Aveyron : le "petit génie" de la vente en ligne condamné pour escroquerie

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  • Me Élian Gaudy, conseil du jeune prévenu. Me Élian Gaudy, conseil du jeune prévenu.
    Me Élian Gaudy, conseil du jeune prévenu. Repro CPA
Publié le , mis à jour

À 19 ans, il s'était lancé dans la vente de masques au début de la crise du Covid sous l'estampille "Made in France" alors qu'ils provenaient de Chine.

L'histoire débute comme une "success story" à l'américaine. Août 2019. Celui qu'on nommera Julien sort tout juste d'un bac scientifique, mention bien. Sous ses lunettes rondes et un visage encore juvénile, il s'apprête à entrer en Math Sup. Mais ce qui le branche plus que tout, c'est l'informatique. Dans la maison familiale, il passe des heures à surfer sur la toile. Les tutoriels "comment gagner de l'argent facilement" sont accessibles à tous, comme les publicités pour la cryptomonnaie. Julien choisit le commerce en ligne. En quelques clics, le "petit génie", comme le qualifie son avocat Me Elian Gaudy, lance sa boutique sur une plateforme canadienne. Spécialité : des leggings chauffants pour femmes. Ça vivote.

Des masques pas vraiment "Made in France"

Puis vient la pandémie du Covid-19. Le jeune homme y voit une aubaine. Avant même le premier confinement, décrété en mars 2020, il sent que le masque deviendra bientôt un accessoire indispensable de notre quotidien. "Quand nos ministres passaient sur toutes les ondes pour dire que ça n'avait aucun intérêt", rappelle, à juste titre, Elian Gaudy. Julien lance alors une nouvelle "boutique". Son nom sonne bien : La Grande Mercerie. Surtout, la promesse est faite d'une fabrication française. "Pour attirer le chaland", ne cache-t-il pas devant le tribunal de Rodez.

Mais à l'instar des leggings chauffants, les masques ou encore les thermomètres à infrarouge qu'il commercialise proviennent tous de Chine. Un simple entretien en anglais et en visioconférence avec un grossiste chinois lui permet de se faire livrer à domicile. Et quand sur les notices, le fameux "Made in China" est trop visible, le jeune aveyronnais modifie cela via un logiciel de retouche d'images... La petite combine fonctionne à merveille et les commandes pleuvent. Plus de 10 millions en à peine deux mois ! Et à 29,99 € le masque - pour un prix d'achat de 9 € -, ou 49,99 € le thermomètre, on vous laisse calculer les bénéfices...

Las, le succès dépasse rapidement le "petit génie". La pandémie met le monde à l'arrêt, la Chine bloque ses exportations. Les commandes ne sont plus honorées. Les e-mails de clients mécontents pleuvent à leur tour. Pour les traiter, Julien fait appel à deux amis d'enfance contre "un peu d'argent de poche" : entre 1 000 et 2 000 € par mois. "On avait entre 100 et 500 plaintes par jour à traiter, le but était de faire patienter les gens. Une réponse automatique avait été créée à cet effet..."

"C'est un bébé encore !"

L'étudiant tente comme il peut d'assurer ses arrières. Sur la plateforme de vente en ligne, il déclare une fausse adresse, en Allemagne. Son numéro de téléphone renvoie, lui, sur un standard... Mais cela ne lui permet pas d'échapper aux enquêteurs de la Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes, intrigués par cette Grande Mercerie inscrite sur aucun registre. "C'était une activité sauvage", résume la juge Sylvia Descrozaille, ce mercredi, devant le jeune homme poursuivi pour pratique commerciale trompeuse, exécution d'un travail dissimulé et escroquerie.

À la barre, il dit "regretter". "Si c'était à refaire, je ne le referai pas", assure-t-il. Combien a-t-il gagné d'argent ? Personne ne sait véritablement. Le tribunal a estimé les bénéfices à 300 000 € environ. La juridiction s'est interrogée également sur un train de vie supérieur à la norme d'un étudiant : achat d'une voiture de luxe, de deux motos, voyages à Dubaï... "C'est un héritage", s'est-il justifié. "Ce n'est pas un escroc de grande envergure, plaide son conseil Me Gaudy. S'il y a un reproche à faire à ce jeune, c'est d'avoir menti sur sa marchandise. Mais s'il n'y avait pas eu de blocage aux frontières, personne n'aurait entendu parler de lui. Il a d'ailleurs remboursé la grande majorité des clients qui n'ont pas été livrés et il continuera à le faire. Il n'a jamais eu conscience de participer à une escroquerie. C'est un bébé encore !"

Après avoir délibéré, le tribunal l'a condamné à 1.000 € d'amendes. L'Urssaf, représentée par une avocate durant le procès, lui réclame à ce jour plus de 80.000 €. Ses deux amis d'enfance, "petites mains" dans l'affaire, ont été relaxés. Depuis un an, Julien a laissé tomber le commerce en ligne et propose désormais ses services en ligne pour du consulting, du management ou encore de l'expertise. 

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