"Assister à des dialogues de 30 minutes sur le choix d’un terme, alors que le bateau coule" ( Zoé Brioude, étudiante qui a assisté à la COP 27)

  • "Il faut encore du temps pour digérer cette COP et me demander vers quelle forme de militantisme je vais me tourner à l’avenir", explique Zoé Brioude. "Il faut encore du temps pour digérer cette COP et me demander vers quelle forme de militantisme je vais me tourner à l’avenir", explique Zoé Brioude.
    "Il faut encore du temps pour digérer cette COP et me demander vers quelle forme de militantisme je vais me tourner à l’avenir", explique Zoé Brioude. Courtesy of Zoé Brioude
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - En novembre dernier, nous avions rencontré Zoé Brioude, étudiante de l'ENS au département Arts, avant qu'elle assiste en tant qu'observatrice à la COP 27 à Charm-El-Cheikh, en Egypte. De retour à Paris, elle revient sur sa première expérience du sommet.

Peux-tu nous en dire plus sur ce que tu as pu observer des processus des négociations entre les dirigeants ?

Nous avions cinq accréditations : j’ai pu assister à deux négociations lors de la deuxième semaine. Quand on arrivait dans les salles, peu de sièges étaient disponibles pour les observateurs. On était par conséquent redirigés dans des salles de retransmission, elles aussi pleines à craquer. Dans la synthèse de terrain de notre groupe que j’ai rédigée pour Le Grand Continent, on a relevé l’incapacité des dirigeants à établir un diagnostic de leurs propres politiques publiques dans un contexte multilatéral. Les pays développés se disaient champions du climat. Je me suis rendu compte que plus on en savait, plus on mesurait l’étendue des connaissances nécessaires, ne serait-ce qu’à comprendre le problème écologique.

Quels ont été les évènements annexes auxquels as-tu pu assister ?

J’ai découvert les "Culture Days", des journées organisées par Culture Cop, afin de parler de culture à travers des workshops et des performances. Le soir, on assistait à des danses de natifs du Brésil, sur des musiques traditionnelles du monde entier, parfois remixées en version électro. Elles avaient lieu dans des hôtels ou des musées. J’ai tout de même constaté une absence de rigueur dans cette démarche. Les mots "culture" et "art" n’étaient jamais définis alors qu’ils n’ont pas le même sens d’une culture à l’autre. Les tables rondes et les workshops tournaient un peu en rond, malgré leur bonne volonté. Je pense que c’était plus une tentative d’ utopie qu’une réelle manière d’établir une réflexion. On aurait aimé plus de transparence sur les financements qui ont contribué à l'organisation de ces évènements, qui paraissent coûteux. C’était comme une utopie dans un hôtel à cinq étoiles, à laquelle on doit se rendre en avion.

Qu’est ce que la COP 27 vous a apporté en termes d'expérience ?

Des connaissances de l’intérieur, auxquels on n’a pas forcément accès en dehors de la COP 27. J’ai rencontré des gens de toutes sortes. Les rencontres étaient enrichissantes. Lors des "Culture Days", j’ai eu l’occasion de parler avec un bédouin qui vivait près du Monastère Sainte-Catherine, adossé au Mont Sinaï, une péninsule égyptienne non loin de Charm-El-Cheikh. Il avait l’habitude de vivre en solitaire. Cette discussion fut comme un pas de côté vers une autre manière de voir le monde, un autre set de concepts et de sensibilité. J’ai parlé à une Autrichienne trilingue, des universitaires, et même une princesse ! Une princesse, un bédouin, des natifs et puis il y avait moi (rires). J’avais l’impression d'être une imposture, je me sentais presque illégitime d’être là, en observatrice, dans une posture proche de celle de l’ethnologue.

Au sortir de ce forum planétaire pour le climat, les étudiants de ta délégation ont difficilement caché leur déception : "Beaucoup de négociations que j'ai suivies n'ont pas abouti", a confié Thibaud à RFI. "C’est beaucoup de brassage de vent", a rajouté Adrien. Qu'as-tu pensé de ces déclarations ?

Je suis d’accord, mais je n’utiliserais pas l’expression "brassage de vent", car cela impliquerait qu’il n’y avait que de la mauvaise volonté, or ce n’était pas le cas. Il est difficile de concilier des décisions qui doivent être prises à l’unanimité des cultures et de différentes visions du monde, surtout dans un cadre multilatéral. Il y aura forcément des tâtonnements sur des termes. Il faut savoir que ces textes sont aussi lus d’un point de vue juridique, et en droit, la moindre virgule compte. Si l’on avait plus de temps, les virgules seraient plus pertinentes. L’Accord de Paris en est un bon exemple. Par exemple, l’article 6 avait été écrit de manière à être interprété comme un texte autorisant les critiques carbones, qui sont des permis à polluer que tu peux acheter. Le texte a été énormément débattu pendant la COP, ce qui a été assez chronophage. Assister à des dialogues de 30 minutes sur le choix d’un terme, alors que le bateau coule… les COP ne sont qu’en fin de compte des virgules…

Est ce que ton regard sur la COP 27 s’est retrouvé bouleversé ?

Ce sont les discussions avec mes camarades qui l’ont changé. Notamment celles avec Alice Munoz-Guipouy, étudiante spécialisée dans les sciences politiques (une autre étudiante de la délégation de l’ENS), qui est beaucoup plus informée sur le sommet. Alice a insisté sur le fait que les Cop ne sont pas là pour prendre des décisions contraignantes, mais pour établir des standards à travers des discussions multilatérales. Il en revient par la suite aux pays et aux citoyens de faire appliquer ces décisions. En voyant les zones réservées aux grands pavillons des pays, j’ai réalisé que c'était assez désespérant à voir parce que c’était très énergivore ; des écrans plasma et des projos étaient présents partout. On buvait des bouteilles au marketing écolo qui étaient en réalité importées d’Italie par avion. L’organisation égyptienne de la COP 27 faisait du greenwahsing. Le gouvernement assure le triage des déchets alors qu’ils n’ont pas les moyens de le faire.

Est-ce que cela a changé ton engagement ?

Une journaliste du Point, qui nous avait interrogés à notre retour du sommet, en a conclu que nous avions eu une "chouette expérience." Je l’ai reprise de suite en lui expliquant que ce n’était pas une chouette expérience. Ce n'était pas une chouette expérience de se dire que je vais consacrer ma vie à faire en sorte que la catastrophe climatique soit moins pire, d’être confrontée tous les jours à l’insurmontable, d’être ultra consciente sur tout ce qui se passe. Maintenant, je ne sais plus ce qui est utile. Après avoir terminé mes études, ce qui est sûr, c'est que je vais continuer à militer. Il faut encore du temps pour digérer cette COP et me demander vers quelle forme de militantisme je vais me tourner à l’avenir.

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