Procès du drame de Millas : "Je vois le bus pousser et tordre la barrière", témoigne la conductrice du train
Depuis lundi 19 septembre, se tient au tribunal correctionnel de Marseille, le procès du drame du bus de Millas (Pyrénées-Orientales), qui le 14 décembre 2017, avait coûté la vie à six enfants et en avait blessé 17 autres. Au troisième jour de procès, ce mercredi 21 septembre, la conductrice stagiaire du train qui a percuté un bus scolaire, et le moniteur qui était à ses côtés, sont venus témoigner du choc effroyable, raconter le traumatisme qu’ils en gardent quatre ans et demi après.
Leur voix tremble. Frissonne encore de leur épouvante et de leur détresse ce 14 décembre 2017, côte à côte derrière la vitre de la cabine du TER qui avance tragiquement vers le passage à niveau, numéro 25, de Millas. Aux commandes, Marylin Vandeville, une mère de famille alors âgée de 35 ans, ancienne contrôleuse, poursuit sa formation de conductrice, secondée par un moniteur, Thierry Madeira.
"Une fraction de seconde après, un bus arrive"
Ils repartent de Villefranche-de-Conflent vers Perpignan, avec 5 petites minutes de retard, le temps de procéder à toutes les vérifications réglementaires. Vers 16 h, le train est en phase d’accélération, à 75 km/h, il sort d’une courbe, avec désormais la vue dégagée sur la ligne droite longeant le chemin du Ralet.
Et là, au loin, ils n’en croient pas leurs yeux. "Au passage à niveau, j’ai vu les barrières baissées. Une fraction de seconde après, un bus arrive. Et je le vois pousser et tordre la barrière, raconte Marylin Vandeville. Sur les feux allumés, je ne peux pas être formelle aujourd’hui. Mais les barrières je suis catégorique. Je venais de passer le module anomalies des infrastructures et des signalisations, j’étais attentive à ça. À ce moment-là, je me dis : "Il va reculer. Il va s’en apercevoir, sauf que je le vois s’avancer faiblement. Il ne s’est jamais arrêté. Moi, je me suis arrêtée sur cette image."
Ensemble, les deux collègues poussent le même cri d’effroi : "Mais qu’est-ce qu’il fait ? Ce n’est pas possible !"
Choc inévitable
"La barrière continue à se déformer. Et le bus continue à avancer très lentement, poursuit Thierry Madeira. Je reste à regarder ce mur de béton blanc devant moi. C’est imminent. Mais tant que le choc n’a pas lieu, il y a toujours un espoir."
Pourtant, en une poignée de secondes, les 110 tonnes de ferraille foncent droit sur le bus. "On ne pouvait plus rien faire. Le choc était inévitable. On était impuissants et c’est le plus dur." Ils ne le savent pas encore mais il y a pire encore. Face à eux, 22 collégiens rentrent chez eux en toute insouciance.
Le formateur se jette en arrière, se met en protection dans le sas, sûr que sa stagiaire le suit. Elle ne bouge pas. "Je n’ai pas réfléchi, dit-elle. J’ai activé le système de freinage d’urgence et j’ai sifflé longuement en espérant que le bus accélère et dégage la voie. J’étais bloquée sur ce bus. Il fallait qu’il parte. Même si je suis consciente que j’aurais pu être grièvement blessée ou ne plus être là."
"Longtemps, j'ai culpabilisé du retard pris ce jour-là"
Dans un fracas indicible, le train transperce littéralement le car scolaire. Le moniteur sort aussitôt récupérer sa stagiaire. Qui, dans le dernier élan de désespoir, "continue de siffler".
"On a attendu l’arrêt complet du train. J’étais impressionné par les odeurs de chaleur, et abasourdi par le choc évidemment", se souvient Thierry Madeira, qui ordonne à sa stagiaire de ne pas bouger, dépose un extincteur au pied de la porte du TER et court vers le téléphone d’urgence pour faire couper la ligne au plus vite, afin d’éviter "le surdrame", "que quelqu’un ne s’électrocute".
"La souffrance on l’a en nous"
Marilyn Vandeville attend, au milieu des débris de verre et de la fumée. Aucun de ses passagers n’est blessé. "C’est après que je me suis aperçue de l’importance de l’accident. Je n’avais vu qu’une personne dans le bus. Et j’ai tellement espéré qu’il soit vide. C’est le ballet d’hélicoptères qui m’a fait comprendre qu’il y avait des gens dedans. Des enfants… J’avais mon fils aîné qui allait avoir 13 ans, le même âge qu’eux. Je n’ai plus jamais fêté Noël comme avant. Le choc, il a été violent pour nous aussi, la souffrance on l’a en nous."
"Une douleur, non pas physique, mais morale" que l’instructeur, aujourd’hui en retraite, et la conductrice, qui a validé sa formation, peinent toujours à apaiser. Longtemps, termine-t-elle, "j’ai culpabilisé du retard pris ce jour-là".
"On se dit et si, et si… mais on n’avait rien demandé". La raison pour laquelle ils sont là, à la barre. "Parce que l’on se devait de rétablir la vérité pour ces parents qui attendent des réponses." Parce que, tous les 14 décembre, côte à côte, à l’abri des regards, ils vont déposer des fleurs au passage de niveau de Millas.
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