vie. De nos jours, ce n’est plus très vendeur. Culturellement, c’est beaucoup plus difficile, quels que soient les corps de métiers, tous les professionnels aspirent à avoir des week-ends non travaillés, des soirs ou des nuits sans être dérangés ou dérangeables", analyse la conseillère de l’ordre vétérinaire. Un changement de paradigme constaté dans de nombreux milieux, en premier lieu chez les médecins, dont le recrutement est lié aux mêmes problématiques. Avec, chez les vétérinaires aussi, des conséquences : "Il y a des cas de fermetures de structures mixtes, des vétérinaires qui ne peuvent plus en vivre et n’ont pas envie de ne faire que de la "canine"".
"On sait que ça va se dégrader"
Cette dernière activité, aux côtés des animaux de compagnie exclusivement, est pourtant "moins chronophage, moins compliquée d’un point de vue réglementaire et plus rémunératrice", souligne Marie-Christine Weibel.
Et de poursuivre : "On ne travaille pas du tout de la même façon, tout est plus difficile quand on fait de la rurale, et les enjeux sont différents".
" À chaque fois qu’un vétérinaire doit arrêter, prendre sa retraite sans succession, ça met en tension toutes les structures autour, obligées de réorganiser leur mode de fonctionnement et d’étendre leur zone de travail. On est dans une situation où on sait que ça va se détériorer ", explique la vétérinaire.
Car si les vétérinaires vont être de plus en plus nombreux à partir à la retraite, il en est de même chez les éleveurs, et les deux milieux sont interdépendants. Ainsi que l’a souligné une étude de l’ordre des vétérinaires d’Occitanie, la première cause de baisse d’activité chez les vétérinaires de campagne est… le manque d’éleveurs.
Des territoires pilotes pour des pistes d’amélioration
Depuis deux ans, la loi DDADUE (Diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne) permet aux collectivités territoriales d’accompagner financièrement ou techniquement des structures, des vétérinaires souhaitant s’installer en exercice rural ou encore des étudiants s’ils s’engagent à exercer sur le territoire qui les a accompagnés.
Une première piste vers une amélioration du contexte. Pour explorer d’autres solutions potentielles, sept territoires pilote ont été retenus à travers le pays, avec à chaque fois des équipes constituées d’acteurs de terrains (vétérinaires locaux, représentants des éleveurs, chambre d’agriculture, État, services vétérinaires) en charge de diagnostiquer les situations et de proposer une réflexion.
Parmi les pistes : renforcer la formation "l’éleveur, infirmier de son élevage" animée par des vétérinaires à destination des éleveurs, en y ajoutant des modules.
"On intervient souvent sur des situations en urgence alors que cela aurait pu être géré en amont par du préventif ou de petits gestes. Il y a un gros travail à faire sur la prévention, l’amélioration de la conduite d’élevage, et c’est en cours de construction", détaille Marie-Christine Weibel, impliquée dans l’un de ces territoires pilotes.
Entre éleveurs et vétérinaires de campagne, les liens sont forts et les deux milieux "intimement corrélés".
"Ce ne sont pas des clients mais des partenaires. Ce qui nous motive à travailler en milieu rural, c’est d’être intégré dans un territoire et dans son fonctionnement social, de faire partie d’un tout. Les éleveurs produisent à manger, mais ils entretiennent aussi le territoire, le paysage. S’ils se retrouvaient à disparaître du fait de l’absence de vétérinaires, l’environnement en campagne se retrouverait complètement modifié avec des coûts d’entretien du territoire importants", conclut la vétérinaire. Les conclusions des sept territoires pilotes seront rendues dans le courant du mois de septembre.
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