Aveyron : courgette farcie ail-oignon, et feuille de figuier

  • La peau ferme, presque dure, la mâche tendre, juteuse, la farce mordante, par surprise...
    La peau ferme, presque dure, la mâche tendre, juteuse, la farce mordante, par surprise... Antonin Pons Braley
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Alix Pons-Bellegarde

Alix et Antonin nous content ce dimanche « une belle histoire en fond de potager » et nous présentent une recette simple et succulente de courgette au four. Superbe alibi au bien-produire-bien-manger
 

"L’oubli économise la mémoire", écrit dans Belle Lurette Jacques Perret - grand voyageur, journaliste et romancier, du haut du siècle dernier, entre autres mille vies de mille feux.
Aux Jardins de Yüsra - possiblement le plus bel étal de la place du Bourg les jours de marché, aux couleurs du monde savamment agencées -, Charlotte & Mathieu, paysan-maraichers-producteurs en Bas-Ségala, la mémoire court d’entre les serres, les granges, les sillons. Jusque dans la brume des matins blêmes, lorsqu’accrochée en lambeaux aux branches des silhouettes brinquebalantes en queue de parcelle, elle colporte l’esprit des visiteurs déjà repartis.
À quelques encablures de Villefranche-de-Rouergue et Rieupeyroux, en lisière de Tarn : Fournaguet, comme un îlot, sur l’ancienne commune de Saint-Salvadou. Baigné de toutes parts, par l’Aveyron, la Petite Serène, le Lézert, les ruisseaux de Cassan, Ginestel, Souillens, Marmont, Pouzoulet, Verlanson et Caral - où l’on trouve encore, à qui sait les chercher, quelques moules perlières d’eau douce, dans les remous des loutres habituées du quartier.
Sur l’écriteau, au détour de la route longeant la ferme : « Fruits et légumes diversifiés, variétés anciennes, œufs ». Mais le paysage est bien plus vaste qu’il n’y paraît. Ici, c’est le souvenir, autant que l’instant présent, qui sont sans relâche cultivés - « la remembrance », aimait écrire Rimbaud. À chaque jour arrosés, cueillis, accompagnés.

Courgettes « oubliées »

Dès lors, belle histoire en fond de potager, quelques courgettes que Charlotte et Mathieu feignent d’ignorer. Idée simple : les laisser grossir pour que de toute leur chair, elles se donnent à manger, sur plusieurs jours, les fins de mois serrées. Puis sur le marché, dans un recoin de tréteaux, les confier, une à une, « courgettes oubliées », à qui, seul ou en famille, nécessite qu’un bon repas - bio, local, vrai - ne soit pas affaire de choix. À deux euros - oui - , le festin sur plusieurs soirs. Jusqu’à quatre kilos de recettes à décliner - en sauces, garnitures, plats au four, à la poêle, en carpaccio, même sucrés, en cakes, en glaces ou en sorbets.
Aujourd’hui chez nous, farci ail et oignons tendres, topé d’une feuille de figuier. Simple. Là, sur le billot, dans la lumière d’une longue après-midi d’été, pour une « oubliée » : une gousse d’ail, un oignon, un rameau de figuier, une cuillère à café d’une épice au choix - ici, Poudre du Dourdou, magie noire de notre composition, bientôt disponible, il nous tarde, à l’épicerie -, trois pincées de sel et une huile de colza.

Odeur éclatante, verte, fraîche, légèrement fumée

Fendre le chapeau, évider en égrainant, farcir de fines lamelles dentelées dans l’ail et l’oignon, épicer, saler sans peur et arroser sans fin avant d’enfourner - à couvert, le chapeau replacé. Quarante-cinq minutes d’une odeur éclatante, verte, fraîche, légèrement fumée, à cent cinquante degrés. Au sortir, sous la calotte, la feuille de figuier - pour qu’elle s’infuse à la fois de l’eau relâchée par la cucurbitacée et du colza ruisselant depuis le pied de sa tige jusque sur ses flans.
Comme en écailles, reptile d’un autre temps, chimère, objet de contes de fée ; un quelque chose de Yayoi Kusama ; pareil aux premiers dessins revenus des Amériques, du Mexique notamment, où le légume fut domestiqué il y a plus de dix mille ans jusqu’à devenir en Europe cet incontournable, de la fleur au fruit, des assiettes et du potager.
Magique, posée en cœur de table, en centre de la grande planche ronde sur laquelle, précautionneusement, la découper, tranche par tranche, comme un gâteau à l’anglaise de salon de thé. La peau ferme, presque dure, la mâche tendre, juteuse, la farce mordante, par surprise, un nez caïeu, cette brûlure d’un instant sur la pointe de la langue, ce twist de figue tapis sur le palais.

Déguster à la fois la mémoire et l’oubli, la chair et l’esprit

Depuis les Jardins de Yüsra jusqu’à l’ombre des grands murs cintrant la cour intérieure de la maison, la mémoire se sera frayé un chemin, passagère corsaire, main dans la main. Le four encore chaud, fumant dans l’entrebâillement de sa porte, la brise légère dans les sumacs en fleur, déguster à la fois la mémoire et l’oubli, la chair et l’esprit.
Des Charlotte et des Mathieu, le navire-monde en a si peu ; au bastingage des jours meilleurs, marins de la planète Terre ; gardiens du temple, fidèles à ce qu’il faut de valeurs, de courage, pour semer, vent-debout, quoi qu’il en coûte, les graines des lendemains sans peur.
Aux choses simples, aux tables vraies, pensez dès lors aux légumes oubliés, comme un superbe alibi au bien-produire-bien-manger.
En serions-nous encore capables, nous tous, collectivement ? Et le même Perret de conclure : « Dans le cas peu probable où la fin des temps serait indéfiniment reconduite, nous dirions, en consolation, que la noblesse de l’homme est de poser des questions sans réponse.

Quelques mots

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, ils parcourent le monde pour archiver les cultures alimentaires des régions insulaires et nordiques. De retour depuis peu en Aveyron, le couple fonde en 2021 sa marque « Famille Pons Bellegarde » et s’apprête à ouvrir à partir d’août prochain à Bezonnes, près de Rodez, sa Table gastronomique, sa Libraire gourmande et son Épicerie de saison ; en plus de lancer son Journal 42, bimensuel papier dédié à l’alimentarium d’un rayon culinaire de quarante-deux kilomètres autour de Rodez.
Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix et de leurs explorations.
Facebook : Famille Pons Bellegarde

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