Aveyron : c'est quoi, le kombucha d'orties qu'on fabrique à Bezonnes ?

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    Un elixir de longue vie ? Antonin Pons Braley
Publié le , mis à jour
Alix Pons Bellegarde & Antonin Pons Braley

Né par un heureux hasard, en Asie, raconte la légende, le kombucha est une boisson fermentée aux vertus fortifiantes, dont Alix nous dévoile la recette. « Une miraculeuse potion d’abondance » à découvrir et à déguster.
 

Crachin d’Irlande en Rouergue. Bientôt grésil. Premières gelées. Brouillard bas, une odeur souffre tenace jusqu’aux sinus. Dans le flou, neige cendrée - des poêles alentour crachant au sol leurs fumées, icares, incapables de voler, étouffées par l’atmosphère de ce soir.
En bout de course de l’un des pontons distribuant les jardins, balayé par les danses du jeune frêne sur la porte cochère : le bar à fermentations de la maison. Tout juste installé, blotti dans l’une de ces caves dégringolant en chapelet de la place au rocher. La lumière au travers les pierres - petit appel à la prière. Le sol en calade, ses pavés peut-être au Dourdou ou au Lot quelques siècles plus tôt empruntés, depuis cirés, polis d’avec le temps, en eux encore le bruit, rond, mat, des roues des carrioles, des sabots des hommes et leurs chevaux.

Toupines, brocs, carafes, bonbonnes et autres fioles

Dans un halo, du Vermeer, du Hals, du Steen. La Hollande en visite, à la bougie des lampadaires balisant le chemin de l’église aux cuisines. Repères à flanc de falaise. Débarcadère.
Passer les battants de bois, accrocher les manteaux au-dessus du feu en fond de salle, dans la quasi-pénombre, le comptoir veille, fidèle, sur le pont. Dans son dos, bibliothèque à bocaux, toupines, brocs, carafes, bonbonnes, dames-jeannes et autres fioles. De part et d’autre, en alcôves, quelques secrets, eux aussi fermentés, à glisser en fond de verre au prétexte d’une longue soirée d’hiver. En réponse aux os humides, aux doigts blancs et tempes glacées.
Peuvent apparaître parfois, à qui ose, en recoin d’impasse, en rade inconnue, à l’angle d’un dock, à la commissure d’une rue, s’aventurer désarmé au-delà de leurs vitres embuées, quelques gentlemen de campagne, pubs d’avec les manières, clubs improbables. Celui-ci est de ceux-là. Mess des officiers en fond de cale, taverne des grands soirs au matin des petits villages.

Environ cinq mille aliments issus de la fermentation

Ici, bar à fermentations. « Fervere », comprennent par analogie les romains d’alors, capitalisant sur un acquis du Paléolithique : « bouillir », en latin. Au regard des bulles en surface des cuves, dans lesquelles le jus de raisin, par enchantement, tourne au vin. Horizon infini. Dès lors bar en ébullition. Bar laboratoire. Effervescent.
À snacker, baies, fruits et légumes noirs, lactofermentations, légumineuses et viandes maturées, faisandages, charcuteries, marinades, macérations, salaisons et fumages, levains, houblons, skyrs, bouillions, fromages, misos, pickles, vinaigres, kimchis, kojis et shoyus revisités, garums. Le monde entier au service de nos quarante-deux kilomètres à la ronde, alors que l’on estime à ce jour à cinq mille environ, le nombre d’aliments quotidiens directement issus de la fermentation.
Et d’entre les jus, les premiers bourrus, vins, cidres et bières, cocktails en cascade, bozas, ginger beers, hydromels, kvas de seigle, kefirs et eaux de céréales, trône en prince, millénaire, le kombucha maison et toute sa palette de déclinaisons.

Heureux hasard

Comme à chaque prince, la légende de sa naissance : ici, le premier de la lignée serait né par hasard, au creux d’une tasse de thé sucré oubliée sur un rebord de fenêtre quelque part sud-asiatique ; si longtemps, que bactéries et levures s’y seraient installées puis multipliées ; si bien qu’elles auraient créé cette fine pellicule gélatineuse appelée « mère » - comme en vinaigre -, qu’une âme gourmet aurait alors continué à nourrir de sucre et de thé pour l’allonger. Jusqu’à la voir grandir. Pour ensuite la transmettre, de génération en génération, par-delà les montagnes, les océans, de sorte à se qu’elle échoue aujourd’hui sur les vitrines de notre laboratoire de quartier. Kombucha romanesque, pirate, corsaire. Tantôt promu élixir de longévité, fait remède universel par l’Empereur du Japon, soldat du corps en Russie, sacré en Italie, si bien que l’on volait l’eau des bénitiers pour l’y mélanger afin de renforcer ses effets. Jusqu’à sa popularisation actuelle, passés les deux milliards aujourd’hui de part de marché mondial, à grand renfort de boissons préfabriquées. Si bien que l’on en aurait oublié le petit prince des origines, coïncidemment tombé de sa tasse de thé. Apparu pour être partagé.

Une pointe de magie…

Sitôt, chose simple : quelque trois cents millilitres de kombucha quelque part empruntés - ici, au bar, ou ailleurs dans le commerce -, une centaine de grammes de sucre et un litre et demi d’eau du robinet non chlorée, bouillante, comme pour un thé. Une pointe de magie, pour nous, feuilles d’ortie. Pour permettre à l’histoire de continuer à se raconter. Couvrir d’un linge une dizaine de jours la jarre à l’abri de la lumière remisée. Nourrir en retour, de sucre et d’herbes séchées, à proportion de sa consommation. Miraculeuse potion d’abondance.
Pendant qu’ici au comptoir, défilent les nuits de brumes et les princes d’un soir. La brigade tout entière, espiègle, paysage, sentinelle, artisane, au chevet de sa bibliothèque de secrets fermentés.

Bibliographie :
- Fermented Foods and Beverages of the World. Jyoti Prakash Tamang, Kasipathy Kailasapathy. 2010.
- Le guide de la fermentation du Noma. David Zilber & René Redzepi. 2018.
- La nutrition préhistorique. Martine Roques, Brigitte & Gilles Delluc. 1995.
- Fermentations. Ellix Katz Sandor. 2018.
- Fermenter presque tout avec presque rien. Juliette Patissier. 2002.
- The Kombucha : Brewing and Flavouring. Florence Martin. 2020.
- Comboucha : La boisson au champignon de longue vie. Günther W. Frank. 2006.
- Kombucha : Le champignon miraculeux. Harald W. Tietze. 1998.

Un lieu à découvrir

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, ils parcourent le monde pour archiver les cultures alimentaires des régions insulaires et nordiques. En Aveyron, la Famille Pons Bellegarde accueille, au sein du corps de ferme familial et ses jardins, sur la place de l’Église, au cœur du vieux village de Bezonnes : table gourmet, librairie gourmande, salon de thé, épicerie fine, micro-boulangerie, journal d’anthropologie culinaire, éditions et galerie d’art. Sous la plume d’Antonin, le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix et de leurs explorations.
 

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