De Rodez à Sète en passant par New York, retour sur le destin hors norme de Pierre Soulages, un artiste dans son siècle

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  • Pierre Soulages dans "son" musée, à Rodez.
    Pierre Soulages dans "son" musée, à Rodez. Centre Presse Aveyron - José A. Torres
  • Exposition Soulages au musée en 2014 avant l'inauguration du musée.
    Exposition Soulages au musée en 2014 avant l'inauguration du musée. Centre Presse Aveyron - José A. Torres
  • Pierre Souages lors de l'exposition de Beaubourg en 1979.
    Pierre Souages lors de l'exposition de Beaubourg en 1979. Photo - Les Amis du musée
  • Lors des enchères Soulages. Lors des enchères Soulages.
    Lors des enchères Soulages. Reproduction - Centre Presse Aveyron
  • Pierre Soulages le père de l'outrenoir qui a fait sa renommée internationale.
    Pierre Soulages le père de l'outrenoir qui a fait sa renommée internationale. Centre Presse Aveyron - José A. Torres
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Centre Presse Aveyron

Natif de Rodez, le maître aura eu un parcours hors norme, tout en restant fidèle à un choix artistique affirmé et à une curiosité permanente du monde qui l’entoure.

Pierre Jean Louis Germain Soulages a vu le jour à Rodez. Dans la rue Combarel, le mercredi 24 décembre 1919. Son père, prénommé Amans, est carrossier. Un cancer l’emportera cinq après la naissance de son fils, le laissant seul avec sa mère Aglaé, née Corp, et sa sœur Antoinette, de quatorze ans son aînée.

Il perd son père à l'âge de 5 ans

Il ne tarde pas à se passionner pour la préhistoire et également pour le Moyen Âge, facette moins connue de la carrière hors norme de ce peintre, sculpteur, graveur et affichiste (pour avoir notamment réalisé l’affiche officielle des Jeux olympiques de 1972 à Munich). De l’époque médiévale il conservait, en particulier, une attirance marquée pour les premiers troubadours et leur poésie.

Pierre Soulages, enfant, à Rodez.
Pierre Soulages, enfant, à Rodez. Reproduction - Centre Presse Aveyron

Peintre, sculpteur, graveur, affichiste

Fasciné par les vieilles pierres, les matériaux patinés et érodés par le temps, Pierre Soulages est vite tombé amoureux des paysages du Rouergue mais aussi de l’artisanat de sa région natale. Un jour, à l’âge de 8 ans, il dessine au pinceau et à l’encre de Chine sur une feuille blanche. à la question d’une amie à sa sœur qui lui demande ce qu’il est en train de faire, il répond très sérieusement : "De la neige". La spectatrice, étonnée, a du mal à retenir un éclat de rire devant ce trait noir tracé sous ses yeux. "Ce que je voulais faire avec mon encre, c’était rendre le blanc du papier encore plus blanc, plus lumineux, comme la neige, lui a répondu Pierre Soulages. C’est du moins l’explication que j’en donne maintenant". Déjà révélateur.

Un court voyage scolaire à Conques déterminant

Adolescent, alors qu’il fréquente le lycée Foch à Rodez, il effectue un court voyage scolaire à Conques, visitant en particulier l’abbatiale Sainte-Foy. Il a reconnu quelques années plus tard : "Ce séjour a été déterminant. C’est là que ma passion de l’art roman et mon désir confus de devenir artiste se sont révélés".

Son voyage scolaire lorsqu'il est au lycée de Rodez à Conques est déterminant pour la suite de sa carrière.
Son voyage scolaire lorsqu'il est au lycée de Rodez à Conques est déterminant pour la suite de sa carrière. Centre Presse Aveyron - José A. Torres

Il a complété cet enrichissement culturel en dévorant diverses publications, avec un choc émotionnel pour les peintures rupestres des grottes du Pech Merle à Cabrerets dans le Lot, Font-de-Gaume en Dordogne, Altamira en Cantabrie, puis de Lascaux, découverte en 1940 en Dordogne. Du coup, il a accompagné un archéologue local dans ses recherches et a lui-même découvert des pointes de flèches et des tessons de poteries préhistoriques au pied d’un dolmen. Elles sont à découvrir au musée Fenaille à Rodez.

Admis à l’école des Beaux-Arts à Paris, il refuse d’y aller !

Ses premiers coups de pinceau, c’est sur ses terres aveyronnaises qu’il les a donnés. Avant de "monter à la capitale" pour préparer le professorat de dessin et le concours d’entrée à l’école nationale supérieure des Beaux-Arts. Admis en 1938, il a pourtant refusé d’y entrer, découragé par ce qu’il a appelé "la médiocrité et le conformisme de l’enseignement reçu", et il est retourné à Rodez. Durant ce bref séjour à Paris, il a fréquenté le musée du Louvre où il a vu des expositions de Cézanne et de Picasso qui ont été pour lui des révélations. Mobilisé en 1940, il a été démobilisé à peine quelques mois plus tard.

Il se marie avec Colette en 1942

Il s’est alors installé à Montpellier, en zone libre, en compagnie de Colette Llaurens, devenue son épouse en 1942, fréquentant tous deux avec assiduité le musée Fabre. Le chef-lieu de l’Hérault étant aussi occupé, a ensuite commencé pour lui une période de clandestinité, pour échapper au STO (service de travail obligatoire), pendant laquelle il n’a pas peint et où il est resté auprès des vignerons de la région qui l’ont caché.

Ce n’est qu’à la Libération, plus précisément en 1946, que Pierre Soulages, ayant pris ses quartiers dans la banlieue parisienne, a pu consacrer à nouveau tout son temps à la peinture. Ses toiles où le noir dominait étaient abstraites et sombres. Tant et si bien qu’elles ont été refusées au Salon d’automne de 1946. Cela n’a été que partie remise car elles ont ensuite été très vite remarquées tant elles étaient différentes de la peinture demi-figurative et très colorée de l’après-guerre. Le début d’une longue et remarquable carrière qui aura duré plus de sept décennies. Il a alors trouvé un atelier rue Victor-Schoelcher, à Paris, près de Montparnasse, avant d’en occuper dès lors plusieurs dans la capitale, ainsi qu’à Sète.

Pierre et Colette s'installent à Sète

C’est dans le port héraultais qu’il a acheté "un horizon vide" en 1960. Il a ainsi baptisé un grand terrain, face à la mer, sur les hauteurs de la ville. Il y a conçu et bâti une maison de plain-pied, minimale, réalisée avec des matériaux simples comme le béton et le bois, ouverte sur l’extérieur. Une maison d’une grande modernité, magnifique, mais sobre, presque modeste, épurée. Peu d’objets, peu de meubles et à peine deux ou trois œuvres de l’artiste. Près de soixante ans après sa construction, rien n’a changé, pas même le mobilier, dont une partie a été dessinée par Pierre Soulages lui-même.

Pierre Soulages lors de l'exposition de Beaubourg en 1979
Pierre Soulages lors de l'exposition de Beaubourg en 1979 Photo - Les Amis du musée

Deux donations en 2005 et 2012 estimées à 6,8 M€

Comme le souligne volontiers Aurore Méchain, directrice adjointe du musée Soulages de 2012 à 2017, aujourd’hui directrice des musées de Pau (Beaux-Arts et Bernadotte), "Pierre Soulages, c’était une communauté, un univers à part entière, c’était un microcosme de personnalités très différentes". Et elle n’oublie pas d’y associer Colette, son épouse. Elle faisait corps avec lui. Elle l’avait rencontré alors qu’elle était étudiante aux Beaux-Arts à Montpellier et avait renoncé à toute autre activité. "Ce n’est pas Pierre. C’est Pierre et Colette", sourit-elle, très émue. Un sentiment partagé par Estelle Pietrzyk, première conservatrice du musée Soulages de 2003 à 2008. "Ils étaient inséparables et il était important de comprendre le fonctionnement de ce couple, insiste-t-elle aujourd’hui encore. C’était assez spectaculaire. Par exemple, il y en avait un qui finissait les phrases de l’autre !"

François Hollande lors de l'inauguration du musée Soulages en mai 2014.
François Hollande lors de l'inauguration du musée Soulages en mai 2014. Centre Presse Aveyron - José A. Torres

La plus grande collection du monde l'artiste est à Rodez

Inauguré le 30 mai 2014 par le président de la République François Hollande en personne, alors que la première pierre avait été posée le 20 octobre 2010, le musée Soulages, dessiné par les trois architectes espagnols Carme Pigem, Rafael Aranda et Ramon Vilalta (leur cabinet RCR Architectes a reçu en 2017 le Pritzer Architecture Prize, équivalent du prix Nobel pour l’architecture), abrite la plus grande collection au monde de l’artiste. En 2005, il avait accepté de léguer plus de 500 œuvres (peintures sur toile et sur papier, eaux-fortes, sérigraphies, lithographies, travaux préparatoires aux vitraux de l’abbatiale de Conques, gouaches, encres, brous de noix…), mais aussi de la documentation, des livres, des photographies, des films, des correspondances… Avant 14 nouvelles peintures couvrant la période de 1946 à 1986 sept ans plus tard. Ces donations ont été estimées à 6,8 M€.

Le musée consacre aussi 500 m2 de son espace d’expositions temporaires à d’autres artistes, drainant des milliers de visiteurs. Pierre Soulages voulait "un musée vivant", il a été exaucé.

Outrenoir

1979, l’artiste bascule alors dans une autre dimension et se retrouve à la pointe de l’art contemporain avec cette peinture qui fait surgir la lumière d’une épaisse matière noire. C’est la naissance de l’outrenoir.Soulages vient de découvrir que le reflet, considéré comme un parasite dans la conception classique de la peinture, peut devenir l’élément fondateur d’un nouveau langage pictural.

Soulages le désigne d’abord comme "noir lumière" avant de lui préférer le terme plus métaphysique d’outrenoir. "Pour ne pas le limiter à un phénomène optique, j’ai inventé le mot outrenoir, au-delà du noir, une lumière transmutée par le noir et, comme outre-Rhin et outre-Manche désignent un autre pays, outrenoir désigne aussi un autre pays, un autre champ mental que celui du simple noir", a écrit l’artiste.

Cette découverte coïncide avec une exposition, en décembre 1979, au Centre Pompidou. Les œuvres récentes de Soulages font sensation, admirées mais aussi décriées. Mais celui qui est devenu "Le maître du noir" est célébré partout dans le monde…

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