Aveyron : ruée vers l’or à Entraygues avec le carpaccio de « Gold rush »

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  • La mise en bouche est servie. Une virée à déguster au bar, en recoin de jardin, en attendant le déluge
    La mise en bouche est servie. Une virée à déguster au bar, en recoin de jardin, en attendant le déluge Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde et Antonin Pons Braley

Partez ce dimanche à la ruée vers l’or, de la Truyère au Nouveau Monde, en partageant un carpaccio de gold rush, courgette oblongue à la chair douce et à la peau fine. « Plus l’émincé est menu, plus son bouquet est généreux, complexe », conseille Alix. Bon appétit.

Quelque part sur la Truyère, aux abords d’Entraygues, un homme accroupi s’affaire, ses bottes léchées en lisière de rivière par le remous en mémoire d’une gabare tout juste passée au large. Entre ses mains un tamis improvisé, grillage à lapin refait fin cerclé d’osier. En silence, il crible. Dans l’ombre du chapeau de coton à rebord et ruban, sous lequel les années maigres rident son visage, noirci par la somme des heures passées à orpailler au-dehors. Il écope. Le soleil se lève à peine sur le jeune Aveyron, promu département au lendemain de la Révolution, et à chacun sa manière d’y gagner son dîner, ou de ses espérances faire ablution. C’est le cas de notre homme, la journée à glaner, scrutant la moindre paillette, jusqu’à dépenser le soir à crédit, bredouille, ses rêves de lendemain, au fil des ruelles étroites serpentant jusqu’au château tout juste confisqué par l’État. De lui à nous, un peu plus de deux siècles seulement.

La peau fine, la chair douce, suave

Alors, lorsqu’au creux de l’aile nord de la maison, ici, au frais des arbres - prunier, cognassier, mirabellier, noyer, sureau et autres buis - agrippés au rocher sur lequel Bezonnes s’est planté, le potager familial vient cette année d’offrir, il y a quelques jours, ses premières Gold rushes - littéralement « ruées ver l’or », du nom de ces courgettes oblongues, jaunes chrome, topaze, presque orpiment -, comment ne pas repenser à lui, comme à autant d’autres chercheurs d’infortune, quelque part logés en imaginaire aveyronnais. Tout entiers voués à leur cueillette, voûtés, comme nous aujourd’hui, sur le fruit de nos patiences. À chacun ses pépites. Ses attentes.
La peau fine, la chair douce, suave, bien moins amère que sa cousine verte, la gold rush fond sur la langue, lentement, comme un carré de lard tout juste chauffé, une première mousse de café hésitante sur les lèvres au matin. À explorer crue, évidemment.
Mais pour ça, réussir sa découpe. En fines tranches, presque translucides. La taille et la forme contribueront au goût, la réaction est chimique : en incisant les cellules d’une certaine manière, les enzymes aux sources des arômes libèrent des saveurs spécifiques ; plus l’émincé est menu, plus son bouquet est généreux, complexe. Une grande partie de la beauté du voyage réside ici.
Et à ce jeu, un outil. Compagnon de route, faiseur de rois : sacro-sainte mandoline, grande prêtresse du bardas des cuisines. À l’origine simple bâti de bois flanqué d’un tranchant, comme un rabot à caler sur sa poitrine ; si bien que du geste elle hérita le nom - de « mandolino », instrument de musique italien joué près du corps, à gratter les cordes d’un va-et-vient. Ustensile légendaire, notamment consacré par Bartoloméo Scapi, mythique cuisinier « secret » - comprendre privé - au service des papes entre 1564 et 1576, qui en fera son alliée lors de la préparation du fameux banquet donné par le cardinal Campeggio en l’honneur de Charles Quint.
Si bien que de l’or de la Truyère à celui du Nouveau Monde, notre carpaccio de gold rush navigue aujourd’hui, au comptoir, sur le pouce, en père peinard. Saltimbanque, marin, archiviste. Manger, c’est aussi ça.

Fruits d’orties, berce commune, une pointe de miel

Simple : des lamelles de courgette recouvrir la première assiette de passage, les unes chevauchant prudemment les autres, avant de semer quelques fruits d’orties à la volée, puis toper aux quatre coins de graines de berce commune ; à l’envi, d’un tour de muscade ou de poivre de Java, compléter le tableau d’un retour d’ailleurs, d’un souvenir d’escale ; puis vinaigre - ici, de cidre oublié, bouteilles cachées en fond de cave, tout juste retrouvées -, généreusement, en filet ; enfin miel, pour ramener la fleur, le Causse, enrichir le nez.
Voilà. Carpaccio de « Gold rush », fruits d’orties, berce commune, une pointe de miel. Cinq minutes à peine et un tour du monde plus tard. La mise en bouche est servie. Une virée à déguster au bar, en recoin de jardin, en attendant le déluge, pour accompagner un verre de chez Pauline Broca, Domaine des Buis - Les Brumes : une perle, un yuzu coupé au silex, magique. En s’inventant orpailleur d’un autre temps, « rueur d’or ». « Remonteur » de rivières, d’océans. Charlot, danseur de petits pains, quelque part amoureux au Yukon. Tamiseur des Lilas, musicien italien.
La vie est un légume-fruit. Bon vent, bon appétit.

Bibliographie :
La Courgette - dix façons de la préparer, Patricia Romatet (1997)
Le chef du jardin : recettes et histoires de la plante à l’assiette, Michel & Sébastien Bras, Manoella Buffara, Magnus Nilsson, matte Orlando, Simon Rogan, Ben Shewry, Alice Waters et all. (2019)
Ouvrage sur l’art de cuisiner, Bartoloméo Scapi (1570)
Filmographie :
The Gold Rush, Charlie Chaplin (1925)
 
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