Mondial de football au Qatar : "Dans ma tête, j’ai toujours 30 ans", Didier Deschamps se confie avant France-Australie

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  • "J'ai toujours eu la même envie, la même détermination, l'énergie", assure Didier Deschamps.
    "J'ai toujours eu la même envie, la même détermination, l'énergie", assure Didier Deschamps. Photo - MAXPPP
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Jérôme Lacroix

Les Bleus, tenants du titre, entament leur Mondial mardi face à l'Australie. Quelques jours avant le grand saut, le sélectionneur s’est confié. À l’aube de sa troisième Coupe du monde à la tête de l'équipe de France, et dans un contexte rude comme rarement, le capitaine du navire n’entend qu’une chose : garder le cap.

1. Un avenir incertain

Didier Deschamps, dans quel état d’esprit abordez-vous cette Coupe du monde ? À ces dates-là c’est une première, avec comme conséquence une préparation physique très courte…

On sait depuis un moment que le Mondial se tiendra à ces dates-là. On s’est déjà organisé en fonction de ce contexte-là. On y est, c’est le début ! C’est venu vite… C’est vrai, on n’a pas le temps dont on disposait lors des grandes compétitions par le passé, pour réaliser beaucoup de choses, notamment la préparation. Cette année, on n’en a pas, voilà. On a tout de suite été dans le vif du sujet.

Ce sera votre troisième Coupe du monde en tant que sélectionneur (après 2014 et 2018), mais c’est la première fois que vous l’abordez sans certitude quant à votre avenir à la tête des Bleus : vous serez en fin de contrat à l’issue de la Coupe du monde et toute prolongation sera liée à la performance de l’équipe comme l’a annoncé le président de la Fédération Noël Le Graët…

Ça ne change rien dans ma façon d’aborder l’événement. Contrat, pas contrat… Tout passe par les résultats que le France obtient. Je suis focalisé sur l’objectif, la compétition. Pas une seconde, dans mon esprit, je ne pense à ce qui peut survenir après. "L’après" sera celui qu’il doit être. Il sera forcément conditionné aux résultats, comme à chaque fois. Le contrat, il amène quoi comme garanties ? Si ce n’est d’avoir une séparation.

Est-ce que vous vous dites parfois : "Là, ça peut être mon dernier match" ?

Je me le suis dit, parfois, mais a posteriori. Avec le recul. Ce n’est pas ma philosophie. Je procède par étapes. Je ne veux pas me projeter. De toute façon, dans le foot, on ne peut pas se projeter. Si ça fait un moment que je suis là, c’est que les Bleus ont obtenu de très bons résultats. J’ai toujours la même envie, la même détermination, l’énergie, pour mettre les joueurs dans les meilleures conditions. Comme à chaque fois.

Noël Le Graët a clairement dit avant le début de la compétition : "Si on va en demi-finale, Didier aura le choix de son avenir. Si on n’y va pas, on discutera…" Ça installe une certaine pression sur vos épaules ?

Pourquoi ? Il disait quoi avant le président ? Il avait quoi comme objectif ? C’était toujours d’aller le plus loin possible. À l’Euro, l’objectif prévu ou envisagé n’a pas été atteint. Pourtant, je suis là. Ce n’est pas moi qui ai le pouvoir. Le pouvoir appartient au président de la Fédération, avec des éléments qu’il a en main, ou pas. Je faisais référence à l’été 2021. S’il l’avait décidé, ça aurait pu s’arrêter là. Ça n’a pas été le cas. C’est la même chose cette saison : on a un objectif, un statut qui ne nous amène ni certitude ni garantie. C’est une nouvelle compétition. Ce qu’on fera à travers cette Coupe du monde conditionnera mon avenir. C’est également le cas pour certains joueurs. Ma situation n’a aucune emprise dans mon esprit.

Comment luttez-vous contre l’usure alors que vous êtes en poste depuis plus de dix ans ?

Des mots reviennent. "Usure", "usé"… Pour moi, ce poste n’est pas usant. Je suis dans l’environnement dans lequel j’ai toujours voulu être. D’autres choses, d’autres métiers sont usants. Sélectionneur n’est pas un métier facile. Mais ça va, je suis en pleine forme. Ce n’est pas du "H24". Il y a les compétitions, mais aussi des périodes un peu plus calmes. Pourquoi parle-t-on d’usure ? Parce que c’est la réalité du haut niveau. Ça voudrait dire qu’il faut tout gagner pendant dix ans.

Mais faut-il que vous vous renouveliez plus, surtout après un Euro raté ?

Ça peut. Je maintiens certaines choses. Mais il y a un mot important que je répète assez souvent : s’adapter aux situations, au contexte et ce, à tous les niveaux. Ce n’est pas parce qu’on a fait quelque chose avant qui a marché que ça va forcément marcher de nouveau. Je ne change pas pour changer non plus. La feuille de route n’est jamais la même.

On prend tous de l’âge et de l’expérience…

(Il coupe) Dans ma tête, j’ai 30 ans et j’ai toujours 30 ans. Le reste, c’est de l’expérience. Mais j’ai beaucoup d’expérience. Ça m’arrange (sourire). Certains joueurs sont là depuis le départ, même s’ils vieillissent. Il y a un renouvellement.

2. L'évolution de son management

Les joueurs sont-ils plus compliqués à gérer aujourd’hui ? Vous trouvez que la génération actuelle est différente de celle de 2018 ?

C’étaient les mêmes. On ne va pas comparer ni opposer toutes les générations. La jeune génération est différente, avec des centres d’intérêt différents. Je prends toujours le bon côté, je fais avec et je m’adapte.

Mais l’époque change pour tout le monde…

Ce n’est pas plus compliqué. Vous savez, en management, celui qui se lève le matin et qui dit : "Moi je sais", je veux bien… Mais je n’ai pas cette prétention-là. Je peux apprendre tous les jours. Et pas forcément de quelqu’un de plus âgé que moi. À travers une discussion, la vie de tous les jours, je prends, ça nourrit ma réflexion. Après, je fais, je ne fais pas. C’est en adéquation avec ce que j’ai dans la tête ou pas. Mais manager, avant tout, c’est écouter. Oui, il faut parler, mais le taux d’écoute, je dois l’avoir.

Qu’est-ce qui change quand on manage des joueurs qui ont gagné, par rapport à l’équipe qui était en construction où vous étiez le boss ?

Ils savent ce qu’il faut faire. L’expérience, c’est important. Quand vous avez déjà fait des compétitions, vous connaissez tout ce qu’il y a autour. La gestion, l’émotion, les dures batailles qu’on aura à livrer… Et à partir du moment où il y a le potentiel… Prenez les exemples de… bon, de Kylian, même s’il est hors-norme… Mais aussi de Benjamin Pavard ou de Lucas Hernandez, qui n’avaient pas d’expérience internationale, ça ne les a pas empêchés d’être à un très très haut niveau. C’est leur mérite. Après, ils ont besoin d’être entourés aussi.

Mais il y a des jeunes de 20 ans qui peuvent être plus matures que certains qui ont 30. D’ailleurs, à la dernière Coupe du monde, la maturité de certains de 30 ans… (sourire) C’est un mélange. C’est une génération avec des points positifs, qu’il ne faut pas leur enlever. Mais le sport, le football, c’est le reflet de la société. Dans vos domaines aussi, comme dans tous les domaines, vous avez les mêmes attitudes.

Par moments, ils utilisent des mots dans un langage que je connais, que je n’utilise pas mais bon… (sourire) Ça ne me gêne pas. Je ne suis pas là pour les changer. Ce n’est pas à eux de s’adapter à moi. Il y en a qui peuvent faire comme ça, moi je fais en sorte de m’adapter à eux. Après, ce qui est important, ce sont les deux cadres : cadre de vie, cadre de travail, qui sont identiques pour tout le monde.

3. Que de nuages noirs... 

L’organisation de cette Coupe du monde au Qatar est décriée. Craignez-vous un soutien populaire plus discret ?

Si je me réfère à ce qu’il s’est passé jusqu’ici, le soutien sera là. Les gens vont suivre. Je ne vais pas me mettre en avant, mais lors de la liste sur TF1, l’audience était largement en dessous il y a 4 ans (7 millions contre 6,3 en 2018, NDLR). Les gens voulaient peut-être voir si j’avais vieilli (sourire). Des réticences, il y en aura toujours.

Avez-vous briefé vos joueurs, interrogés par les médias sur les polémiques ?

Évidemment, je les mets en garde mais je ne leur ai pas dit : "Attention, tu ne dis pas ça, tu ne dis pas ça." Si vous ne leur posez pas la question, ça ne va pas les déranger c’est sûr ! Mais c’est votre boulot. Les joueurs ont reçu les informations qu’il fallait. Ils sont responsables, ils décident. Chacun peut parler, dire ce qu’il veut.

Dans quelle mesure ces questions extra-sportives alourdissent-elles la préparation ?

Je ne vais pas vous dire qu’on a eu un contexte des plus positifs. Je vous le dis, je vous le redis : une fois la compétition lancée, ce qui m’intéresse, c’est ce qui se passe en interne. Tout le reste… Ça n’a pas d’intérêt.

Pour rebondir sur les tensions…

(Il coupe). Ah… Rebondissez, rebondissez ! Il y a des sujets qui vous intéressent beaucoup plus que d’autres…

Comment avez-vous vécu personnellement les tensions liées à l’affaire des frères Pogba, mais aussi les accusations de harcèlement qui visent Noël Le Graët ?

L’affaire dont est victime Paul Pogba, ça le concerne, c’est sa vie privée, il a fait face. C’est quelqu’un qui a du caractère mais forcément, ce sont des choses que personne ne souhaite vivre. Mais cette histoire-là n’a pas d’impact sur sa présence ou sa non-présence en équipe de France. Parce que c’est quelqu’un qui est victime.

L’audit demandé par le ministère au niveau de la Fédération, ça vous a touché en tant que salarié ?

Je suis un salarié un peu différent des autres salariés de la Fédération, quand même. Ce n’est pas de mon ressort. Ça fait partie de ce que je viens de dire avant : d’un environnement qui n’est pas un environnement positif.

Vous restez serein, parvenez-vous à transmettre votre sérénité aux joueurs ?

Quelles que soient les circonstances, je ne me force pas. Certains vont dire qu’ils m’ont vu tendu. Quand je suis tendu, je suis tendu, et ça ne m’arrive pas souvent. Moi, calme et sérénité de toute façon, c’est essentiel. Et en interne, c’est capital. Je ne veux pas mettre la faute sur qui que ce soit mais l’évolution des réseaux sociaux, la multiplication des médias, c’est factuel. Aujourd’hui, ce qui est considéré comme une info possède une fiabilité très faible. Et il y a beaucoup, beaucoup de personnes qui affirment des choses qui sont complètement fausses et erronées. Et puis c’est repris, ça ne mène à rien. C’est comme ça.

Avant ce rassemblement, vous répétiez souvent que rien ne pourrait vous saper le moral…

Même avant, non, non, non ! C’est factuel. J’ai toujours le moral, je n’ai jamais un état d’esprit négatif, je ne me pose jamais la question de savoir : "Et si ça se passe mal, qu’est-ce qui se passera ?" Je fais l’inverse, je fais tout ce qu’il faut pour que ça se passe bien.

Vous considérez qu’à votre poste de sélectionneur, cette confiance ou cet optimisme doivent diffuser auprès des joueurs ?

Oui, moi je suis là, non pas pour les rassurer car ce ne sont pas des gamins que j’ai, mais pour faire en sorte que ça aille. Ce qui ne m’empêche pas de dire les choses.

Ne trouvez-vous pas qu’on devient très exigeant avec cette équipe de France justement parce qu’elle a gagné des titres, parce qu’elle a habitué les gens à gagner ?

Oui, c’est normal, ça fait partie du truc sur une grande compétition. Ce n’est pas de l’exigence, c’est une attente. Parce que l’équipe de France a un statut. Même si, quand on reprend l’historique, gagner au très haut niveau c’est très difficile. Et s’y maintenir, ça l’est encore plus car à chaque fois il n’y en a qu’un qui gagne. Là, la réalité, c’est que les matchs à venir, on en connaît. Concentrons-nous sur ces trois matchs-là. Pas la peine de se projeter.

4. Tempête(s) sous son crâne

Est-ce que cette liste est la plus dure que vous ayez eu à constituer ?

Je ne sais pas si c’est la plus dure, mais elle n’a pas été facile. Pour différentes raisons. Jusqu’au dernier moment d’ailleurs.

Quelles raisons, les blessés ?

Oui, c’est surtout ça. Les situations des uns et des autres sont différentes, il y a des blessures, d’autres sont touchés au dernier moment (l’entretien a été réalisé quelques heures avant la blessure de Christopher Nkunku, NDLR). Dans certaines situations, on a eu un suivi médical, un suivi terrain aussi, avec des retours, des échanges, pour avoir le maximum d’éléments pour que je puisse prendre mes décisions.

Quand avez-vous tranché en faveur de la défense à quatre ?

Il y a un moment… Après septembre, dans l’analyse complète de ce qu’on avait fait avant… Cela n’a pas été conditionné par le fait qu’il manquait X ou Y.

Qu’est-ce qui a motivé ce choix ?

Les difficultés que l’on a eues, sans enlever notre capacité à produire de très bonnes choses, sur le plan offensif notamment, mais le déséquilibre était trop important. À partir de là, je sais trop bien que dans ce type de compétition, il est indispensable d’avoir une solidité et une capacité à quadriller le terrain plus rationnellement. Le système à trois défenseurs a des avantages, mais il a aussi beaucoup d’inconvénients de par ce que l’adversaire nous propose et le système dans lequel il joue.

N’avez-vous pas perdu un peu de temps en testant durant un an ce nouveau système ?

On a gagné la Ligue des nations (en octobre 2021) dans ce système. Après j’ai alterné, ça pouvait arriver de commencer à trois et de finir à quatre (défenseurs). Après, ce qui revient dans vos analyses, avant tout, c’est le résultat. Et on a gagné en jouant comme ça. Mais ce système laisse beaucoup trop de place à des incertitudes.

Vu votre potentiel offensif, avez-vous choisi de construire l’équipe autour de vos attaquants ?

Non non. Je fais toujours une équipe, certes pour qu’elle soit équilibrée, mais ma première idée c’est de mettre le plus en difficulté l’adversaire. C’est bien beau de mettre une animation pour mettre en difficulté un adversaire, mais si, vous n’êtes pas capable de défendre... Oui, OK, le talent individuel peut toujours faire la différence, mais sur une compétition, c’est difficile.

Est-ce plus difficile de trouver un équilibre d’équipe avec des individualités très fortes, plutôt offensives, des valeurs très sûres, on pense à Mbappé, et Griezmann notamment ?

Non, il ne faut bien sûr pas perdre ce qu’ils sont capables de faire, mais ils dépendent, eux aussi, des forces qu’il y a derrière eux. Si on n’a pas le ballon, ou si on ne l’utilise pas bien, ils sont amenés à devoir défendre, ce n’est pas là où je les attends Je préfère construire une équipe… Vous pouvez construire une équipe, OK, vous allez être solide, ultra-défensif et vous aurez un coup de pied arrêté on ne sait jamais, un contre, non, je sais qu’il y a un potentiel offensif important et je l’utilise.

Une Coupe du monde réussie, ce serait quoi ?

(Il sursaute) Hum, je vais vous répondre ce que je vous ai déjà répondu : une Coupe du monde non réussie, je sais ce que c’est… Réussie ? Aujourd’hui on a des étapes, pas la peine de se voir trop loin.

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