Aveyron : à Bezonnes, friture de lapin au son de blé et fromage fondu

  • Déposer les panés de lapin, quelques minutes à peine dans l’huile au fond de la cocotte, pour que, tout juste dorés, ils rejoignent l’assiette sur le lit de sauce déjà prêt à les recevoir.
    Déposer les panés de lapin, quelques minutes à peine dans l’huile au fond de la cocotte, pour que, tout juste dorés, ils rejoignent l’assiette sur le lit de sauce déjà prêt à les recevoir. Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde, Antonin Pons Braley

Une année déjà qu’Alix et Antonin ont posé leurs valises à Bezonnes. Avec le pari fou d’installer leur Table, à laquelle ne sont servis que des produits provenant d’un rayon de 42 km autour du village situé sur la commune de Rodelle.
 

Janvier à Cantemerle, sur les hauteurs de Bruéjouls, à la Ferme de Fadiols, chez Lucas Rigail et les siens : un lapin, duquel travailler les deux cuisses. Non loin de là, poursuivre l’Aveyron jusque dans ses chicanes au large de Belcastel, à la ferme de Tessi, chez Laurent et Marie : sur la paille, trois œufs frais. Suspendu en lisière de Causse, sur les rives du Rigoutals, à Maymac, chez les Boubal, père & fils : un bol de son de blé, cueilli en queue de meule. Quelque part entre Rieupeyroux et Villefranche-de-Rouergue, au Pradel, sous les cieux infinis du Gaec du Bez, ses prairies en cascade : quatre belles cuillères de crème fermière. Plus au Nord, chez Isabelle et Serge Rayrolles, à la ferme de Dilhac, Lacroix-Barrez, aux confins de l’alimentarium des quarante-deux kilomètres à la ronde : trouver une pointe de beurre cru. En bout de route, aux Bouteillous, d’entre les ruches et les faisans de passage, le grand-père en blouse bleue à la croisée des chemins, chez Serge Bordes : cent grammes de trois de ses fromages réunis - bout de choux, Simmental et tome du vallon par exemple, de la magie. Enfin, juste au-dessus, chez Sylvain Rocagel et sa compagne Émilie, lieu-dit la Coupette, à un écho de vallée de la chapelle Saint-Jean-Le-Froid, pris dans la brume du rougier : un Libre Cours, en 2021, ses notes de carde, de rhubarbe, son nez chocolat. Un bijou.

« Souviens-toi d’où tu viens »

Janvier en cuisines, Alix et sa brigade en ordre de bataille. Le paysage sur le plan de travail. Du simple, de l’ici, du vrai. Pour autant d’inconnu, de révélation, de lumière. Peut-être : comme un cap dessiné d’un coup de tête, un bastingage, une fin de débarcadère, une brise légère. La valise est prête, la table est mise : voyage. Alors feu !
Janvier encore, place de l’Église à Bezonnes, voilà tout juste un an - pour L’Épiphanie de l’année d’avant -, que par un alignement d’étoiles, nous reprenions la charge des bâtisses adjacentes à la ferme familiale, maison natale de ma mère et de son frère, quelques semaines seulement après être, d’entre les îles, dix-sept de mer et deux enfants plus tard, revenus en France. Des mois de travaux - et encore aujourd’hui, afin qu’au printemps les jardins se joignent à la fête - pour installer au village, outre une autre belle table, gourmet, également une librairie gourmande, une microboulangerie et son épicerie fine, un tout nouveau bar à fermentations, bientôt un cinéma et sa petite galerie d’art en devenir. Les mots de la grand-mère, - « Souviens-toi d’où tu viens » -, à la gouge, au fronton de l’ancienne grange à foin, dorénavant passée restaurant. Janvier sur la calade dégagée cet été à renfort des bras du quartier. Les pontons, les uns après les autres, reliant à présent entre elles les portes vigneronnes « enganées » dans la pierre. Janvier toujours, sur les vitres des cuisines embuées, dans l’ombre dentelée des sumacs mis à nu. Un fumé de tourbe jusque sur la place, un quelque chose de poivre depuis les fourneaux, d’orge, de sarrasin torréfié. Le parfum, chaque jour différent, de la vie qui reprend. Sous les couteaux, les cuisses désossées, effilées dans la longueur. À leurs côtés, deux bols en vis-à-vis, les œufs dans l’un, battus, le son dans l’autre. Premier passage, puis réserve. Deuxième, avant de reposer au frais. Simultanément, dans une casserole à feux doux : la crème et le fromage à fondre, le beurre, confrontés d’un vin blanc ou d’une eau de vie de pays, arrosée tout en remuant, pour laisser réfléchir à feux doux.
Janvier jusqu’à la cime des frênes adossés aux façades. Les artisans jour et nuit au travail, à prolonger le geste. Ces jours-ci grande cave et réserves à l’agenda du bois. Pendant que tout autour : janvier tantôt mâtiné de givre aux aurores, tantôt bienveillant d’avec les repousses de pissenlits, les fleurs d’orties, les dernières nèfles apportées par la voisine.

À piocher dans le plat

Janvier en musique, d’une huile en fond de cocotte où déposer quelques minutes les panés de lapin, à peine, pour que, tout juste dorés, ils rejoignent l’assiette sur le lit de sauce déjà prêt à les recevoir. Janvier assaisonné de copeaux de cèpes, souvenirs de nos balades en Aubrac. Janvier sous une fine poudre de courge et ses graines, Musquée de Provence, gorgée, dense, châtaigne, du côté de chez Sylvain Peyrefiche.
Janvier servi, dans la chaleur du poêle. En haut, la librairie suspendue sous la volige, d’entre les solives centenaires, funambule dégringolée au-dessus des plats. Janvier simple, lendemain de fêtes. Janvier avec les doigts, à piocher dans le plat. Janvier dégusté d’un verre, topé d’un mesclun, d’une-huile-d’un-vinaigre-d’un-poivre. Janvier magique, du tout est possible, du nouveau chapitre.
Janvier d’avec ce qu’il faut de gras au corps et de bouquet en tête, pour partir à présent quelques heures, au sortir de table, promener la mémoire de cette friture de lapin au son de blé et fromage fondu. Janvier par les sentiers, Bezonnes aux quatre routes. Au fil des adresses alentour, qui sentinelles, œuvrent l’année longue aux bonheurs de nos verres, de nos assiettes, de nos marchés.
Janvier de pays. Racine pour l’année.

Bibliographie
- Le lièvre et le lapin : Cuisine et saveurs. Frédérique Roland. 2008.
- La Cuisine du marché. Paul Bocuse & Jean-Charles Vaillant. 2016.
- Merci Mamie pour les recettes. Jean Imbert. 2019.
- On va déguster la France. François-Régis Gaudry. 2017.
- Recettes en Aveyron. René Husson & Philippe Galmiche. 2007.
- Histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises. Patrick Rambourg. 2010.
- Les 1 001 mots de l’Aveyron. Daniel Crozes. 2010.
 
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