Retour de vendanges en Aveyron : une invitation à partager un ratafia maison

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  • À laisser vieillir au frais, dans l’obscurité. Jusqu’à ces moments-là, où, à la grâce d’une éclaircie d’après-midi, d’une arrivée à l’improviste d’un ami de passage, on débouche l’une de ces fioles qui tapissent à la cave les derniers étages. À laisser vieillir au frais, dans l’obscurité. Jusqu’à ces moments-là, où, à la grâce d’une éclaircie d’après-midi, d’une arrivée à l’improviste d’un ami de passage, on débouche l’une de ces fioles qui tapissent à la cave les derniers étages.
    À laisser vieillir au frais, dans l’obscurité. Jusqu’à ces moments-là, où, à la grâce d’une éclaircie d’après-midi, d’une arrivée à l’improviste d’un ami de passage, on débouche l’une de ces fioles qui tapissent à la cave les derniers étages. - Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde et Antonin Pons Braley

Rouge ou blanc, le ratafia, liqueur de nos campagnes, obtenue par macération de fruits dans de l’eau de vie, se dégustent entre amis. Mais connaissez-vous l’histoire et l’origine de cette boisson ?

C’était il y a quelques jours à peine. Par les terrasses, encordés en cascade, à fleur de rocher ; à l’affût, d’entre les travées ; à chacun son rythme, heureux, en fond de vallée. Touchait à sa fin le temps des "vendanges" - de "vendémiaire" pour le premier mois du Calendrier Républicain à cheval sur septembre-octobre -, d’Estaing à Sébrazac, d’Entraygues-sur-Truyère à Salles-la-Source, de Campouriez à Florentin-la-Capelle, de Golinhac à Saint-Hippolyte, du Colombier à Nauviale, des Buis à Veillevie, de Rodelle à Saint-Julien, de Balsac à Clairveaux, de Mouret à Goutrens, de Saint-Cyprien-sur-Dourdou à Marcillac, de Pruines à Saint-Christophe-Vallon, de Bruejouls à Montézic.

Les vignerons, gardiens du temple, sentinelles

Coupeurs et cueilleurs, aux sécateurs et épinettes, leurs sceaux, leurs paniers, à vider dans les hottes, les bouilles, des débardeurs, chargés du convoi jusqu’en fond de parcelle, aux tracteurs de circonstance, les charrettes montées de ces caisses grises, blanches, noires ou bordeaux, qui d’ici ont bercé l’enfance des gamins du pays pour aujourd’hui remplir leurs verres bien au-delà de ses frontières.

Le Nord-Aveyron cueillait. Fébrile, dans un ultime rayon de soleil, au sortir d’une « année à rien », asséchées puis inondées, coups de chauds coups de froid, les grappes rabougries par les dernières semaines d’été, détroussées par les premiers jours d’automne. Les vignerons à bout de souffle mais fidèles ; gardiens du temple, sentinelles.

Là, tout autour, installée depuis plus de mille ans, la vigne, de toutes parts, épouse le paysage. Dans ses moindres replis, colle à chacune de ses rides, embrasse d’un galbe une ligne de crête, le méandre d’une rivière, s’immisce dans les maisons en intimité - cuves à fouler, pressoirs, forges, caves voûtées -, dans les secrets du langage - où patois, occitan, français, argot, jubilent si bien quand il en va du vin.

Le ratafia de la paix

Pourtant, des milliers d’hectares d’alors aux centaines seulement d’aujourd’hui, le monde entre-temps aura bousculé ses hommes et leur géographie. Depuis les gestes d’avant néanmoins à ceux d’à présent, n’y voir que peu d’écart pour autant, tant le travail de la terre à ceci de céleste, immuable, qu’à quelques machineries près, il ne s’accommode que trop mal de notre course folle. L’intelligence de la main, dit-on. Des anciens, doublée du cran des recrues. Pour quelques gorgées de jus de raisin fermenté.

Et à chaque vendange, rendez-vous de l’année : son ratafia. « Pax rata fiat », clamé dans les Abruzzes pour toute nouvelle paix signée ou au sortir de chez le notaire. Curieux calumet que ce ratafia pour la première fois mentionné en France en 1692 par Audiger, dans son Traité ou véritable manière de faire toutes sortes d’eaux et liqueurs à la mode d’Italie. Dès lors, raz-de-marée : « ratafias rouges - cerise, framboise, groseille, cassis, violette, poivre ou girofle -, blancs - noyaux et amandes d’abricot, cannelle, rose, mirabelle -, ou encore d’œillet, de pêche, d’écorces d’orange ou de citron, d’abricot, de muscat, d’angélique, de coings, d’anis, de noix vertes, de cédrat » lit-on dès 1705 chez Louis Lémery. Addiction collective.

Une belle invitation

En 1782, le Règlement des prêtres de la Paroisse Saint-Sulpice stipule qu’il est dorénavant "interdit d’user de ces liqueurs superflues, comme le ratafia, que la sensualité du siècle a introduit." Quelle plus belle invitation ? Alors dans ce monde amoureux, le béguin, ici, en Aveyron, pour le ratafia de raisin, comme un repère, cerbère aux portes de l’automne, amant de mi-saison. Ce qu’il faut de promesses à la première rencontre, de sucre sur les lèvres, de reviens-y l’année suivante.

Originalement simple mode de conservation du premier jus de raisin, dont la fermentation bloque par ajout d’alcool, notre héros, du Québec - et sa mistelle de poire - à la Pologne - et son ratafia de pamplemousse -, de la Catalogne au Piémont, s’impose jusqu’à nos terres de vignes à raison d’un demi-litre d’eau de vie de fruits et d’un demi-kilo de sucre pour deux kilos et demi de raisons frais égrainés.
Si l’on compte infailliblement autant de recettes que de maisons, une évidence, retenir néanmoins qu’il convient de faire éclater les grains en faitout, à feu doux, les remuant sans relâche ; puis de tamiser les fruits crevés, avant de laisser refroidir leur jus obtenu par pression. Un mois ensuite de lit commun en macérer avec l’eau de vie. Voyage de noces. Puis premier filtrage. Sucre. Macération de quelques jours encore. Enfin, second filtrage et mise en bouteille.

Petit éblouissement de fin de journée

À laisser vieillir au frais, dans l’obscurité. Jusqu’à ces moments-là, où, à la grâce d’une éclaircie d’après-midi, du retour en mémoire d’un été passé, d’une arrivée à l’improviste d’un ami de passage : déboucher l’une de ces fioles qui tapissent à la cave les derniers étages, sur l’un de ces verres qui dorment en secours en fond de réfrigérateur.

Alors : pommes troubles, poire, miel de fleurs, pain d’épice ; soyeux, vivant, le nez à l’hiver, la robe à l’automne, le palais au printemps. Petit éblouissement de fin de journée. Aux longues ombres allongées en fond de jardin jusqu’au noyer, perché sur les rochers. Quelques chaises, une table. « Ratafia » - être en paix.

Bibliographie
- Histoire du Climat depuis l’An Mil. Emmanuel Le Roy Ladurie. (1983)
- Liqueurs et boissons d’autrefois. Elisabeth Boutte. (2021)
- L’art de la paix. Morihei Ueshiba. (2000)

 

Un lieu à découvrir à Bezonnes

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, ils parcourent le monde pour archiver les cultures alimentaires des régions insulaires et nordiques.

En Aveyron, la Famille Pons Bellegarde accueille, au sein du corps de ferme familial et ses jardins, sur la place de l’Église, au cœur du vieux village de Bezonnes : table gourmet, librairie gourmande, salon de thé, épicerie fine, micro-boulangerie, journal d’anthropologie culinaire, éditions et galerie d’art.

Sous la plume d’Antonin, le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix et de leurs explorations.

ponsbellegarde.com - @ponsbellegarde
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