Dans les nightclubs des VIP, une sociologue décrypte les inégalités de genre

  • Dans un livre qui vient de paraître en France, la sociologue américaine Ashley Mears décrypte le caractère exacerbé des inégalités de genre au sein de la jet-set internationale.
    Dans un livre qui vient de paraître en France, la sociologue américaine Ashley Mears décrypte le caractère exacerbé des inégalités de genre au sein de la jet-set internationale. Thomas SAMSON / AFP
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ETX Daily Up

(AFP) - Un système économique conçu "pour des hommes", mais qui "dépend de la beauté des filles": dans un livre qui vient de paraître en France, la sociologue américaine Ashley Mears décrypte le caractère exacerbé des inégalités de genre au sein de la jet-set internationale.

Bouteilles plaqué or, douches de champagne et femmes forcément belles et taille mannequin: dans "Very important people. Argent, gloire et beauté: enquête au coeur de la jet-set" (Editions La Découverte), l'autrice décrit comment des établissements de nuit incitent les hommes fortunés à dépenser des sommes considérables en les mettant en présence de femmes sélectionnées pour leur physique.

Professeure de sociologie à l'Université de Boston, spécialiste du genre et des femmes, l'ethnographe a pu pénétrer ce milieu fermé parce qu'elle était elle-même invitée à ces soirées, ayant l'allure du mannequin qu'elle a été adolescente et pendant ses études à New York.

Derrière l'apparente "spontanéité" naturelle de ces soirées se cache un "énorme travail" des nightclubs et des "promoteurs de soirées", des intermédiaires rémunérés par les établissements pour faire venir "des hommes super riches et des femmes très belles", explique à l'AFP Ashley Mears, de passage à Paris.

"C'est une économie gérée par des hommes pour des hommes, mais qui dépend des +filles+, de leur beauté. C'est sur ce travail invisible que tout repose", analyse-t-elle.

- 1,80 m minimum -

"Les filles ne bénéficient pas financièrement de ce modèle économique. Elles ne veulent pas être payées pour ne pas être confondues avec des prostituées. Elles se contentent des repas gratuits et du plaisir d'être inclues dans des soirées exclusives".

De New York à Miami, de Saint-Tropez à Saint-Barth, ou dans des villas louées 45.000 euros le weekend, les mannequins contribuent à attirer dans les établissements de nuit des "working rich", loups de la finance, de la tech ou de l'immobilier, presque tous blancs, qui vont dépenser des fortunes en alcool.

Un modèle économique résumé dans la formule "models and bottles" (des mannequins et des bouteilles).

Mathusalem à 4.000 euros, "train" de bouteilles illuminées portées à travers la foule: ces dépenses exubérantes assoient l'éminence sociale de celui qui paie l'addition. Et rappellent, selon la sociologue, les "potlatchs" pratiqués notamment dans les tribus amérindiennes: des festins ou cérémonies rituelles où des chefs entrent en compétition pour montrer qui peut exhiber, voire gaspiller, le plus.

Les "filles" répondent à des critères stricts: jeunes, "généralement blanches", "de cette beauté très spécifique valorisée par la mode", "très minces, très grandes": elles doivent mesurer 1,80 m minimum, et il leur est suggéré de porter des talons aiguilles de 10 centimètres, pour "dominer" la foule. Les night-clubs les placent judicieusement près des tables des clients les plus riches.

- "capital-filles" -

Quant aux femmes qui ne répondent pas à ces critères, elles se voient refuser l'entrée par les videurs sur la seule base de leur physique, quand même bien elles seraient "employées dans la finance". Sur les photos postées sur Instagram ne doivent figurer que des filles "canon".

"Un homme peut entrer dans ces lieux pour plein de raisons: il est riche, il a des relations. Une femme pour une seule: un physique de mannequin", résume l'universitaire.

Les "promoteurs", de leur côté, peuvent empocher 80 dollars par mannequin amené, et 1.000 dollars par soirée. Certains gagnent 200.000 dollars par an. Ils passent leurs journées à entretenir leurs liens avec les jeunes femmes, "les conduisent en SUV aux castings et aux soirées", pour faire fructifier ce que la sociologue appelle leur "capital-filles".

Quant aux "working rich", ils préfèrent, pour partager leur vie, des "femmes ayant le même profil qu'eux, très éduquées".

Et ont un certain dédain pour les mannequins vues comme "pas sérieuses" ou "fêtardes". De toute façon, pointe la sociologue, la personnalité de ces femmes "ne compte pas, puisque la sono écrase toute conversation".

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