Aveyron : la Table 42 de Bezonnes, le dernier restaurant avant la fin du monde ?

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  • Au dernier restaurant avant la fin du monde, nous dînerions de chope en chope, accoudés les uns les autres à la réponse à toutes les questions. Et tant d’autres. Quelque part heureux, place de l’Église à Bezonnes, à quarante-deux kilomètres à la ronde. Photographiée, l’une des sculptures de Jean-Pierre Caen, peuplant le restaurant. Au dernier restaurant avant la fin du monde, nous dînerions de chope en chope, accoudés les uns les autres à la réponse à toutes les questions. Et tant d’autres. Quelque part heureux, place de l’Église à Bezonnes, à quarante-deux kilomètres à la ronde. Photographiée, l’une des sculptures de Jean-Pierre Caen, peuplant le restaurant.
    Au dernier restaurant avant la fin du monde, nous dînerions de chope en chope, accoudés les uns les autres à la réponse à toutes les questions. Et tant d’autres. Quelque part heureux, place de l’Église à Bezonnes, à quarante-deux kilomètres à la ronde. Photographiée, l’une des sculptures de Jean-Pierre Caen, peuplant le restaurant. Repro CPA - Antonin Pons Braley
Publié le , mis à jour
Alix Pons Bellegarde, Antonin Pons Braley

Quarante-deuxième chronique gastronomique de ce type "atypique", ce dimanche 20 novembre, portée par Alix et Antonin, presque un an jour pour jour après la première parution. Et trois mois d’ouverture pour la « Table 42 », une adresse à découvrir sur la commune de Rodelle.

 

De part et d’autre de l’entrée, colosses de campagne, moaï en cavale, cerbères sur la place du village, massives, d’un seul bloc chacune, deux monolithes de granit veillent face à face sur ce qui fut le grand portail du hameau, un millénaire plus tôt, lorsque la ferme d’antan incarnait à elle seule la localité d’alors. Grande grange partagée, pour quatre, peut-être cinq, unités d’habitation et familles, à chacune sa fonction, atelier-rez-de-cours et escalier pour l’étage - la forge, la cave, l’étable, probablement la boucherie, la tannerie.

Bezonnes tout entier, encadré de ses deux piliers, signalisait le paysage, agrippé à son rocher. Au sommet duquel, déjà, sa chapelle et son clocher - là où l’église, ce matin austère, grise-hiver sous la bruine, se dresse encore. Amarrée.

Quarante-deux kilomètres

Gardiens du temple, ces deux menhirs devaient-ils dès lors sans doute tout à la fois marquer le seuil et baliser le chemin qui y conduisait - égrainant, pour le marcheur, le colporteur, le pèlerin, la somme de sa randonnée. Borne milliaire ou simple repère, de ceux qui ponctuaient le monde - tout du moins romain -, de lieues en lieues. De cette unité de mesure, calquée non sans panache sur un vingt-cinquième de degré du périmètre terrestre. Matérialisation, en bout de course, de notre rapport complexe à l’infiniment grand. Dérivé du leac’h celtique, « l’endroit » pour les Gaulois, point-clef sur l’itinéraire, nécessaire à son calcul. Pierre muette de surcroît, bavarde à qui seul saura la lire - Goudineau fera de sa vie notamment l’étude de « cette absence d’indication sur les indicateurs ».

En usage jusque sous l’Ancien Régime - et de nos jours encore pratiquée pour la lieue marine -, baptisée « lieue des Postes », pour deux mille deux cents toises, soit un parfait 4,2 kilomètres. Comprendre, la distance à parcourir, à pied, en une heure. Si bien qu’en dix heures de marche, deux jours à ménager sa monture ou une longue méharée du lever au coucher, tout à fait quarante-deux kilomètres plus loin, un autre monde s’ouvrait. Les anciens, mêmes, ne projetaient-ils d’implanter une localité qu’à cette distance minimale-là d’une autre voisine. Aujourd’hui écoumènes, environnements, terroirs, bassins - politiquement paroisses, secteurs, communes, etc. -, ce sont ces micro-univers en cascade les uns les autres, qui organisaient notre perception du local ; la travaillent encore ; et par extension nous lient par là même à une certaine idée du global.

Quarante-deux kilomètres, comme le parcours maximum toujours conseillé au voyageur de Saint-Jacques, Jérusalem ou d’ailleurs - « pour que le corps ne pèse de trop sur l’âme », entend-on parfois en fond de monastère, les soirs de fatigue.

La grande question sur la vie, l’univers et le reste

« Quarante-deux », par ailleurs promu icône de science-fiction, après que Douglas Adams en a fait la solution à « la question ultime sur la vie, l’univers et le reste » posée au superordinateur Deep Thought de son chef-d’œuvre d’humour et d’imagination en cinq tomes - dont Le dernier restaurant avant la fin du monde - , laquelle machine mettra plus de sept millions d’années à parvenir au chiffre-clef comme seul élément de réponse. « Quarante-deux !, cria Loonquawl. Et c’est tout ce que t’as à nous montrer au bout de sept millions et demi d’années de boulot ? J’ai vérifié très soigneusement, dit l’ordinateur, et c’est incontestablement la réponse exacte. Je crois que le problème, pour être tout à fait franc avec vous, est que vous n’avez jamais vraiment bien saisi la question. » Si bien que des séries télévisées aux jeux vidéo, des méandres des sous-cultures aux allusions très officielles, quarante-deux s’offre une place de choix, de l’Antiquité aux inconnues à venir.

Pour la forme : « 42 » répondra Google à une requête s’enquérant de « the answer to life, the universe and everything », de même fera Siri, l’assistant vocal d’Apple. « Quarante-deux » encore, pour baptiser le chapelet d’établissements supérieurs en informatique, inauguré à Paris par Xavier Niel voilà bientôt dix ans, depuis implanté aux États-Unis, en Suisse, en Belgique, au Portugal ou encore en Turquie.

« Souviens-toi d’où tu viens »

Aussi, quarante-deux kilomètres à la ronde, de toute évidence, comme le rayon culinaire auquel se prête, ici à Bezonnes, utopiste, espiègle, notre « Table 42 », depuis exactement trois mois à présent. Les cuisines poussées jusque dans les retranchements de notre localité. Le lecteur ici, le sait, jusque dans le sel, le poivre, le chocolat, le café. Paysage comestible immédiat. Ode à l’hyperacuité, défi quotidien. Quarante-deux tout autant, comme la quarante-deuxième, aujourd’hui même, de ces chroniques hebdomadaires, dont se célèbre en outre, quasi jour pour jour, le premier anniversaire. Rendez-vous dominical en « page deux », dans le sillage de la cuisine d’Alix. Carnet de bord, randonnée quotidienne.
« Il y avait cette cocotte en fonte, noire, peut-être bleue, perdue en fond de casserolier - celui du bas, à la glissière cassée -, lourde, fragile, que personne n’osait toucher. Personne, sauf grand-mère. » C’était au 13 novembre de l’année passée, loin d’imaginer alors que nous allions « rester ». Se réétablir, plus d’une décennie et demie après avoir quitté le pays.
Quarante-deuxième heureuse. « Souviens-toi d’où tu viens », gravé depuis au fronton de l’ancienne grange à foin, passée figure de proue du navire quarante-deux, aujourd’hui restaurant, librairie, boulangerie, épicerie. Et davantage. Lieu de vie, place du village. Grand-mère n’est pas si loin. « D’où tu viens ? », d’un recoin de terre, quarante-deux kilomètres à la ronde, où navigue « le dernier restaurant avant la fin du monde ».

La Table 42

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, ils parcourent le monde pour archiver les cultures alimentaires des régions insulaires et nordiques. En Aveyron, la Famille Pons Bellegarde accueille, au sein du corps de ferme familial et ses jardins, sur la place de l’Église, au cœur du vieux village de Bezonnes : table gourmet, librairie gourmande, salon de thé, épicerie fine, micro-boulangerie, journal d’anthropologie culinaire, éditions et galerie d’art. Sous la plume d’Antonin, le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix et de leurs explorations.

ponsbellegarde.com@ponsbellegarde
Commandes et réservations au 06 86 82 37 00


Bibliographie
- « Cours sur la lieue gauloise » - Cours au Collège de France. Christian Goudineau. 2021.
- Alésia. L’archéologie face à l’imaginaire. Michel Reddé. 2003.
- Geographica Historica. Pascal Arnaud. 1998.
- The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy. Douglas Adams. 1982.
- Le dernier restaurant avant la fin du monde. Douglas Adams. 1980.
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