Conques-en-Rouergue : cette nuit décisive en 1794, le grand trésor de la ville a été sauvé
Cette nouvelle relate l’épisode du sauvetage du trésor de Conques. Les faits se déroulent entre la fin de l’année 1793 et le début de l’année 1794. À cette période, les objets d’église sont saisis par l’État pour les besoins financiers de la Révolution. Plusieurs habitants de Conques ont bravé les périls : dénonciation, embuscades… Sans leur courage, leur ferveur et leur implication dans ce pieux larcin, le trésor de Conques, aujourd’hui le plus grand ensemble d’orfèvrerie médiévale de France, aurait disparu comme la majorité des trésors sacrés des églises de France. Si les noms, les détails et les contextes de la manœuvre nocturne proviennent de sources d’archives, sa narration appartient aujourd’hui à notre imaginaire.
L’orage qui s’abat sur la vallée de l’Ouche, cette nuit-là, est terrifiant. J’hésite à sortir de la grange. Peut-être est-ce une mise en garde, un avertissement du Ciel à renoncer à ma mission nocturne ou bien, au contraire, une bénédiction, une protection offerte par ce rideau de pluie ? Sainte Foy n’avait-elle pas été épargnée sur le bûcher par une ondée salvatrice ?
Un sursaut de courage me pousse à l’extérieur, pour affronter la noirceur de la nuit et le déchaînement des éléments. Je me dirige vers l’abbatiale et dépasse bientôt l’ancienne porte du monastère qui débouche sur la place de notre sainte Église. J’aperçois alors, près du cimetière, des silhouettes intrigantes, encapuchonnées, les bras chargés de paniers.
Je me rapproche prudemment du petit groupe, tout en adoptant leur attitude, leur signifiant ainsi mon appartenance à cette confrérie d’un soir. Je démasque alors, un à un, mes compagnons en marche vers l’église. L’ancien chanoine André Bénazech se tient là, sous le tympan et ses sculptures du Jugement dernier. C’est lui l’instigateur de la mission. La sœur Labro, supérieure du couvent de Conques se trouve à ses côtés. Les autres sont Nolorgues et Borie, Costes et les frères Labro, tous animés par le même devoir, la même envie d’accomplir une tâche qui les transcende.
Le silence s’impose, puis une prière monte
C’est maintenant au père Bénazech d’entrer en action. Muni d’un vilebrequin, il ouvre d’abord l’imposante porte située sous la représentation des scènes de l’enfer et, à sa suite, nous nous engouffrons dans l’abbatiale, sans perdre un instant. Puis, c’est au tour de la porte de l’armoire à reliques, au-dessus du maître-autel. Les yeux tout écarquillés, nous observons le père à la manœuvre.
Ils sont tous là sous nos yeux, étincelants même timidement, aux faibles lueurs de nos bougies. Le Trésor de notre église ! Des châsses, des reliquaires, des ostensoirs et diverses croix d’orfèvrerie se trouvent là, tous rassemblés, de toutes formes et dimensions. Je reconnais le reliquaire en forme de A, qu’aurait offert Charlemagne et qui renferme les fragments de la sainte Croix. Une pure merveille !
D’un geste compris de tous, le père Bénazech nous indique de nous agenouiller. Le silence s’impose, puis une prière monte. Nous sommes touchés comme par une grâce divine à la vue des ostensoirs et objets étincelants, chefs-d’œuvre d’une grandeur passée. Je suis fasciné par tant de faste.
Quand arrive le tour de découvrir la Majesté en or de sainte Foy, le trouble atteint, à ce moment précis, son paroxysme ; la statue reliquaire époustoufle par la somme de ses ornements, autant par la quantité de ses joyaux incrustés que par la puissance et le rayonnement qui s’en dégagent. Elle s’impose naturellement telle une reine devant nous, couronnée, sur son trône, parée de pierres précieuses, ornée de perles. Son regard embrasse l’abbatiale et semble descendre sur chacun de nous, nous rendant unique à Elle.
Nous avions tous eu connaissance, grâce à un des officiers municipaux, de la décision du directoire du département, de saisir tout objet sacré. Nous devions, par ce pieux larcin, protéger coûte que coûte la richesse et les reliques de notre sainte église.
Il était temps de se reprendre et de se mobiliser pour, maintenant, déposer l’ensemble des reliquaires et objets de culte, avec toute la délicatesse requise, dans nos corbeilles. Munis de ce précieux fardeau, nous nous pressons vers la porte méridionale, près de la tourelle d’escalier. Mes sabots claquent, risquant à tout moment de dévoiler notre conspiration, je décide de les quitter près de la sacristie quand soudain, un son de cloche dans le lointain nous alerte. En toute hâte, nous disparaissons dans la nuit obscure.
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