Calendrier de l'après : Quinquapower, les 'vieilles' sortent de l’ombre pour briller

  • Après des décennies d'invisibilité, les quinqua sortent de l'ombre pour faire voler en éclats tous les diktats et injonctions qui entourent l'âgisme.
    Après des décennies d'invisibilité, les quinqua sortent de l'ombre pour faire voler en éclats tous les diktats et injonctions qui entourent l'âgisme. Dmitry Belyaev / Getty Images
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - Active, créative, puissante, et surtout bel et bien vivante… La quinqua ne se cache plus, ne se tait plus, et entend bien déconstruire toutes les injonctions liées à cet âge soi-disant ingrat qui l’ont trop souvent laissée sur le carreau. La liberté est le mot d’ordre, mais elle ne sera salvatrice qu’à condition d’en finir avec les innombrables archaïsmes, esthétiques et sociétaux, qui collent à la peau des femmes. Qu’on se le dise une fois pour toutes, vieillir, ce n’est ni s’éteindre ni disparaître, c’est vivre. Voici l'épisode 7 du Calendrier de l'Après, notre cahier de tendances 2023.

Sur les murs, dans les Abribus, ou sur internet, cette campagne n’est pas passée inaperçue. On y voit une femme en lingerie, soutien-gorge et culotte, le port altier, un sourire malicieux, fixant l’objectif avec assurance. Ce pourrait être une banale affiche publicitaire si le corps placardé en 4 par 3 était plus juvénile. Il n’en est rien. Au contraire, il est vrai, authentique, sans retouches, et il est surtout le témoin de six décennies d’existence. Ce corps, c’est celui de Caroline Ida Ours, jeune mannequin de 62 ans, qui prête ses traits à la dernière campagne Darjeeling. Cela aurait pu être une banale affiche publicitaire si les femmes de plus de 50 ans n’avaient pas décidé de faire leur révolution.

Dès la diffusion de la campagne, les commentaires élogieux ne se sont pas fait attendre, tout comme les remarques hargneuses, voire haineuses. "Certaines femmes m'ont dit que ça les dérangeait de me voir partout (…) avec mon gras, ma cellulite, mes cheveux blancs… Certaines m'ont écrit 'Comment osez-vous montrer un corps pareil ?' Mais je leur réponds : c'est ça la vie ! Vieillir !", a déclaré Caroline Ida Ours au magazine Télé Star en juillet dernier. Ce malaise face à la vieillesse, cet âge de péremption que l’inconscient collectif fixe à 50 ans, renvoie à toutes les injonctions que des millions de femmes, comme le top model sexagénaire, tentent au quotidien de déconstruire, et qui sont intrinsèquement liées à une certaine obsession de la société pour le jeunisme et une dévalorisation des femmes dès les premiers signes de la ménopause.

Halte aux clichés archaïques

Cette 'révolution silver', comme on pourrait la nommer, coïncide avec une amorce de déconstruction de certains clichés associés à la ménopause, à commencer par celui qui voudrait qu’une femme soit désirable tant qu’elle est en capacité de faire des enfants. Certains stéréotypes ont la vie dure, mais la libération de la parole dans les médias et sur les réseaux sociaux, combinée aux mutations du modèle familial, contribue à libérer les quinquas de ces carcans. Il suffit d’observer les titres de la presse féminine pour voir les prémices de ces changements… On y parle libido, rencontres amoureuses ou sexuelles, et épanouissement personnel, des sujets inenvisageables pour les quinquas il y a quelques années. "Il y a déjà eu des évolutions sur la question du corps féminin, que ce soit sur les règles ou la maternité, et l’heure est désormais venue pour les quinquas de lancer cette révolution de la ménopause. C’est une génération qui ose parler, et qui affirme vouloir une vie différente, et ne plus supporter les oppressions de la société", souligne Mélissa Petit, docteure en sociologie, spécialiste des seniors et des enjeux du vieillissement, et fondatrice du cabinet d’étude et de conseil Mixing Générations*.

Mais cela peut-il suffire ? Pour replacer la quinqua là où elle aurait toujours dû être, il apparaît également indispensable de tordre le cou à cette quête perpétuelle de la jeunesse éternelle. "La vieillesse des femmes est encore trop largement synonyme de laideur et de laisser-aller. C’est l’illustration de l’obsession de notre société pour le jeunisme, pour les corps de moins de 30 ans (…). Nos pays vieillissent à toute allure, nous sommes des sociétés de vieux qui ne s’assument pas et refusent de se voir telles qu’elles sont vraiment", explique la journaliste et romancière Marie Charrel, auteure de l’essai "Qui a Peur des Vieilles ?"**.

Comment sortir de l’invisibilité sans réelle représentation dans la société ? Cheveux colorés, corps juvéniles, et rides masquées sont légion dans les médias, et ce même lorsque le sujet n’est autre que ladite quinqua. "C’est l’une des illustrations des injonctions contradictoires et insupportables reposant sur les femmes. Vieillir, oui, mais en restant belles, minces, et sans trop de signes visibles de l’âge", ajoute Marie Charrel. Et si le confinement est parvenu à faire sortir le cheveu gris de l’ombre, il faut aller encore plus loin pour que les années ne soient plus liées à la dégradation du corps. Chose d’autant plus importante si l’on considère que l’espérance de vie à la naissance des femmes, fixée à 69 ans en 1950, a augmenté de plus de 15 ans pour s’établir à 85,2 ans en 2022, selon l’Insee.

"On est dans une société jeuniste, et avec une définition du jeunisme très étroite, comprendre les 20 -35 ans, qui est liée à la notion de corps juvénile. C’est aberrant, car du coup on est mal à l’aise quand on sort de tout ce qui concerne cette jeunesse. On le voit avec le nom de certains cosmétiques. Prenez les 'soins anti-âge'… C’est dire que l’on est contre l’âge, alors que l’âge c’est la vie. Il ne faut pas confondre être jeune et être vivante", précise Natacha Dzikowski, à la tête de sa société de conseil et du blog "50 ans, c'est super", et auteure de deux ouvrages axés sur le développement personnel***.

Des rôles modèles puissants

En 2008, le photographe américain Ari Seth Cohen lance le compte Instagram "Advanced Style", qui s’attache à célébrer le style des quinquas et plus, et démontrer que le style n’a pas d’âge. Un véritable succès, bien qu’il n’ait pas ouvert la voie à un mouvement de plus grande ampleur. Ce sont pourtant ces représentations qui contribuent à impulser le changement, à condition qu’elles ressemblent (vraiment) à la cible à laquelle elles s'adressent. "Il faut des modèles qui aident les femmes à se libérer et à reprendre le pouvoir", déclare Mélissa Petit. Et de citer l’ouvrage "Une apparition" de Sophie Fontanel, consacré aux cheveux blancs, "qui permet d’aider les femmes à assumer".

Jennifer Lopez, Naomi Campbell, Cindy Crawford, Carla Bruni, ou encore Andie MacDowell comptent parmi les femmes qui ont passé le fameux cap des 50 ans, et qui contribuent à faire bouger les lignes. Certaines assument leurs cheveux blancs, quand d’autres se dévoilent sans complexe en bikini faisant fi du regard d’autrui. Mais les quinquas s’identifient-elles vraiment à ces célébrités ? "Il y a tous ces anciens mannequins, c’est vrai, mais cela reste des exceptions, et je ne sais pas si cela parle à tout le monde car elles ne sont pas représentatives. J’ai l’impression que c’est encore un peu caricatural, mais cela s’ouvre progressivement", estime Natacha Dzikowski.

Premiers reflets des changements sociétaux, la mode, le cinéma, et les séries s’attèlent, bien que parfois maladroitement, à déconstruire les clichés autour de l’âge. Exit les quinquas retraitées, qui attendent, avec un gâteau et un pull fraîchement tricoté, l’arrivée des enfants prodiges lors du traditionnel repas de famille. Ce sont désormais elles, puissantes, libres, et sexy – et parfois même les trois – qui mènent la danse. On peut évoquer les exemples de Viola Davis, avocate renommée dans "Murder", de Sandra Oh, agent du MI-5 dans "Killing Eve", de Gillian Anderson, thérapeute et sexologue, dont la grossesse tardive a fait couler beaucoup d’encre, dans "Sex Education", ou de Philippine Leroy-Beaulieu, boss sexy et puissante qui relègue presque "Emily in Paris" au rôle de figurante.

Les exemples se multiplient dans les fictions pour lutter contre l’âgisme et l’invisibilité – voire l’absence totale de rôles. Une belle revanche pour les actrices – et les femmes – ringardisées, asexuées, voire mises au placard la quarantaine passée. Et il n’est pas question de les rajeunir ou de nier certaines des problématiques rencontrées autour de la cinquantaine, comme en témoigne "Désordres" qui suit le quotidien de Florence Foresti, mère célibataire angoissée. Fictions renforcées par des rôles modèles bel et bien réels. Non moins puissantes et inspirantes, journalistes, cheffes d’entreprise, et (auto)entrepreneures, pour ne citer qu’elles, se multiplient aussi ces dernières années pour témoigner de l’envie - et du besoin - des quinquas de grimper les échelons, rester actives, et se renouveler. Michelle Obama ne cesse de le clamer à travers la tournée promotionnelle de son livre "Cette lumière en nous" qui contribue à tordre le cou à de nombreux clichés, et de rappeler aux marques – au passage – que ce sont elles, les 'vieilles', qui ont le porte-monnaie, et ce malgré la crise qui les affecte en priorité. Un pouvoir d’achat conséquent qui n’est pas sans lien avec cette mise en lumière progressive.

Ces rôles modèles, à travers leurs actions et leurs discours, contribuent à leur niveau à sortir les quinquagénaires de l’invisibilité, et participent également – et surtout – à montrer des exemples de femmes fortes, puissantes, actives, créatives, et libres, aux générations les plus jeunes. De quoi leur permettre de se construire, et vieillir, sans crainte de tomber aux oubliettes. "Il faut montrer la place que les femmes de plus de cinquante ans occupent réellement dans la société : sans elles, tout s’écroule. Beaucoup d’entre elles - sans faire de généralités, bien sûr - racontent qu’elles se sentent mieux dans leur peau qu’à 20 ans, plus sûres d’elles, de ce dont elles sont capables, de ce qu’elles veulent, y compris dans les relations intimes. Elles se disent souvent plus libres aussi (…). Cette liberté, ce sentiment d’être enfin soi : voilà ce dont il faut parler ! Notamment aux jeunes femmes. C’est bien plus fort et plus intéressant que les histoires de rides", précise Marie Charrel.

L’âge, rien d’autre qu’un nombre

"A ton âge, tu ne devrais pas faire/porter/dire ça". Dans l’imaginaire collectif, il y aurait un âge pour porter un jean plutôt qu’un autre, faire une activité plutôt qu’une autre, et même parler – ou bien se taire – d’une façon bien spécifique. Une sorte de date de péremption, d’échéance, à partir de laquelle tout doit être minutieusement orchestré pour ne surtout pas sortir des clous. Un concept qui ne peut avoir que pour conséquence la mise au ban desdites concernées. Tout comme l’idée qui voudrait que l’on inclût dans la catégorie "seniors" pas moins de cinq décennies (et plus), réduisant toujours plus de fait la visibilité de chacun. "'Senior' est un mot très vaste pour parler d’une population très hétérogène. Plus on utilisera des termes précis, plus on parviendra à avoir une visibilité sur la cible, et à sortir des tabous. L’imprécision correspond à cette sorte d’inconfort d’un monde qui est plutôt âgiste, et qui même s’il avance sur les questions d’invisibilisation, se conforte dans des réalités de stéréotypes inconscients", explique Mélissa Petit.

Il faut ajouter à cela une subtile distinction entre l’âge chronologique et l’âge physiologique, qui relève de la perception. Ne peut-on pas se sentir vieux à 30 ans, et plus jeune que jamais à 50 ? Chose qui relève en grande partie, d’après Natacha Dzikowski, de l’hygiène de vie. "Une fois que l’on a compris le mode d’emploi de son corps, et que l’on met en place ce qu’il faut pour ralentir sa dégradation, on a la main sur son âge biologique. On peut programmer ou reprogrammer son âge", explique l’auteure de "J’ai l’âge que je veux !", qui y dévoile six protocoles pour tirer le meilleur parti de son corps et de son mental. L’objectif ? S’aimer, habiter son corps sans complexe, et ne plus craindre les années qui passent. Autant de confiance en soi qu’il est nécessaire d’accumuler pour faire face à cette ostracisation, et ne pas la subir – tant qu’elle n’a pas totalement disparu tout du moins.

"On s’en sort bien à partir du moment où on a une certaine lucidité par rapport au monde dans lequel on vit. 50 ans est un pivot, c’est un cap, car on peut être challengé professionnellement, les enfants partent, on se questionne sur la vie de couple… On fait face à un certain nombre de moments de déséquilibre, de doute, de changement. Mais ce qui est certain, c’est que c’est le travail sur soi qui permet d’être libre, et de ne pas subir le poids de la société et des autres", ajoute Natacha Dzikowski.

Cette 'silver révolution' passera donc par le développement personnel à titre individuel, un changement des mentalités, à titre collectif, et une déconstruction totale des injonctions faites aux femmes, peu importe leur âge, mais pas que. "Il pourrait y avoir des formations et des ateliers pour ceux qui créent les publicités, par exemple, pour déconstruire leurs propres stéréotypes sur l’âge, conscients ou inconscients, et ne plus les reproduire dans les médias", soumet Mélissa Petit. Et d’ajouter : "Il faut continuer à montrer des femmes de tous âges dans toutes leurs représentations sociales et physiques pour valoriser le sujet dans les médias".

Cette lutte n’en est qu’à ses prémices, et prendra sans doute du temps, mais l’heure de la révolution a bel et bien sonné. "C’est dans la durée que les choses vont évoluer. Ce n’est pas juste un coup d’éclat. Il faut de la volonté, de la constance, maintenir la pression, et ne rien lâcher dans aucun domaine. C’est un combat de tous les jours", déclare Natacha Dzikowski, qui explique que l’une des clés pour y faire face est également la flexibilité, l’adaptabilité, et la nécessité d’apprendre continuellement, et de se renouveler. Reste que, comme tout changement d’envergure, celui-ci risque de se heurter à de nombreux murs avant de s’installer durablement dans la société. "On s’approche d’une 'silver révolution', mais il n’est pas certain qu’elle dure. Comme toutes les avancées féministes, un retour en arrière n’est jamais exclu, et les progrès sont toujours fragiles", rappelle Marie Charrel. Puissantes, dynamiques, et plus que jamais décidées à briller, les quinquas semblent pourtant désormais armées pour mener cette lutte à bien, et faire en sorte de ne plus jamais retomber dans l’invisibilité.

*Auteure de "Les retraités : cette richesse pour la France" - Editions L'Harmattan (2016)

** "Qui a peur des vieilles ?" - Editions Les Pérégrines (2021)

*** "Belle & bien dans son âge" et "J'ai l'âge que je veux !" - Editions Leduc (2021 et 2023).

Le Calendrier de l'Après :

"Mieux, différemment, moins" n'a jamais pris autant de sens qu'en 2022. Dans un monde bouleversé par le dérèglement climatique, l'inflation ou la crise énergétique, la sobriété est de mise, dans nos armoires, nos déplacements ou nos assiettes. Et ce n'est pas forcément une mauvaise nouvelle. Car la sobriété peut être aussi choisie, heureuse et créative. C'est ainsi que nos tendances 2023 évoquent le kif d'arrêter ; la grosse flemme, le nouveau beau ; l'IA se prend pour un artiste ; la levure, l'ingrédient qui monte ; demain, tous producteurs de notre électricité ; les streamers, les nouveaux rois de l'audience ou Quinquapower, les 'vieilles" sortent de l'ombre, sans oublier nos 23 mots qu'on se surprendra à utiliser en 2023... Retrouvez toutes les tendances dans le Calendrier de l'Après 2023... Bonne lecture.

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