Retour sur l'affaire Morgan Keane : six mois de prison ferme requis contre le chasseur et le directeur de la battue

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  • Sur le banc des parties civiles, Rowan Keane, le frère de la victime (veste de couleur ocre).
    Sur le banc des parties civiles, Rowan Keane, le frère de la victime (veste de couleur ocre). La Dépêche du Midi - MARC SALVET
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Manon Adoue

Les deux chasseurs impliqués dans la mort de Morgan Keane ont été jugés, hier matin, devant le tribunal correctionnel de Cahors. Une audience dense et poignante. Le délibéré sera prononcé le 12 janvier.

L’émotion était lourde, hier matin, dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Cahors. Julien F., le tireur, et Laurent L., le directeur de battue, étaient jugés pour homicide involontaire après un an et demi d’enquête dans la mort de Morgan Keane, le 2 décembre 2020, à Calvignac (Lot). Parmi plus d’une centaine personnes dans la salle, les proches de la victime en rang serré veulent des réponses. Pas de quoi les consoler mais de quoi comprendre.

"Je n'avais chassé que trois ou quatre fois"

Justement, le président du tribunal veut d’abord s’attacher aux faits. À cette après-midi du 2 décembre 2020 qui a tourné au drame à Calvignac alors que les chasseurs viennent de bénéficier d’une dérogation pour chasser, malgré le confinement. Il prévient : "C’est un dossier complexe." À la barre, le prévenu explique, ému et fébrile : "J’ai passé mon permis avant l’été, je n’avais chassé que trois ou quatre fois. Je me suis inscrit après le décès de ma fille parce que j’avais besoin de m’aérer l’esprit."

Immobile, il regarde alors droit devant la lui, cherche la force de raconter la scène pendant quelques secondes et puis : "Je me poste, je charge mon arme, je vois une masse sombre en lisière du sous-bois. Je la vois monter, redescendre, s’arrêter et je me dis "mais purée c’est le sanglier que j’ai raté". Alors je tire sans avoir identifié la cible, je pensais que la balle finirait sa course dans la terre."

"C’est gravé dans ma tête"

Rapidement, il reconnaît ses erreurs d’appréciation. Les risques pris, encouragés par son beau-frère qui veut "chasser à la traque". "J’aurais dû refuser ce poste de chasse, il n’était pas adapté. C’était couvert, je n’y voyais pas bien, enfin, comme de vous à moi", explique-t-il en s’adressant au président du tribunal. Depuis qu’il a appuyé sur la gâchette, le chasseur confie : "Il n’y a pas un jour qui passe sans que j’y pense. Je suis désolé. C’est gravé dans ma tête." De son côté, le directeur de battue assure avoir rappelé les consignes de sécurité au début de la battue. Il n’en démord pas : "J’ai rappelé que les gilets sont obligatoires ; le fusil doit rester dans la housse pour aller jusqu’au poste, on regarde où est placé son voisin de droite et de gauche et on identifie avant de tirer."

"Il ne faut pas que ce procès devienne celui de la chasse"

Mais Laurent L. le reconnaît : quand il donne les règles de sécurité "tout le monde n’écoute pas forcément". Une première traque est opérée en début d’après-midi. Après, c’est le trou noir dans le dossier. "Nous avons les quinze témoignages des chasseurs inscrits sur le carnet de battue ce jour-là et seize versions des faits", plaisante à moitié le président du tribunal. Maître Benoît Coussy, l’avocat de Rowan, le frère de Morgan demande "ce que vaut la vie de Morgan Keane si rien ne change". Il reprend : "On est à la limite de l’homicide involontaire. Le tireur n’a pas décidé de tuer Morgan mais il y a la responsabilité morale du collectif." L’avocat demande 40 000 euros d’indemnités. "C’est un accident de chasse, il ne faut pas que ce procès devienne celui de la chasse générale", affirme de son côté Maître Charles Lagier pour la fédération de chasse du Lot qui s’est constituée partie civile.

Alexandre Rossi, le procureur de la République dans le Lot, est catégorique : "Ce tragique homicide involontaire était écrit, presque inscrit sur le carnet de battue tant les fautes commises et les manquements à la sécurité sont évidents." Puis, fixant le directeur de battue : "Quand vous dites que vous n’avez rien fait, je suis d’accord avec vous, vous n’avez effectivement rien fait. Vous avez été un spectateur de battue fantomatique." Il requiert six mois de prison ferme pour chacun des chasseurs.

Côté défense, Maître Sylvie Bros, pour le tireur, met en avant "des informations tronquées" : "Il aurait dû bénéficier d’un rappel des règles de sécurité, un accompagnement vu son inexpérience, des consignes simples et claires. Il y a une erreur mais il n’est pas dangereux, il ne voulait pas transgresser les règles."

Maître Émilie Geffroy, pour le directeur de battue, souligne que "le directeur de battue n’a pas tenu le fusil à Morgan Keane. Il se sent responsable mais pas coupable", affirmant que le responsable de la chasse ce jour-là avait bien donné les consignes. Elle demande la relaxe. La cour doit se prononcer le 12 janvier.

"Émotionet combativité"

"C’est un mélange de plusieurs sentiments, de l’émotion et de la combativité", glissait avant l’audience Audrey Tindilière du collectif Un jour un chasseur qui s’est constitué partie civile. Ralph, le meilleur ami de Morgan, n’avait pas d’attente de ce procès.À la fin, il repart avec une question : "Les avocats de la fédération de chasse et du directeur de battue se sont dédouanés. Ils ont expliqué qu’il n’était pas possible de gérer l’action des chasseurs. Mais alors, qui en est capable ?"
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