Le RSA sous conditions expérimenté à Decazeville : l’inquiétude des allocataires et des associations
Le Conseil départemental de l’Aveyron s’est porté volontaire pour expérimenter la démarche et, pour l’heure, dans le seul bassin d’emploi de Decazeville. Une contrepartie sera demandée aux allocataires du RSA dans le cadre de leur contrat d’insertion. Un "RSA sous conditions" qui fait débat sur place.
Ce vendredi 16 décembre, les bénévoles s’activent aux Restos du Cœur de Decazeville… Accueil bien rodé : "Nous avons 210 familles inscrites, plus de 450 personnes, ce qui représente environ 2 500 repas par semaine", résume un responsable, à l’ouverture. Dehors, la file d’attente est déjà conséquente. "Des retraités ou veuves aux pensions minuscules" et "beaucoup d’accidentés de la vie" allocataires du RSA, précise un bénévole à bonnet de Père Noël, sous l’œil bienveillant de Coluche…
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Dans toutes les conversations
Un revenu de solidarité active qui devient alors un vrai sujet de conversation, ici. Ce 13 décembre, les 19 départements qui expérimenteront le "RSA sous conditions" ont été officialisés et en 2023, l’Aveyron sera seule à le tester en Occitanie… Dans ce seul bassin. Sur le papier, "chaque bénéficiaire […] aura un conseiller référent désigné […] et tous les allocataires des territoires d’expérimentation seront amenés à signer un contrat d’engagement sur la base d’un accompagnement intensif de 15 à 20 heures par semaine", indique le conseil départemental.
Immersion, formation en entreprise, démarche sociale accompagnée, ateliers collectifs, activité citoyenne, accompagnement à la création d’entreprise ou intégration dans un atelier ou une structure d’insertion : ce qui sera alors proposé, selon le profil.
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"Si je pouvais retravailler…"
564 € par mois contre 15 à 20 heures de travail par semaine… "Je trouve ça tout à fait normal", commence Nadine, 54 ans, son cabas à la main et elle-même allocataire "depuis 10 ans". "Si je pouvais retravailler, je le ferais plutôt que rester à la maison", poursuit-elle.
Aide à domicile, usine, restauration, marchés, elle a "toujours bossé". Seulement voilà… Dos ruiné par des hernies discales, l’épaule en vrac et victime "de minis AVC tout juste diagnostiqués", elle est à deux doigts de l’invalidité… "Si on me demandait de tenir compagnie à une personne âgée, ça, je pourrais… Mais pas m’en occuper", tente-t-elle alors de se projeter, inquiète quant à sa future contrepartie pour continuer à percevoir son RSA.
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David, lui, a 26 ans. "J’ai travaillé avec mon père dans le bâtiment à 13 ans", commence-t-il. Mais il a dû fuir "de très graves problèmes familiaux". Tout son corps porte le poids de sa dépression, depuis. "Travailler, d’accord, mais pour rien gagner… Rien que l’essence pour y aller, qui paye ?", s’inquiète-t-il.
Si je ne trouve pas de travail, c'est parce que je ne trouve personne pour garder ma fille
Clarisse, 24 ans, arrive avec son enfant. "J’ai travaillé dès la fin de mes études, mais j’ai dû arrêter à cause d’une grossesse compliquée". Aujourd’hui, elle est mère célibataire et se dévoue à sa fille de deux ans. Le RSA sous conditions ? "Si je ne trouve pas de travail, c’est justement parce que je n’ai personne pour garder ma fille, ni d’argent pour payer la garde… Je ne vais quand même pas laisser seule ma petite 15 à 20 heures par semaine !? », réagit-elle.
Élégante, Patricia a 58 ans. Commerciale, elle gagnait bien sa vie, autrefois. Mais… "J’ai été opérée du dos, arthrodèse, plusieurs vertèbres soudées. Je ne peux pas rester assise longtemps, ni debout…" Au RSA depuis deux ans, elle ne peut plus travailler. Ce jour, elle était à Rodez pour faire reconnaître son handicap, "évalué entre 50 et 79 %". Or pour toucher l’allocation adulte handicapé, "il faut 80 %… Je fais quoi, moi ?"
Mots gentils, petites attentions souriantes, autour les bénévoles s’affairent pour que les fêtes n’oublient personne à table. Mais ils sont consternés derrière le masque. "Ce RSA sous conditions, il faut vraiment ne pas connaître les bénéficiaires pour l’avoir imaginé", s’accordent les vétérans des Restos.
"Indécent"
Et même constat du côté du Secours populaire, également en première ligne sur le front de la précarité dans un bassin de 19 000 habitants qui subit depuis 50 ans les casses sociales à répétition venues d’en haut, avec, encore, les 333 salariés de la SAM sacrifiés, il y a un an…
"Que ce dispositif vienne s’appliquer à ce territoire est indécent", estime à cet égard le député Laurent Alexandre (Nupes). Des "devoirs" en contrepartie de "droits" aux allocations, alors que l’État lui-même n’a pas respecté ici ses "devoirs" en laissant fermer la SAM, pointe-t-il en substance : ça passe d’autant moins que "l’expérimentation France Travail discrimine les habitants du bassin", dénonce-t-il.
"Ce n'est pas le choix des bénéficiaires d'être pauvres"
"Ce RSA sous conditions stigmatise une fois de plus Decazeville alors que ce n’est jamais le choix des bénéficiaires d’être pauvres", se fâche aussi le conseiller municipal et régional Pascal Mazet (PCF), dénonçant "l’absence de concertation avec les élus locaux".
"Certes, ici, des enfants n’ont jamais vu leurs parents travailler, mais rares sont les familles où le RSA est devenu un revenu banalisé", souligne la responsable du comité local du Secours populaire. Ce qu’elle craint, elle ? C’est qu’"une fois de plus les associations soient sollicitées pour pallier les déficiences du système et accueillir les bénéficiaires afin qu’ils fassent leurs 15 à 20 heures alors qu’elles ne sont pas structurées pour ça…"
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