Haras de Rodez : Station A quitte les lieux, "c'est triste et pitoyable"
Ce week-end, le tiers lieu arrivé au haras en 2020 a vécu ses dernières heures lors d’un déménagement partagé entre rancœur et regrets. L’avenir, lui, pourrait s’écrire à Combarel, au quadrilatère.
À l’angle de la prairie, côté rue Vieussens, le panneau "bienvenue à Station A" est toujours en place. Il ne le restera pas longtemps. Comme tout le reste. Depuis vendredi dernier, et la visite d’un huissier mandaté pour récupérer les clés du lieu, Station A fait ses valises. Les cuisines de La Prairie ont été démontées, les célèbres "Foodbus" déplacés, les salles des bâtiments historiques vidées… Les cochons, brebis, chevaux et autres animaux de la ferme pédagogique ont, eux, pris la direction de la ferme de Mayrinhac à Rodelle et d’un centre équestre voisin. Fini également le restaurant Liens de Véronique Bras. Bref, fini Station A.
"On n’attend pas la visite d’un huissier pour déménager"
Depuis vendredi 30 juin, le haras est propriété de la Ville de Rodez. Il lui en a coûté six millions d’euros, versés au Département. L’histoire était écrite depuis belle lurette, connue de toutes les parties. Sa réalité n’en reste pas moins brutale. Monique Bultel-Herment, première adjointe à la municipalité, avait prévenu : " Un chef d’entreprise n’attend pas qu’un huissier frappe à sa porte pour déménager. Ils savaient très bien qu’au 30 juin, ils devaient partir ". Ce déménagement, les "Stationautes" ont tout tenté pour le retarder, mais la justice en a décidé autrement.
Ce week-end, il fallait donc partir et vite, tout en jonglant entre les endroits où seront stockées les tonnes d’objets. Station A n’avait plus le choix. Et il n’a pas souhaité s’affranchir des lois et occuper les lieux illégalement, comme cela fut un moment pressenti. " Ce n’est pas notre intérêt ", confie Alan Hay, le directeur. " On ne veut pas être les ‘‘empêcheurs’’ des festivités de l’été annoncées par la mairie alors qu’on s’est battu durant deux ans pour animer cette ville ", explique-t-il encore. Non sans rancœur. " On en est là à cause de la politique et de l’ego de nos élus. C’est tellement triste et pitoyable… ", lâche l’un de ses camarades, venus prêter main-forte ce week-end. Las, malgré les nombreux messages de soutien sur les réseaux sociaux ces derniers jours, le petit groupe de déménageurs parait bien esseulé. Et à mille lieues de l’effervescence du premier été.
Deux ans, au cœur du Covid
C’était en 2020. Jean-François Galliard, alors président du conseil départemental, permet au collectif d’occuper le haras. Le lieu a été déserté par les étalons depuis des années. À Station A, ça ne coûtera rien ou presque. Mais l’argent n’est pas encore un sujet. L’Aveyron et sa préfecture découvrent l’esprit tiers lieu. Ailleurs, leur nombre explose et on parle déjà de "phénomène", voire de "laboratoire du monde d’après". Ces espaces n’ont pas de limites, ils mêlent du coworking, de la culture, du numérique, de l’artisanat… Même l’État se prend au jeu et injecte plus de 130 millions d’euros pour le développement de ces endroits.
À Rodez, tout le monde veut prendre le train en marche. La promesse est belle et le public répond présent. En pleine période de restrictions liées au Covid-19, Station A fait le plein de juin à août. Des concerts, des marchés gourmands, des activités… Il y en a pour tous les goûts. "Cela fonctionne partout, je ne vois pourquoi ça ne serait pas le cas ici", s’avançait alors Alan Hay. Le trentenaire est promu directeur de la structure. Derrière lui, plusieurs investisseurs privés, dont le Ruthénois Guillaume Angles en premier lieu. Tout le monde loue la réussite. Ou presque. Car en interne, l’excitation ne dure pas longtemps. Les pionniers quittent peu à peu le bateau, plus vraiment en accord avec le fameux esprit tiers lieu. "On n’a pas fait l’unanimité", consent aujourd’hui Alan Hay.
À l’hôtel de ville, on se prononce très peu sur le sujet. Mais, les critiques commencent à émerger. Trop politisé, trop dans l’entre-soi, trop commercial… Même certains restaurateurs verront d’un mauvais œil l’installation de l’un des leurs sur place.
"Un modèle capitaliste"
Le succès, lui, ne se dément pas et les Ruthénois adoptent le lieu, chargé d’histoire et de charme. Mais au Département, des élections pointent. Jean-François Galliard est renversé, Arnaud Viala élu. L’équipe d’élus est la même, à quelques exceptions près. Pourtant, elle décidera rapidement de suivre leur nouveau président en se séparant de ce patrimoine. Christian Teyssèdre ne passe pas à côté de l’occasion. Il l’acquiert pour six millions d’euros. "C’est une occasion historique pour notre ville", a-t-il répété à l’envi. De Station A, en revanche, il n’en veut pas. Ce tiers lieu, "c’est un modèle capitaliste avec quatre sociétés anonymes. Moi, je reste un homme de gauche et je plaide pour le service public. Il doit revenir à tous les Ruthénois. Ces gens-là ont payé 5 000 € de loyer par an pour 6 000 m2 de bâtiments et 5 hectares de terrain. Le moindre commerçant dans Rodez paie 20 000 €/an pour 50 m2 ! Ce n’est pas concevable", a-t-il appuyé il y a peu encore. Son projet pour le haras, sans Station A ? L’édile en a déjà dévoilé quelques grandes lignes.
Lors d’une récente assemblée générale, Guillaume Angles a démissionné de son poste de président de Station A.
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