Rugby : Zurabi Kikacheishvili, au-delà des mots, transforme l'essai avec Rodez après avoir fui l'Ukraine en guerre
Arrivé en Aveyron pour fuir la guerre en Ukraine, le Géorgien a proposé ses services au Rodez rugby au printemps. En plus de prêter ses forces en réserve, il forme les jeunes pousses sang et or… et sans parler la même langue. Reportage.
Le thermomètre affiche 0 °C et la pelouse du Trauc se couvre de gel. Comme tous les mercredis, les juniors du Rodez rugby se retrouvent pour un de leurs entraînements hebdomadaires. Et si trois des formateurs du jour, Paul Bastide, Jean Cazals et Sébastien Falguières, luttent contre le froid malgré la superposition de vêtements, le quatrième semble être dans son élément. "Zura, il y est habitué !", rigole Cazals.
"Zura", c’est Zurabi Kikacheishvili. Le Georgien de 49 ans est arrivé à Rodez en début d’année pour fuir la guerre en Ukraine. Il y était entraîneur de rugby quand " le conflit a éclaté le 24 février ", précise-t-il en tendant son téléphone sur lequel sa phrase prononcée en ukrainien est traduite. Car c’est comme ça qu’il communique avec les locaux depuis qu’il est en terre aveyronnaise : l’entraîneur ne parle ni français ni anglais.
Entraîneur de l’équipe nationale d’Ukraine
Une des premières choses que Kikacheishvili a faite quand il a posé ses valises sur le Piton, c’est chercher un club. Il a frappé à la porte du Rodez rugby pour proposer ses services, d’abord en tant que joueur. Et ce n’est pas son âge qui l’empêche de partager son expérience de demi de mêlée avec les seniors, et plus particulièrement la réserve. Mais son CV d’entraîneur n’a pas manqué d’attirer l’attention du club ruthénois.
"Il a un diplôme international ! Il a entraîné l’équipe d’Ukraine", insiste Sébastien Falguières. L’ancien coach des Black Ruthènes concède tout de même qu’il a eu des "réserves au moment de préparer la saison" quant à l’intégration de Kikacheishvili dans le staff des juniors. La raison ? La communication. "Mais maintenant, on s’est habitué à parler avec le traducteur", sourit-il.
Pas de parole, mais les intentions passent
Alors que les jeunes rugbymen suivent les consignes du prépa physique Paul Bastide dans un coin du terrain, Zurabi Kikacheishvili a pris Falguières et Cazals sous les poteaux pour leur montrer l’exercice d’attaque-défense qu’il a concocté pour la suite. "On prépare les séances en amont et il nous montre sur place ce qu’il attend des joueurs", explique Jean Cazals. La quinzaine de juniors présents ce soir-là se place pour commencer. Le coach géorgien se met en face d’eux, accroupi, un sifflet dans la bouche pour communiquer. Derrière, les deux autres techniciens énoncent aux rugbymen les ajustements à faire en fonction des signes de Kikacheishvili. Pas de parole, mais les intentions passent.
Sébastien Falguières prend la suite. Les joueurs appellent tour à tour "Zura" pour qu’il leur lance le ballon, synonyme du début du nouvel exercice. Le Géorgien observe attentivement les contacts qui suivent. "La barrière de la langue est frustrante pour lui, déplore Jean Cazals en jetant un regard à son co-entraîneur. Il a plein d’idées. Le rugby c’est sa vie."
En plus d’avoir été à la tête de l’équipe nationale d’Ukraine, il y a entraîné une formation professionnelle, le Kredo 63. Puis toujours à Odessa, il a tenu les rênes de l’équipe de Polytechnique, "qui a été sacrée championne U20 d’Ukraine !", s’exclame-t-il avec fierté en passant de l’application de traducteur à la galerie photos conservant ces souvenirs. À l’image de son amour pour le rugby, Kikacheishvili est "extrêmement investi dans le club, confirme Sébastien Falguières. On est ravi qu’il soit là, pour son implication, mais aussi parce qu’il partage avec nous une autre culture du rugby."
Le bonheur grâce au ballon ovale
Il fait de plus en plus froid et les seniors rejoignent le terrain pour s’échauffer. L’équipe d’entraîneurs, à laquelle il manque Ralph Teriitaohia ce jour-là, décide d’abréger la séance. L’infirmerie se remplit ces dernières semaines, il ne faut pas trop bousculer les organismes. Avec la montée chez les seniors de neuf d’entre eux, les juniors ont un effectif plus limité cette saison. "On savait qu’il allait aussi y avoir un trou de génération", ajoute Falguières. Ils n’ont pas réussi à imiter l’invincibilité de 2021-2022, mais ils s’accrochent. C’est une aventure inédite pour eux comme pour les entraîneurs, nouveaux sur ce banc.
Et si Zurabi Kikacheishvili est arrivé à Rodez un peu par hasard, par l’intermédiaire d’un ami, il y a trouvé son bonheur grâce au ballon ovale. Sa fille, Varvara, joue en sang et or avec les cadettes. Et lui, il assure qu’il a "de la chance d’être ici, où le rugby est très populaire et aimé." De quoi éloigner, un peu, les maux de là-bas, même si ça se fait sans les mots, ici.
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