9 janvier 2014 : Soulages à Rodez "sous le coup de l'admiration", ce que le peintre confiait à Centre Presse Aveyron

  • "La ville de Rodez a fait une affaire" (...) "J'ai honte de parler d'argent, mais on m'en parle"...
    "La ville de Rodez a fait une affaire" (...) "J'ai honte de parler d'argent, mais on m'en parle"... Centre Presse Aveyron - Charles Leduc
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Propos recueillis le 9 janvier 2014 par Salima Ouirni

C'est la dernière interview accordée à Centre Presse : le 9 janvier 2014, quelques mois avant l'inauguration de "son" musée, Pierre Soulages était à Rodez où il a pu visiter les lieux.

Vous venez d'effectuer une visite du musée qui porte votre nom. Entre le projet initial auquel vous avez été associé et le résultat que vous avez découvert hier, ce musée correspond-il à vos attentes et à vos exigences ?

Je suis venu hier (mercredi 8 janvier 2014, NDLR) toute la journée visiter le musée, je dois dire que je suis agréablement surpris. C'est supérieur à ce que j'aurais pu imaginer. Je suis étonné par la technicité et la qualité des travaux. Je ne m'attendais pas, par exemple, à une telle qualité des réserves.

Un musée sans de bonnes réserves n'en est pas un

Un musée sans de bonnes réserves n'en est pas un. Dans ce musée, il ne s'agit pas que de mes peintures. Dans la salle d'exposition temporaire, sur 500 m2, les peintures provenant des musées européens doivent être reçues dans de bonnes conditions. Il faut donc des réserves suffisamment grandes et respectant les conditions d'hydrométrie pour les recevoir. Je dois dire que je suis encore sous le coup de l'admiration...

En tant que peintre français, je ne suis pas grand-chose

D'après le site Artprice, le prix de vos œuvres a connu une croissance de 408 % en 10 ans. Une peinture qui s'achetait 60 000 € en 1999 se vend aujourd'hui largement au-dessus du million d'euros, voire bien plus. Que vous inspirent ces montants ?

La Ville de Rodez a fait une affaire ! Mais moi, personnellement cela ne m'affecte pas. J'ai honte de parler d'argent, mais on m'en parle. Moi, ce que je demande c'est de l'argent pour vivre, m'acheter de la peinture, de l'espace pour créer et avoir la paix. 

Certains élus de l'Agglo n'hésitent pas à déclarer qu'il propulsera Rodez sur la scène internationale. Qu'en pensez-vous ?

Oui, c'est dans l'ordre naturel des choses. Moi, je n'ai pas une situation nationale. Je suis un artiste international. En tant que peintre français, je ne suis pas grand-chose. En tant que peintre international, je suis le seul Français. Tenez, au musée de l'Ermitage (Saint-Pétersbourg), le plus grand musée du monde, il y a un seul artiste vivant exposé en ce moment, et bien c'est moi.

Depuis mon travail sur les vitraux, Conques a bien vu ses visiteurs augmenter d'une façon importante

Un autre exemple, prenez l'échange des œuvres entre la Chine et la France. L'échange créé par De Gaulle célèbre aujourd'hui ses 50 ans d'existence. Depuis Delacroix, Ingres, Courbet, il y a les modernes, parmi eux Fernand Léger... et moi, qui suis le seul vivant. Prenez aussi le bouquin de Fabius, sur l'art moderne, Les dix artistes qui ont fait la France, le dixième, c'est moi !

Donc, les élus ont raison de penser que votre notoriété va projeter Rodez au niveau international ?

Oui, on verra bien. Mais Conques a bien vu ses visiteurs augmenter d'une façon très importante depuis mon travail sur les vitraux. Moi, je connais des gens qui ne connaissaient même pas Conques et qui sont venus de Suisse pour les voir.

J'ai la chance d'avoir été connu très jeune

Vous avez une assise internationale incontestable. Pour autant, pensez-vous que les Aveyronnais vous connaissent ?

Franchement, je n'en sais rien. Je n'ai jamais rien cherché. Tout ça m'est arrivé comme ça. Je n'ai jamais forcé. J'ai la chance d'avoir été connu très jeune. Il y en a qui me connaissent depuis 70 ans maintenant. Peut-être pour de mauvaises raisons, parce que je ne peins qu'avec du noir... et de la lumière.

A Rodez, j'ai dit oui pour le musée à condition qu'il y ait une grande salle réservée à d'autres artistes que moi

Dans le processus de la conception de "votre" musée qui a duré plus de 10 ans, à quel moment avez-vous cédé à l'ancien maire Marc Censi pour cette réalisation ? Et pourquoi, in fine, avoir choisi votre ville natale et pas une autre ?

Je dois reconnaître que les événements se sont enchaînés. Marc Censi était très habile et m'a convaincu, au début, de donner à la ville mes travaux de jeunesse. Ensuite, il m'a demandé de lui donner les cartons de mes travaux sur les vitraux de Conques. D'ailleurs ici, vous ne trouverez pas les originaux. Ils sont à Conques. Les choses se sont faites ainsi. Au début, j'ai refusé qu'un musée porte mon nom, comme je l'ai refusé au maire de Montpellier quand il me l'a proposé. À Rodez, j'ai dit oui, à condition qu'il y ait une grande salle réservée à d'autres artistes que moi.

Pourquoi n'y a-t-il qu'un seul outrenoir au musée de Rodez ? Ce sont pourtant celles de vos œuvres qui sont les plus connues...

Les choses se sont faites comme ça. Nous avons fait une donation qui comprend de nombreuses œuvres et qui a été évaluée. Regardez l'évaluation de l'époque et le prix de l'évaluation maintenant...

Vous avez toujours insisté sur la nécessité de faire du musée Soulages, un musée "vivant" en créant cet espace de 500 m2 dédié à des expositions temporaires. Quels artistes, œuvres ou mouvements aimeriez-vous y voir exposés ?

Tous les artistes. Je suis ouvert à tout et pas seulement à la peinture, mais aussi à la vidéo, par exemple.

Participerez-vous à la muséographie du musée Soulages ? Nous pensons savoir que vous allez être présent pour l'accrochage de vos œuvres...

Avec Benoît Decron et son équipe, j'ai ici des personnes en qui j'ai une totale confiance car ils connaissent ma sensibilité. Mais bien sûr, je viendrai. Cette exposition inaugurale, prévue pour l'instant le 23 mai, s'intitulera "Outrenoir(s) en Europe".

Savez-vous déjà quelles œuvres en feront partie et dans quels musées se trouvent-elles aujourd'hui ?

Il y aura que des outrenoirs provenant d'Europe. Ils viendront de Suisse, d'Autriche, d'Espagne, de France et bien sûr d'Allemagne.

Qui aimeriez-vous avoir à vos côtés ce jour-là pour cette première mondiale ?

Ma femme Colette. J'aimerais bien qu'elle soit là. Moi, je suis dans ma 95e année et dans trois mois, j'ai deux ans de plus qu'elle. Maintenant, ce n'est pas moi qui invite, c'est le Grand Rodez. C'est un musée qui porte mon nom et dont je suis heureux.

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