Victor Castanet : "Aujourd’hui, il y a une crise de confiance énorme" autour des Ehpad

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    Le journaliste indépendant Victor Castanet. Joël Saget - AFP
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Propos recueillis par Manuel Cudel

Un an après la sortie du livre “Les Fossoyeurs” qui a ébranlé le secteur du grand âge, qu’est-ce qui a changé ? État des lieux avec le journaliste qui publie aujourd’hui une version augmentée de son ouvrage.

Vous publiez une nouvelle version du livre “Les Fossoyeurs”, avec dix chapitres inédits. Porte-t-elle d’autres révélations ?

Oui, je raconte toute la campagne de communication qui a été mise en place pour réduire l’impact de l’enquête, les acteurs de l’ombre missionnés par Orpea pour faire en sorte que l’information n’arrive pas auprès du grand public, les sociétés d’intelligence économique, de communication, les instituts missionnés pour mettre en place un sondage quelques jours avant la sortie du livre. Cela m’intéressait de raconter au public la manière dont l’information peut être manipulée.
Je raconte aussi les suites de l’enquête, les malversations financières au sein de l’ancienne direction générale d’Orpea sur lesquelles enquête le parquet de Versailles, avec une plainte notamment pour abus de biens sociaux de la nouvelle direction qui a découvert des situations de conflits d’intérêts entre des sociétés prestataires qui surfacturaient Orpea et dont les bénéficiaires pouvaient être d’anciens dirigeants du groupe.
Je raconte aussi les suites politiques du livre, la manière dont les hommes politiques se sont emparés de ce livre et dont le gouvernement a réagi.

La réponse des pouvoirs publics est-elle été à la hauteur des enjeux ?

La réaction politique n’est pas au niveau. Tout le monde s’attendait à l’annonce de cette fameuse loi grand âge, attendue depuis des années. Le pouvoir, comme d’autres gouvernements avant lui, n’a pas pris ce sujet à bras-le-corps. Cela fait très longtemps que les pouvoirs publics sont alertés et que rien n’est fait. À un moment, cela devient problématique et ce qui était une erreur devient une faute politique.
Il y a eu des renforcements de l’efficacité des contrôles, on a comblé des trous de la raquette au niveau de la législation. Mais sur des réformes de fond, sur les points essentiels, par exemple des indicateurs de qualité transparents pour les familles corrélés au financement des Ehpad, sur tout un tas de points structurants, il n’y a pas encore eu de révolution.
Alors que les familles attendent cela pour être rassurées et les salariés pour avoir de meilleures conditions de travail.
Même les grands gestionnaires privés attendent que l’État s’empare du sujet, car ils savent qu’aujourd’hui, il y a une crise de confiance énorme de la part des familles, des salariés, ils ont du mal à recruter. Pour que le secteur sorte de cette crise par le haut, il faut que le politique s’en empare et réglemente.

Est-ce à dire que ces dérives que vous décriviez (pensionnaires rationnés, personnels malmenés, etc.) sont toujours d’actualité ?

Dans mon livre, je parle de maltraitances systémiques, entraînées par une optimisation des coûts extrêmement brutale mise en place par le siège d’Orpea et par des pratiques en matière de gestion de l’argent public. Il va y avoir des changements, sur les marges arrière réalisées sur les produits de santé, les excédents de dotation sur les postes de soignants. Ce système a été stoppé parce que les autorités de contrôle en ont pleinement connaissance, les médias surveillent et les contrôles vont être renforcés.
En revanche, sur des problèmes de fond, c’est-à-dire le nombre de soignants, la stabilité des équipes qui sont le premier rempart à la maltraitance, il n’y a pas encore eu de changements en profondeur. Et tant qu’il n’y aura pas d’encadrement des taux de marge, c’est-à-dire du niveau de lucrativité de ces groupes, il y a toujours un risque de pression financière importante sur les Ehpad.

Depuis un an, avez-vous reçu d’autres témoignages décrivant des souffrances ?

J’ai reçu plusieurs milliers de mails et courriers, dont plusieurs centaines m’alertaient sur des dysfonctionnements en Ehpad, avec presque quotidiennement des témoignages de familles et de directeurs d’établissement m’expliquant la pression qui pèse sur leurs épaules, notamment pour remplir leurs établissements.

Votre livre a ébranlé l’ensemble du secteur du grand âge, au-delà d’Orpea. Peut-on parler de dérives généralisées touchant la plupart des géants des Ehpad ?

Moi je ne dis pas les choses de cette manière, j’ai fait une enquête sur le leader mondial et j’ai pu documenter des dérives graves. Mais elles n’ont pu être possibles que parce que le système de contrôle et de financement est défaillant. Cela donne la possibilité à des groupes de mettre en place ce genre de dérives. Donc, tant que ce système ne sera pas changé en profondeur, il y aura des risques potentiels de revivre ce genre de drames.

Tout cela pose aussi plus largement la question du sort réservé aux aînés au sein de la société française.

Oui, c’est peut-être pour cela que le débat a été aussi important. Effectivement, cela nous ramène tous à cette question : est-ce qu’on a le temps, l’envie, le courage de gérer nos aînés nous-même personnellement dans des sociétés où souvent on court partout, on travaille énormément ? Contrairement à d’autres sociétés, par exemple en Afrique, en Asie, où les grands-parents jusqu’à la fin de leur vie restent au sein de la famille. Par exemple, en Afrique, ils habitent souvent dans l’appartement au-dessus. Cela nous questionne sur notre propre responsabilité.

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